Page images
PDF
EPUB

Ne vous sauveront pas, je vous en avertis :
Vous viendrez toutes au logis.

Il prophétisait vrai: notre maître Mitis,
Pour la seconde fois, les trompe et les affine,
Blanchit sa robe et s'enfarine;
Et, de la sorte déguisé,

Se niche et se blottit dans une huche ouverte.
Ce fut à lui bien avisé :

La gent trotte-menu s'en vient chercher sa perte.
Un rat, sans plus, s'abstient d'aller flairer autour—
C'était un vieux routier, il savait plus d'un tour;
Même il avait perdu sa queue à la bataille.
Ce bloc enfariné ne me dit rien qui vaille,
S'écria-t-il de loin au général des chats:
Je soupçonne dessous encor quelque machine.
Rien ne te sert d'être farine;

Car, quand tu serais sac, je n'approcherais pas.
C'était bien dit à lui; j'approuve sa prudence:
Il était expérimenté,

Et savait que la méfiance

Est mère de la sûreté.

Dépeupler, clear; appui, prop; mort-aux-rats, rats'-bane; au prix, compared; avait beau, was of no use; tanières, holes; le galant, the fellow; fait le mort, pretends to be dead; plancher, ceiling; scélérate, wicked; cordons, strings; châtiment, punishment; larcin, robbery; rôt, roast beef; fromage, cheese; garnement, fellow; enterrement, funeral; nids à rats, rats' holes; ressortant, coming out again; en quête, in search; une autre fête, a funny change; pendu, hanged one; ressuscite, rises from the dead; attrape, catches; paresseuses (lazy), slow; plus d'un, more than one trick; gobant, eating; guerre, war; tour de vieille guerre, an old trick; cavernes, holes; creuses, deep; en avertis, warn, tell; au logis, to my house, I will have you all; mitis, cat; affine, outwits; blanchit, whitens; s'enfarine, covers himself with flour; se niche, lodges himself; se blottit, squats; huche, hutch; ce fut à lui bien avisé, he acted wisely; gent, people; trotte-menu, short trotting; s'en vient, come; chercher sa perte, for their ruin, sans plus, no more, only; flairer, to scent; vieux routier, old, shrewd fellow, soldier; queue, tail; rien qui vaille, nothing good; de loin, at a distance; machine, machinery, trick ; rien ne te sert, it is no use for you; quand tu serais, were you even; c'était bien dit à lui, he was right to speak so; était expérimenté, had experience; méfiance, distrust; sûreté, safety.

LES ANIMAUX MALADES DE LA PESTE.

(LE MÊME.)

Un mal qui répand la terreur,
Mal que le ciel en sa fureur
Inventa pour punir les crimes de la terre,
La peste (puisqu'il faut l'appeler par son nom),
Capable d'enrichir en un jour l'Achéron,
Faisait aux animaux la guerre.

Ils ne mouraient pas tous, mais tous étaient frappés :
On n'en voyait point d'occupés
A chercher le soutien d'une mourante vie,
Nul mets n'excitait leur envie :
Ni loups ni renards n'épiaient
La douce et l'innocente proie:
Les tourterelles se fuyaient;
Plus d'amour, partant plus de joie.
Le lion tint conseil, et dit: Mes chers amis,
Je crois que le ciel a permis

Pour nos péchés cette infortune:
Que le plus coupable de nous

Se sacrifie aux traits du céleste courroux;
Peut-être il obtiendra la guérison commune.
L'histoire nous apprend qu'en de tels accidents
On fait de pareils dévoûments.

Ne nous flattons donc point, voyons sans indulgence
L'état de notre conscience.

Pour moi, satisfaisant mes appétits gloutons,
J'ai dévoré force moutons.

Que m'avaient-ils fait? nulle offense.
Même il m'est arrivé quelquefois de manger
Le berger.

Je me dévoûrai donc, s'il le faut: mais je pense
Qu'il est bon que chacun s'accuse ainsi que moi;
Car on doit souhaiter, selon toute justice,
Que le plus coupable périsse.

Sire, dit le renard, vous êtes trop bon roi;
Vos scrupules font voir trop de délicatesse.
Eh bien! manger moutons, canaille, sotte espèce,
Est-ce un péché? Non, non. Vous leur fîtes, seigneur,
En les croquant, beaucoup d'honneur.

Et quant au berger, l'on peut dire

Qu'il était digne de tous maux,
Etant de ces gens-là qui sur les animaux
Se font un chimérique empire.
Ainsi dit le renard; et flatteurs d'applaudir,
On n'osa trop approfondir

Du tigre, ni de l'ours, ni des autres puissances,
Les moins pardonnables offenses:
Tous les gens querelleurs, jusqu'aux simples mâtins,
Au dire de chacun, étaient de petits saints.
L'âne vint à son tour, et dit: j'ai souvenance
Qu'en un pré de moines passant,

La faim, l'occasion, l'herbe tendre, et, je pense,
Quelque diable aussi me poussant,

Je tondis de ce pré la largeur de ma langue.
Je n'en avais nul droit, puisqu'il faut parler net.
A ces mots on cria haro sur le baudet.

Un loup, quelque peu clerc, prouva par sa harangue
Qu'il fallait dévouer ce maudit animal,

Ce pelé, ce galeux, d'où venait tout leur mal.
Sa peccadille fut jugée un cas pendable.
Manger l'herbe d'autrui! quel crime abominable!
Rien que la mort n'était capable

D'expier son forfait. On le lui fit bien voir.

