Page images
PDF
EPUB

Prenez ces cent écus: gardez-les avec soin,
Pour vous en servir au besoin.

Le savetier crut voir tout l'argent que la terre
Avait, depuis plus de cent ans,
Produit pour l'usage des gens.

Il retourne chez lui: dans sa cave il enterre
L'argent, et sa joie à la fois.

Plus de chant: il perdit la voix
Du moment qu'il gagna ce qui cause nos peines.
Le sommeil quitta son logis;

Il eut pour hôtes les soucis,
Les soupçons, les alarmes vaines.

Tout le jour il avait l'œil au guet; et la nuit,
Si quelque chat faisait du bruit,

Le chat prenait l'argent. A la fin le pauvre homme
S'en courut chez celui qu'il ne réveillait plus :
Rendez-moi, lui dit-il, mes chansons et mon somme,
Et reprenez vos cent écus.

Savetier, cobbler; ouïr, hear; passages, trillings; étant tout cousu d'or, rolling on gold; moins encore, less still; point du jour, break of day; sommeillait, went to sleep; l'éveillait, waked him; marché, market; or ça, well; gaillard, jolly; entasse, heap; attrape, reach; amène, brings; tantôt, sometimes; gains, profits; assez honnêtes, pretty good; chômer, keep holy; curé, rector; prône, sermon; naïveté, simplicity; gens, people; cave, cellar; enterre, buries; peines, troubles; soucis, cares; guet, watch; somme, sleep.

LE GLAND ET LA CITROUILLE.

(LE MÊME.)

Dieu fait bien ce qu'il fait. Sans en chercher la preuve En tout cet univers, et l'aller parcourant,

Dans les citrouilles je la treuve.

Un villageois, considérant

Combien ce fruit est gros et sa tige menue,
A quoi songeait, dit-il, l'auteur de tout cela?
Il a bien mal placé cette citrouille-là ?

Hé parbleu! je l'aurais pendue

A l'un des chênes que

voilà ;

C'eût été justement l'affaire :

Tel fruit, tel arbre, pour bien faire.

C'est dommage, Garo, que tu n'es point entré

Au conseil de celui que prêche ton curé;

Tout en eût été mieux: car pourquoi, par exemple,
Le gland, qui n'est pas gros comme mon petit doigt,
Ne pend-il pas en cet endroit?

Dieu s'est mépris: plus je contemple

Ces fruits ainsi placés, plus il semble à Garo
Que l'on a fait un quiproquo.

Cette réflexion embarrassant notre homme :
On ne dort point, dit-il, quand on a tant d'esprit.
Sous un chêne aussitôt il va prendre son somme.
Un gland tombe: le nez du dormeur en pâtit.
Il s'éveille; et portant la main sur son visage,
Il trouve encor le gland pris au poil du menton.
Son nez meurtri le force à changer de langage:
Oh! oh! dit-il, je saigne! Et que serait-ce donc
S'il fût tombé de l'arbre une masse plus lourde,
Et que ce gland eût été gourde?

Dieu ne l'a pas voulu: sans doute il eut raison;
J'en vois bien à présent la cause.

En louant Dieu de toute chose
Garo retourne à la maison.

Gland, acorn; citrouille, pumpkin; treuve (trouve), find; tige, stalk; menu, thin; parbleu, zounds; l'affaire, the thing; tel, like; semble, seems; quiproquo, mistake; somme, nap; en pâtit, suffers, is hurt by it; poil, hair, beard; menton, chin; meurtri, bruised; langage, discourse; saigne, bleed; plus lourde, heavier; gourde, gourd, pumpkin.

TOUS LES HOMMES SONT FOUS.
(BOILEAU, SATIRE IV.)

D'où vient, cher Le Vayer, que l'homme le moins sage
Croit toujours seul avoir la sagesse en partage;
Et qu'il n'est point de fou, qui, par belles raisons,
Ne loge son voisin aux petites-maisons?

Un pédant, enivré de sa vaine science,
Tout hérissé de Grec, tout bouffi d'arrogance,
Et qui, de mille auteurs retenus mot pour mot,
Dans sa tête entassés, n'a souvent fait qu'un sot,
Croit qu'un livre fait tout, et que sans Aristote,
La raison ne voit goutte et le bon sens radote.

D'autre part, un galant, de qui tout le métier
Est de courir le jour de quartier en quartier,
Et d'aller, à l'abri d'une perruque blonde,
De ses froides douceurs fatiguer tout le monde,
Condamne la science, et, blâmant tout écrit,
Croit qu'en lui l'ignorance est un titre d'esprit,
Que c'est des gens de cour le plus beau privilége,
Et renvoie un savant dans le fond d'un collége.
Un bigot orgueilleux, qui dans sa vanité
Croit duper jusqu'à Dieu par son zèle affecté,
Couvrant tous ses défauts d'une sainte apparence,
Damne tous les humains de sa pleine puissance.

Un libertin d'ailleurs, qui sans âme et sans foi
Se fait de son plaisir une suprême loi,

Tient que ces vieux propos de démons et de flammes,
Sont bons pour étonner des enfans et des femmes;
Que c'est s'embarrasser de soucis superflus,
Et qu'enfin tout dévot a le cerveau perclus.

