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étrangers, ont été rendues à l'âme à laquelle seule elles appartiennent. Après un tel triomphe de la raison sur l'instinct, la distinction de l'esprit et de la matière s'est présentée d'elle-même; et il a fallu admirer de plus en plus l'auteur des choses, à qui il a suffi, pour assurer l'union de deux substances que leur nature tendait à tenir séparées, de faire que l'une se sentit ou crût se sentir dans l'autre.

On a reconnu de véritables jugemens, où les anciens philosophes ne voyaient que de simples sensations. Cette découverte, comme un trait de lumière, a dissipé tout à coup les ténèbres qui obscurcissaient l'entrée de la science.

Les différens modes de la sensibilité ont été séparés les uns des autres. D'un côté, on a fait la part de ce que nous devons à chaque sens, et de ce que nous devons à leur réunion. De l'autre, on a marqué la différence qui se trouve entre les impressions qui nous viennent du dehors, et ce que nous éprouvons par l'action de nos facultés intellectuelles et morales, soit dans le moment même qu'elles agissent, soit à la suite et en vertu de cette action. (Leç. 2, t. 2.) Dès lors on a pu assigner avec certitude la véritable origine des idées.

L'origine, ou plutôt les diverses origines de

nos connaissances, ont donc été mieux observées. La nécessité de remonter à ces origines a été mieux sentie.

Ce

pour

que l'homme doit à la parole pour former ses jugemens (leç. 4.); s'élever des premières abstractions aux notions les plus universelles; des rapports contingens aux vérités nécessaires; pour faire naître la raison, si on ose le dire, et pour lui donner tous ses développemens, a été reconnu, constaté.

La méthode sans laquelle l'esprit ne peut rien ou presque rien a cessé d'être un mystère. On a su enfin quelles facultés doivent agir, et dans quel ordre elles doivent agir, pour assurer nos connaissances. On a su que l'artifice de la méthode, lorsqu'elle s'applique à des idées qui ne dérivent pas immédiatement du sentiment, consiste dans l'analogie de ces idées et dans l'analogie du langage.

Deux questions surtout, disons mieux, deux vérités qui sont au-dessus de toutes les autres vérités, ont été le but des méditations de la philosophie. Il n'est plus permis aujourd'hui à quiconque peut suivre le fil d'une démonstration, de mettre en doute la simplicité ou l'unité du principe qui pense; et, si les preuves de l'existence d'un Dieu créateur et modérateur de

l'univers ne pouvaient pas acquérir un nouveau degré de certitude, on a pu du moins leur imprimer le caractère d'une évidence plus frappante, plus générale.

De tels objets ont une dignité et une grandeur qu'on ne peut méconnaître. Ils élèvent la raison, ils l'ennoblissent; et celui qui voudrait les dédaigner trahirait le secret d'une âme pauvre et commune, qui ne trouve des jouissances qu'en les cherchant hors d'elle-même.

Mais si rien n'a droit de nous intéresser autant que l'étude de la philosophie; si l'on ne peut se défendre d'un sentiment de joie par l'espérance de connaître enfin ce qui nous touche de si près; il faut bien se dire que, dans l'état d'imperfection où se trouve jusqu'ici la langue des philosophes, rien aussi n'exige plus de persévérance dans la méditation, plus de recueillement dans la pensée, plus de bonne foi avec soi-même, et plus en même temps de cet esprit simple, naturel et naïf, qui n'ôte rien, n'ajoute rien, voit les choses comme elles sont et les énonce comme il les voit. L'imagination serait ici le plus grand des obstacles. En s'interposant entre nous et la nature, elle nous en déroberait la vue, et nous serions éblouispar des fantômes.

Il faudra cependant que nous arrêtions quelquefois nos regards sur ces fantômes, pour apprendre à ne pas les confondre avec la réalité. Nous serons plus assurés de nous bien connaître, lorsque nous nous serons étudiés, et en nous-mêmes, et dans les opinions des philosophes.

Nul esprit ne peut suffire à ce double travail de critique et de méditation, si l'ordre n'en dispose les parties de telle sorte que l'intelligence des premières facilite l'intelligence de celles qui suivent. Il faut donc qu'un lien commun les unisse, pour en former un système qui se développe de lui-même et sans effort.

Et, puisque les physiciens ont porté l'ordre dans le chaos immense que leur avait d'abord présenté l'étude de l'univers, en ramenant tout à la théorie des forces des corps, pourquoi n'aurions-nous pas essayé d'imiter leur exemple? Pourquoi, afin de régulariser la suite de nos pensées, n'aurions-nous pas cherché à les rapporter toutes à une pensée unique, à réduire tout à un traité des puissances de l'esprit, des facultés de l'áme?

Tel est le titre que nous avons placé à la tête de nos leçons. Si ce titre est juste, il faut qu'il appelle autour de lui toutes les questions agi

tées par les philosophes. En effet, quelle question peut échapper à une théorie complète des facultés de l'âme; à une théorie qui nous les montrerait dans leur nature, dans leurs effets et dans leurs moyens?

Nous avons essayé, dans la première partie, de dire en quoi consiste la nature de ces facultés.

La philosophie, trompée par une fausse apparence, avait cru les apercevoir, tantôt dans les sensations, tantôt dans les idées. Nous les avons séparées des unes et des autres. L'être qui sent, agira sans doute; mais sentir n'est pas agir. L'être qui agit produira un effet; mais cet effet n'est pas l'action.

pas

Il ne suffisait pas d'avoir marqué les facultés par le caractère qui les distingue de ce qui n'est elles. Il fallait encore saisir le caractère qui les distingue les unes des autres, quoique toutes, dans leur nature, ne soient qu'une seule et même chose. Nous nous sommes assurés de ce qu'elles ont d'identique et de ce qu'elles ont de divers, ́en les voyant sortir d'un même principe, non pas à la fois, mais successivement et dans un ordre nécessaire; en sorte que celles qui sont composées n'auraient jamais pu se produire, si les plus simples ne s'étaient montrées d'abord.

Alors le système des facultés de l'âme s'est

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