D. Diègue. Ne réplique point, je connais ton amour; Mais qui peut vivre infâme est indigne du jour; Plus l'offenseur est cher, et plus grande est l'offense. Enfin tu sais l'affront, et tu tiens la vengeance, Je ne te dis plus rien; venge-moi, venge-toi ; Montre-toi digne fils d'un père tel que moi; Accablé des malheurs où le destin me range, Je m'en vais les pleurer. Va, cours, vole, et nous venge. D. Rod. SCÈNE IX. Percé jusques au fond du cœur Si près de voir mon feu récompensé, En cet affront mon père est l'offensé, Que je sens de rudes combats! Contre mon propre honneur mon amour s'intéresse, Des deux côtés mon mal est infini. Père, maîtresse, honneur, amour, Mais ensemble amoureuse, Digne ennemi de mon plus grand bonheur, M'es-tu donné pour venger mon honneur? M'es-tu donné pour perdre ma Chimène? Il vaut mieux courir au trépas; Je dois à ma maîtresse aussi bien qu'à mon père; Mon mal augmente à le vouloir guérir, Allons, mon âme, et puisqu'il faut mourir, Mourir sans tirer ma raison! Rechercher un trépas si mortel à ma gloire! Allons, mon bras, sauvons du moins l'honneur, Oui, mon esprit s'était déçu ; Je dois tout à mon père avant qu'à ma maîtresse : Et, tout honteux d'avoir tant balancé, ACTE SECOND. SCÈNE II. Le Comte, D. Rodrigue. D. Rod. A moi, comte, deux mots. Le Comte. D. Rod. Connais tu bien Don Diègue? Le Comte. D. Rod. Parle. Ote-moi d'un doute. Oui. Parlons bas, écoute. Sais-tu que ce vieillard fut la même vertu, La vaillance et l'honneur de son temps? Le sais-tu ? Le Comte. Peut-être. D. Rod. Cette ardeur que dans les yeux je porte, Sais-tu que c'est son sang? Le sais-tu ? Que m'importe ? Le Comte. D. Rod. Parle sans t'émouvoir. Je suis jeune, il est vrai, mais aux âmes bien nées Le Comte. Te mesurer à moi! Qui t'a rendu si vain, Toi qu'on n'a jamais vu les armes à la main? Et D. Rod. Mes pareils à deux fois ne se font pas connaître, D. Rod. Le Comte. Ce grand cœur qui paraît aux discours que tu tiens, Par tes yeux, chaque jour, se découvrait aux miens; Mon âme avec plaisir te destinait ma fille. Je sais ta passion, et suis ravi de voir Que tous ses mouvements cèdent à ton devoir, Qu'ils n'ont point affaibli cette ardeur magnanime, Et Trop peu d'honneur pour moi suivrait cette victoire. D. Rod. D'une indigne pitié ton audace est suivie : Qui m'ose ôter l'honneur craint de m'ôter la vie! Le Comte. Retire-toi d'ici. D. Rod. Marchons sans discourir. As-tu peur de mourir? Le Comte. Es-tu si las de vivre ? D. Rod. Le Comte. Viens; tu fais ton devoir; et le fils dégénère Qui survit un moment à l'honneur de son père. SCÈNE VIII. D. Fernand, D. Sanche, D. Arias, D. Alonse. D. Alo. Sire, le comte est mort. Don Diegue par son fils a vengé son offense. D. Fer. Dès que j'ai su l'affront, j'ai prévu la vengeance, Et j'ai voulu dès-lors prévenir ce malheur. D. Alo. Chimène à vos genoux apporte sa douleur; Elle vient toute en pleurs vous demander justice. D. Fer. Bien qu'à ses déplaisirs mon âme compatisse, Ce que le comte a fait semble avoir mérité Ce juste châtiment de sa témérité. Quelque juste pourtant que puisse être sa peine, SCÈNE IX. D. Fernand, D. Diègue, Chimène, D. Sanche, D. Arias, D. Alonse. Chi. D'un jeune audacieux punissez l'insolence; Il a de votre sceptre abattu le soutien, Il a tué mon père. D. Diègue. Il a vengé le sien. Chi. Au sang de ses sujets un roi doit la justice. D. Diègue. Pour la juste vengeance il n'est point de supplice. D. Fer. Levez-vous l'un et l'autre, et parlez à loisir. D'une égale douleur je sens mon âme atteinte. Chi. Sire, mon père est mort; mes yeux ont vu son sang J'ai couru sur le lieu sans force et sans couleur, Mes pleurs et mes soupirs vous diront mieux le reste. Ton roi te veut servir de père au lieu de lui. Chi. Sire, de trop d'honneur ma misère est suivie. Me parlait par sa plaie, et hâtait ma poursuite; |