Selon que vous serez puissant ou misérable,

Les jugements de cour vous rendront blanc ou noir.

Peste, plague; mets, mess, meats; épiaient, spied; tourterelles, turtle doves; se fuyaient, shunned one another; partant, then; coupable, guilty; courroux, wrath; guérison, cure, relief; devoûments, sacrifices; force, deal of; berger, shepherd; canaille, rascals; croquant, eating; quant au, as to the; approfondir, scrutinise; mâtins, mastiffs; occasion, opportunity; tondis, shore, grazed; pré, meadow; largeur, breadth; net, frankly; cria haro sur, rebuked; baudet, donkey; loup, wolf; quelque peu clerc, somewhat learned; pelé, bald; galeux, scabby; peccadille, peccadillo; pendable, hanging; forfait, misdoing.

LE CHAT, LA BELETTE, ET LE PETIT LAPIN.
(LE MÊME.)

Du palais d'un jeune lapin

Dame belette, un beau matin,

S'empara: c'est une rusée.

Le maître étant absent, ce lui fut chose aisée.

Elle porta chez lui ses pénates, un jour
Qu'il était allé faire à l'aurore sa cour

Parmi le thym et la rosée.

Après qu'il eut brouté, trotté, fait tous ses tours,
Jeannot lapin retourne aux souterrains séjours.
La belette avait mis le nez à la fenêtre.
O dieux hospitaliers! que vois-je ici paraître?
Dit l'animal chassé du paternel logis.
Holà! madame la belette,

Que l'on déloge sans trompette,
Ou je vais avertir tous les rats du pays.
La dame au nez pointu répondit que la terre
Etait au premier occupant.
C'était un beau sujet de guerre

Qu'un logis où lui-même il n'entrait qu'en rampant!
Et quand ce serait un royaume,
Je voudrais bien savoir, dit-elle, quelle loi
En a pour toujours fait l'octroi

A Jean, fils ou neveu de Pierre ou de Guillaume
Plutôt qu'à Paul, plutôt qu'à moi.

Jean lapin allégua la coutume et l'usage:

Ce sont, dit-il, leurs lois qui m'ont de ce logis
Rendu maître et seigneur; et qui, de père en fils,
L'ont de Pierre à Simon, puis à moi Jean, transmis.
Le premier occupant, est-ce une loi plus sage?
Or bien, sans crier davantage,
Rapportons-nous, dit-elle, à Raminagrobis.
C'était un chat, vivant comme un dévot hermite,
Un chat faisant la chattemite,

Un saint homme de chat, bien fourré, gros et gras,
Arbitre expert sur tous les cas.
Jean lapin pour juge l'agrée.
Les voilà tous deux arrivés

Devant sa majesté fourrée.

Grippeminaud leur dit: Mes enfants, approchez,
Approchez; je suis sourd, les ans en sont la cause.
L'un et l'autre approcha, ne craignant nulle chose.
Aussitôt qu'à portée il vit les contestants,

Grippeminaud le bon apôtre,

Jetant des deux côtés la griffe en même temps,
Mit les plaideurs d'accord en croquant l'un et l'autre.
Ceci ressemble fort aux débats qu'ont parfois
Les petits souverains se rapportant aux rois.

Belette, weasel; lapin, rabbit; aurore, dawn; rosée, dew; brouté, browsed; séjours, abodes; chassé, expelled; déloge, remove; trompette, (trumpet), noise; rampant, crawling; quand ce serait, were it; loi, law; octroi, grant; allégua, pleaded; or bien, ah, well, rapportons-nous, let us refer the case; chattemite, demure, fourré, furred; grippeminaud, grimalkin; sourd, deaf; à portée, within his reach; bon apôtre, hypocrite; griffe, claw; croquant, eating; parfois, sometimes.

LE SAVETIER ET LE FINANCIER.

(LE MÊME.)

Un savetier chantait du matin jusqu'au soir :
C'était merveille de le voir,

Merveille de l'ouïr; il faisait des passages
Plus content qu'aucun des sept sages.
Son voisin, au contraire, étant tout cousu d'or,
Chantait peu, dormait moins encor:
C'était un homme de finance.

Si sur le point du jour parfois il sommeillait,
Le savetier alors en chantant l'éveillait :
Et le financier se plaignait

Que les soins de la Providence
N'eussent pas au marché fait vendre le dormir,
Comme le manger et le boire.

En son hôtel il fait venir

Le chanteur, et lui dit: Or çà, sire Grégoire,
Que gagnez-vous par an? Par an! ma foi, monsieur,
Dit avec un ton de rieur

Le gaillard savetier, ce n'est point ma manière
De compter de la sorte; et je n'entasse guère
Un jour sur l'autre: il suffit qu'à la fin
J'attrape le bout de l'année;

Chaque jour amène son pain.

Eh bien! que gagnez-vous, dites-moi, par journée ?—
Tantôt plus, tantôt moins: le mal est que toujours
(Et sans cela nos gains seraient assez honnêtes,)
Le mal est que dans l'an s'entremêlent des jours
Qu'il faut chômer; on nous ruine en fêtes:
L'une fait tort à l'autre ; et monsieur le curé
De quelque nouveau saint charge toujours son prône.
Le financier, riant de sa naïveté,

Lui dit: Je vous veux mettre aujourd'hui sur le trône.

« PreviousContinue »