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(lec. 2.), n'est pas le principe; qu'à la vérité, les autres sentimens ne viennent qu'après lui, mais qu'ils ne viennent pas de lui.

Nature, nous en avons déjà fait la remarque, tire son origine d'un mot de la langue latine, qui veut dire naître. Il faut donc, pour connaître la nature de nos différentes manières de sentir, les épier, s'il est permis de le dire, au moment de leur naissance. Or le sentimentsensation naît d'un mouvement produit dans les organes par les objets extérieurs. Le sentiment de l'action des facultés naît de cette action même. Le sentiment de rapport naît de la présence simultanée des idées. Le sentiment moral naît de l'impression que fait sur nous un agent auquel nous attribuons une volonté (leçon 2). Chaque espèce de sentiment naît donc à part; chacun a sa nature propre.

Sans doute que dans notre constitution actuelle, le sentiment-sensation doit s'être montré d'abord, pour que les autres sentimens se montrent à leur tour. Il y a entre les quatre manières de sentir, un ordre successif qui commence par la sensation. Mais un ordre de succession ne suffit pas pour établir l'unité de nature entre des choses qui se succèdent. Il est nécessaire que cet ordre soit, en même temps,

et de succession et de génération. Et, puisqu'il est prouvé que les divers sentimens ne s'engendrent pas les uns les autres, il est prouvé qu'il y a entre eux une différence de nature.

Mais, dit-on, si les quatre manières de sentir n'ont pas la même nature, la même nature, pourquoi les appeler du nom commun de sentiment?

Un nom commun donné à plusieurs choses, est loin de prouver l'identité de leur nature. A ce compte, toutes et chacune des choses qui existent seraient de même nature, puisque tout ce qui existe porte le nom commun d'être. Dieu, l'âme, le corps, sont appelés du nom commun de substance. Est-ce à dire que la substance divine soit la même que celle de l'âme ou celle du corps, et que l'âme et le corps soient une seule et même substance? Les dénominations communes expriment ce qu'il y a de commun dans les choses; et la nature des choses ne consiste pas dans ce qu'elles ont de commun. Au contraire, c'est ce qu'il y a de particulier, de spécial à une chose, qui en détermine propre

ment la nature.

Permettez-moi un rapprochement auquel me conduit la réflexion qui précède : j'ai besoin que vous me le pardonniez, vous qui avez fait l'objection; car je vais vous comparer à Spinosa.

Vous dites : Le nom commun sentiment donné à ce que nous prétendons être des manières diverses de sentir, suppose une idée commune, une chose commune; et prouve par conséquent, contre notre intention, qu'il y a unité de nature entre toutes les manières de sentir. Il n'y a donc, à la rigueur, qu'une seule manière de sentir; il n'y a qu'un senti

ment.

Spinosa avait dit le nom commun substance donné à ce qu'on prétend être des substances diverses, suppose une idée commune, une chose commune, et prouve par conséquent qu'il y a unité de nature entre toutes les substances. Il n'y a donc, à la rigueur, qu'une seule substance dans l'univers.

On sent bien toute l'absurdité d'un pareil raisonnement; mais on ne sait pas la faire ressortir. Essayons de la mettre en évidence.

Lorsque nous considérons les êtres comme susceptibles de modifications, comme doués de propriétés, comme possédant des attributs, comme servant de support ou de soutien à des qualités, alors nous leur donnons le nom de support, de soutien, de sujet, de substance; et comme il n'y a aucun être qui ne soit doué de quelque qualité, et qui ne puisse être considéré

sous cet unique point de vue qu'il est doué de qualités; il s'ensuit qu'il n'en est aucun qui ne puisse donner lieu à l'idée de substance, et à la même idée de substance, car il n'y en a pas deux. Il y a donc identité entre tous les points de vue, d'où résulte le point de vue commun. qui forme l'idée de substance; mais il n'y a pas identité entre les points de vue qui ne sont pas communs, et qui appartiennent exclusivement à chaque être.

Le raisonnement de Spinosa est curieux : il veut qu'une idée commune à plusieurs êtres prouve l'unité de leur nature. Il est évident qu'elle ne prouve que l'unité du point de vue sous lequel on les considère. Spinosa confond un point de vue commun à tous les êtres avec la réalité des êtres, oubliant que la réalité d'un être comprend, et les qualités communes et les qualités qui lui sont propres. Si un point de vue commun à plusieurs êtres prouve l'unité de leur nature, il n'y a donc dans l'univers qu'un animal, qu'un homme, qu'une montagne, qu'un arbre, par la même raison qu'il n'y aurait qu'une substance.

Se peut-il qu'un système qui a fait tant de bruit, qui a occupé tant de têtes et tant de plumes, un système qui a exercé toute la dialecti

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que

de Bayle, et que le génie de Fénélon n'a pas dédaigné de réfuter, ne soit autre chose qu'une misérable confusion d'idées, qu'une abstraction prise pour une réalité ?

Il n'est pas autre chose; et non-seulement la substance de Spinosa est une pure abstraction, une idée abstraite à laquelle ne correspond rien de réel; c'est, après l'idée de l'étre, l'idée abstraite la plus générale de toutes, et par conséquent la plus éloignée de la réalité.

Tenons donc pour certain que, sous le seul mot sentiment, on doit reconnaître quatre manières de sentir, toutes différentes de

nature.

En ne consultant que l'expérience, et sans remonter aux sources d'où dérive le sens moral, quelques philosophes, comme nous l'avons dit, n'ont pas balancé à prononcer qu'on ne pouvait l'assimiler au sentiment-sensation : jusque-là, nous devons les approuver. Mais n'ont-ils eux-mêmes détruit leur ouvrage, et ramené le sens moral aux sensations dont ils voulaient le séparer, lorsqu'ils l'ont attribué à un sens ou organe particulier auquel ils ont donné le nom de sixième sens?

pas

Un sens moral, s'il existait, ne ferait pas

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