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Déjà, pour la saisir, Calchas lève le bras:
"Arrête!" a-t-elle dit, "et ne m'approche pas :
Le sang de ces héros dont tu me fais descendre,
Sans tes profanes mains, saura bien se répandre!"
Furieuse, elle vole, et sur l'autel prochain
Prend le sacré couteau, le plonge dans son sein.
A peine son sang coule et fait rougir la terre,
Les dieux font sur l'autel entendre le tonnerre;
Les vents agitent l'air d'heureux frémissements;
Et la mer leur répond par ses mugissements;
La rive au loin gémit, blanchissante d'écume;
La flamme du bûcher d'elle-même s'allume;
Le ciel brille d'éclairs, s'entr'ouvre, et parmi nous
Jette une sainte horreur qui nous rassure tous.
Le soldat étonné dit que, dans une nue,
Jusque sur le bûcher Diane est descendue,
Et croit que, s'élevant au travers de ces feux,
Elle portait au ciel notre encens et nos vœux.

VERS SUR FONTENAI.

(CHAULIEU.)

Désert, aimable solitude,
Séjour du calme et de la paix,
Asile, où n'entrèrent jamais
Le tumulte et l'inquiétude:

Quoi! j'aurai tant de fois chanté,

Aux tendres accords de ma lyre,
Tout ce qu'on souffre sous l'empire
De l'Amour et de la Beauté :

Et plein de la reconnaissance

De tous les biens que tu m'as faits,
Je laisserai dans le silence

Tes agrémens et tes bienfaits?

C'est toi qui me rends à moi-même;

Tu calmes mon cœur agité :

Et de ma seule oisiveté

Tu me fais un bonheur extrême!

Parmi ces bois et ces hameaux,
C'est-là que je commence à vivre ;
Et j'empêcherai de m'y suivre
Le souvenir de tous mes maux.

Emplois, grandeurs tant désirécs. J'ai connu vos illusions; Je vis loin des préventions Qui forgent vos chaînes dorées.

La cour ne peut plus m'éblouir; Libre de son joug le plus rude, J'ignore ici la servitude

De louer qui je dois haïr.

Fils des dieux, qui de flatteries
Repaissez votre vanité,
Apprenez que la vérité

Ne s'entend que dans nos prairies.

Grotte, d'où sort ce clair ruisseau, De mousse et de fleurs tapissée, N'entretiens jamais ma pensée. Que du murmure de ton eau.

Bannissons la flatteuse idée

Des honneurs que m'avaient promis
Mon savoir-faire et mes amis,
Tous deux maintenant en fumée.
Je trouve ici tous les plaisirs,

D'une condition commune;
Avec l'état de ma fortune,
Je mets de niveau mes désirs.

Ah! quelle riante peinture
Chaque jour se montre à mes yeux,
Des trésors dont la main des dieux,
Se plaît d'enrichir la nature.

Quel plaisir de voir les troupeaux, Quand le midi brûle l'herbette,

Rangés autour de la houlette,

Chercher l'ombre sous les ormeaux!
Puis, sur le soir, à nos musettes

Ouïr répondre les échos,

Et retentir tous nos coteaux

De hautbois et de chansonnettes!
Mais hélas! ces paisibles jours
Coulent avec trop de vitesse;
Mon indolence et ma paresse
N'en peuvent arrêter le cours.

Déjà la vieillesse s'avance,
Et je verrai dans peu la mort
Exécuter l'arrêt du sort
Qui m'y livre sans espérance.

Fontenai, lieu délicieux,
Où je vis d'abord la lumière,
Bientôt au bout de ma carrière
Chez toi je joindrai mes aïeux.

Muses qui dans ce lieu champêtre
Avec soin me fîtes nourrir;

Beaux arbres, qui m'avez vu naître,
Bientôt vous me verrez mourir.

Cependant du frais de votre ombre
Il faut sagement profiter,
Sans regret, prêt à vous quitter
Pour ce manoir terrible et sombre;

Où des arbres dont tout exprès,
Pour un doux et plus long usage,
Mes mains ornèrent ce bocage,
Nul ne me suivra qu'un cyprès.

Ormeaux, young elms; musettes, bagpipes; bocage, grove.

SCÈNE DU LÉGATAIRE (COMÉDIE).

(REGNARD.)

Géronte, vieillard, étant malade, avait envoyé chercher M. Scrupule, notaire, pour lui dicter son testament. Lorsqu'il arrive, Crispin, valet d'Eraste, neveu de Géronte, s'enveloppe `dans la robe de chambre de ce dernier, et, de concert avec Eraste et Lisette, servante, dicte un faux testament sous le nom du vieillard. M. Scrupule prend ses notes, s'en retourne rédiger l'acte, et revient pour le lire à Géronte et le lui faire signer.

Géronte. Ici depuis longtemps vous êtes attendu.