En un mot, qui voudrait épuiser ces matières,
Peignant de tant d'esprits les diverses manières,
Il compterait plutôt combien dans un printemps
Guénaud et l'antimoine ont fait mourir de gens.-
Mais, sans errer en vain dans ces vagues propos,
pour rimer ici ma pensée en deux mots,

Et

N'en déplaise à ces fous nommés Sages de Grèce,
En ce monde il n'est point de parfaite sagesse :

Tous les hommes sont fous, et, malgré tous leurs

soins,

Ne diffèrent entre eux que du plus et du moins.
Comme on voit qu'en un bois, que cent routes séparent,
Les voyageurs sans guide assez souvent s'égarent,
L'un à droit, l'autre à gauche, et courant vainement,
La même erreur les fait errer diversement:
Chacun suit dans le monde une route incertaine,
Selon que son erreur le joue et le promène ;
Et tel y fait l'habile, et nous traite de fous,
Qui sous le nom de sage est le plus fou de tous.
Mais, quoi que sur ce point la Satire publie,
Chacun veut en sagesse ériger sa folie;
Et se laissant régler à son esprit tortu,
De ses propres défauts se fait une vertu.
Ainsi, cela soit dit pour qui veut se connaître,
Le plus sage est celui qui ne pense point l'être;

Qui, toujours pour un autre enclin vers la douceur,
Se regarde soi-même en sévère censeur;
Rend à tous ses défauts une exacte justice,
Et fait sans se flatter le procès à son vice.
Mais chacun pour soi-même est toujours indulgent.
Un avare, idolâtre et fou de son argent,
Rencontrant la disette au sein de l'abondance,
Appelle sa folie une rare prudence,

Et met toute sa gloire et son souverain bien
A grossir un trésor qui ne lui sert de rien.
Plus il le voit accrû, moins il en fait usage.

Sans mentir, l'avarice est une étrange rage,
Dira cet autre fou, non moins privé de sens,
Qui jette, furieux, son bien à tous venans,
Et dont l'âme inquiète, à soi-même importune,
Se fait un embarras de sa bonne fortune.
Qui des deux en effet est le plus aveuglé?

L'un et l'autre, à mon sens, ont le cerveau
troublé,

Répondra chez Fredoc ce Marquis sage et prude,
Et qui sans cesse au jeu, dont il fait son étude,
Attendant son destin d'un quatorze et d'un sept,
Voit sa vie ou sa mort sortir de son cornet.
Que si d'un sort fâcheux la maligne inconstance
Vient par un coup fatal faire tourner la chance
Vous le verrez bientôt, les cheveux hérissés,
Et les yeux vers le ciel de fureur élancés,
Ainsi qu'un possédé que le prêtre exorcise,
Fêter dans ses sermens tous les Saints de l'Eglise.
Qu'on le lie, ou je crains, à son air furieux,
Que ce nouveau Titan n'escalade les cieux.
Mais laissons-le plutôt en proie à son caprice,
Sa folie aussi bien lui tient lieu de supplice.
Il est d'autres erreurs dont l'aimable poison
D'un charme bien plus doux enivre la raison.
L'esprit dans ce nectar heureusement s'oublie.

Chapelain veut rimer, et c'est là sa folie.
Mais bien que ses durs vers, d'épithètes enflés,
Soient des moindres grimauds chez Ménage sifflés,
Lui-même il s'applaudit, et d'un esprit tranquille,
Prend le pas au Parnasse au-dessus de Virgile.
Que ferait-il, hélas! si quelque audacieux
Allait pour son malheur lui dessiller les yeux,

Lui faisant voir ses vers et sans force et sans grâces
Montés sur deux grands mots, comme sur deux échasses;
Ses termes sans raison l'un de l'autre écartés,
Et ses froids ornemens à la ligne plantés ?
Qu'il maudirait le jour, où son âme insensée
Perdit l'heureuse erreur qui charmait sa pensée !
Jadis certain bigot, d'ailleurs homme sensé,
D'un mal assez bizarre eut le cerveau blessé ;
S'imaginant sans cesse, en sa douce manie,
Des esprits bienheureux entendre l'harmonie.
Enfin un médecin fort expert en son art
Le guérit par adresse, ou plutôt par hasard.
Mais voulant de ses soins exiger le salaire,
Moi! vous payer! lui dit le bigot en colère,
Vous, dont l'art infernal, par des secrets maudits,
En me tirant d'erreur m'ôte du Paradis ?

J'approuve son courroux; car, puisqu'il faut le dire,
Souvent de tous nos maux la raison est le pire.
C'est elle qui, farouche, au milieu des plaisirs,
D'un remords importun vient brider nos désirs.
La fâcheuse a pour nous des rigueurs sans pareilles,
C'est un pédant qu'on a sans cesse à ses oreilles;
Qui toujours nous gourmande, et, loin de nous toucher,
Souvent, comme joli, perd son temps à prêcher.
En vain certains rêveurs nous l'habillent en reine,
Veulent sur tous nos sens la rendre souveraine,
Et s'en formant en terre une divinité,

Pensent aller par elle à la félicité :

C'est elle, disent-ils, qui nous montre à bien vivre.
Ces discours, il est vrai, sont fort beaux dans un livre,
Je les estime fort: mais je trouve en effet,

Que le plus fou souvent est le plus satisfait.

Petites-maisons, Bedlam; hérissé de Grec, coated with Greek; bouffi d'arrogance, puffed with pride; ne voit goutte, does not see a bit; radote, dotes, talks nonsense; soucis, cares; perclus, lame; a le cerveau perclus, is cracked; tortu (crooked), perverse; procès (law-suit), quarrel; accrû, increased; fâcheux, sad; fêter, to (treat) call out, name; escalade, scales; aussi bien, besides; enivre, intoxicates, inebriates; grimauds, raw scholars; prend le pas, assumes the precedency; dessiller, to open; échasses, stilts, buskins; farouche, fierce; brider (bridle), restrain; gourmande, rebukes.

« PreviousContinue »