M. Scrupule. Certes, je suis ravi, monsieur, qu'en moins d'une heure,

Vous jouissiez déjà d'une santé meilleure.
Je savais bien qu'ayant fait votre testament,
Vous sentiriez bientôt quelque soulagement;
Le corps se porte mieux lorsque l'esprit se trouve
Dans un parfait repos.

Gér.
Tous les jours je l'éprouve.
M. Scr. Voici donc le papier que selon vos desseins
Je vous avais promis de remettre en vos mains.

Gér. Quel papier, s'il vous plait? pourquoi, pour quelle

affaire ?

M. Scr. C'est votre testament que vous venez de faire.

Gér. J'ai fait mon testament!

M. Scr.

Oui, sans doute, monsieur.

Je frissonne de peur.

Lisette (bas.) Crispin, le cœur me bat.
Crispin (bas.)

Gér. Eh, parbleu! vous rêvez, monsieur, c'est pour le faire,

Que j'ai besoin ici de votre ministère.

M. Scr. Je ne rêve, monsieur, en aucune façon ;
Vous me l'avez dicté plein de sens et raison.
Le repentir si tôt saisirait-il votre âme ?

Monsieur était présent aussi bien que madame.
Ils peuvent là-dessus dire ce qu'ils ont vu.
Eraste (bas.) Que dire?

Lis. (bas.)

Cris. (bas.)

Juste ciel!

Gér. Eraste était présent!

M. Scr.

Me voilà confondu.

Oui, monsieur, je le jure.

Gér. Est-il vrai, mon neveu? parle, je t'en conjure. Era. Ah! ne me parlez point, monsieur, de testament, C'est m'arracher le cœur trop tyranniquement.

Gér. Lisette, parle donc !

Lis. Crispin, parle à ma place. Je sens dans mon gosier que ma voix s'embarrasse. Cris. Je pourrais là-dessus vous rendre satisfait; Nul ne sait mieux que moi la vérité du fait ! Gér. J'ai fait mon testament! Cris. On ne peut pas vous dire Qu'on vous l'ait vu tantôt absolument écrire ; Mais je suis très certain qu'au lieu que vous voilà, Un homme à peu près mis comme vous êtes là, Assis dans un fauteuil auprès de deux notaires, A dicté mot à mot ses volontés dernières.

Je n'assurerai pas que ce soit vous, pourquoi ?

C'est qu'on peut se tromper; mais c'était vous ou moi. M. Scr. Rien n'est plus véritable, et vous pouvez m'en croire.

Gér. Il faut donc que mon mal m'ait ôte la mémoire, Et c'est ma léthargie.

Cris.

Oui, c'est elle en effet.

Lis. N'en doutez nullement, et, pour prouver le fait, Ne vous souvient-il pas que, pour certaine affaire, Vous m'avez dit tantôt d'aller chez le notaire ?

Gér. Oui.

Lis. Qu'il est arrivé dans votre cabinet;
Qu'il a pris aussitôt sa plume et son cornet,
Et que vous lui dictiez à votre fantaisie.
Gér. Je ne m'en souviens point.

Lis.

C'est votre léthargie.

Cris. Ne vous souvient-il, monsieur, bien nettement,
Qu'il est venu tantôt certain neveu normand,
Et certaine baronne avec un grand tumulte,

Et des airs insolents, chez vous vous faire insulte?
Gér. Oui.

Cris. Que pour vous venger de leur emportement
Vous m'avez promis place en votre testament,
Ou quelque bonne rente au moins pendant ma vie?
Gér. Je ne m'en souviens point.

Cris.

C'est votre léthargie.

Gér. Je crois qu'ils ont raison, et mon mal est réel. Lis. Ne vous souvient-il pas que monsieur Clistorel . . . Era. Pourquoi tant répéter cet interrogatoire ? Monsieur convient de tout, du tort de sa mémoire, Du notaire mandé, du testament écrit.

Gér. Il faut bien qu'il soit vrai, puisque chacun le dit, Mais voyons donc enfin ce que j'ai fait écrire.

Cris. (à part.) Ah! voilà bien le diable.

M. Scr.

le lire ?

Il faut donc vous

Fut présent devant nous, dont les noms sont au bas,
Maitre Mathieu Géronte, en son fateuil à bras,
Etant en son bon sens, comme on a pu connaître
Par gestes et maintien qu'il nous a fait paraître;
Quoique de corps malade, ayant sain jugement ;
Lequel, après avoir réfléchi mûrement

Que tout est ici bas fragile et transitoire .

Cris. Ah! quel cœur de rocher, et quelle âme assez noire,

Ne se fendrait en quatre en entendant ces mots ?
Lis. Hélas! Je ne saurais arrêter mes sanglots.

Gér. En les voyant pleurer mon âme est attendrie.

Là, là! consolez-vous, je suis encore en vie.

M. Scr. (continuant de lire.) Considérant que rien ne resie en même état,

Ne voulant pas aussi décéder intestat

Cris. Intestat

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Lis.

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