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mouvement reçu se communique au cerveau ; et, aussitôt, à la suite de ce mouvement du cerveau, l'âme sent, elle éprouve un sentiment. L'âme sent par la vue, par l'ouïe, par l'odorat, par le goût et par le toucher, toutes les fois l'action des objets remue les organes.

que

Or, cette première manière de sentir doit être considérée sous deux points de vue. Les cinq subdivisions que nous venons d'y remarquer ont chacune un caractère qui leur appartient en propre; et toutes ont de commun, qu'en même temps qu'elles avertissent l'âme de leur présence; elles l'avertissent aussi de son existence.

Sous le premier point de vue, elles diffèrent les unes des autres autant que de tout ce qu'on pourrait imaginer. Aucune analogie ne conduira jamais d'un son à une odeur, ni d'une odeur à une couleur ; et rien ne serait plus chimérique que de vouloir se représenter des odeurs sonores, ou des sons odoriférans, des couleurs savoureuses, ou des saveurs colorées. L'expérience, d'ailleurs, apprend assez que celui qui manque d'un sens n'a jamais éprouvé les sentimens analogues à ce sens. Aussi, les a-t-on désignés par cinq noms particuliers, son, saveur, odeur, couleur, toucher.

Mais comme, d'un autre côté, ces cinq espèces de modifications sont toutes senties par l'âme, et que l'àme, lorsqu'elle les éprouve, ne peut pas ne pas se sentir elle même (t. 1, p. 221), si nous prenons ces modifications par ce qu'elles ont ainsi de commun, savoir, d'affecter l'âme, et de lui donner le sentiment de sa propre existence, alors un seul nom devra nous suffire; car on ne multiplie les signes que pour marquer les différences; et, afin d'exprimer que dans tous, et dans chacun des sentimens qui nous viennent par cinq sens différens, l'âme reconnaît toujours une même chose, le soi, le moi, nous dirons qu'elle a conscience d'elle-même. Par la conscience, l'âme sait, ou sent qu'elle est, et comment elle est. Mens est suí conscia, comme dit le latin, plus heureusement que le français.

Ce sentiment du moi se trouve nécessairement dans toutes les affections de l'âme, dans toutes ses manières de sentir; et nous n'aurions pas fait ici l'observation expresse qu'il est inséparable de la première de ces manières de sentir, si les philosophes ne semblaient l'avoir trop souvent oublié. Vous en verrez un exemple remarquable dans une des leçons suivantes (leç. 5).

Les cinq espèces de modifications, ou les cinq espèces de sentimens dont nous venons de parler, n'ayant lieu qu'à la suite de quelque impression faite sur les sens, nous les appellerons sentimens - sensations, ou plus brièvement, sensations (1).

Ainsi, tout sentiment de l'âme produit par l'action des objets extérieurs sur quelque partie de notre corps, voilà la sensation; c'est la première manière de sentir que nous remarquons; et c'est de cette manière de sentir, que nous allons voir naître les premières idées.

Placé au milieu de la nature, et environné d'objets qui le frappent dans tout son être, l'homme reçoit à chaque instant, par son corps, une infinité d'impressions; et, par son âme, une infinité de sensations.

Que résultera-t-il de ces avertissemens continuels qui invitent l'homme, qui semblent même vouloir le forcer à prendre connaissance de tant d'affections diverses, et des causes qui les produisent.

(1) La signification de ce mot s'étend jusqu'aux affections qui proviennent des mouvemens opérés dans les parties intérieures du corps, sans l'intervention des objets extérieurs telles que la faim, la saif, etc,

Rien, si son âme est passive; tous les trésors de l'intelligence, si elle est active.

Semblable aux corps inanimés, dont la première loi est de persévérer à jamais dans leur état actuel, à moins qu'une force étrangère ne vienne le changer, une âme purement passive conserverait invariables, et pendant toute la durée de son existence, les modifications qu'elle aurait une fois reçues. Et, puisqu'il est vrai que le moment présent, celui qui fuit, et celui qui va suivre, nous trouvent toujours différens de nous-mêmes, il faut qu'il existe une force, dont l'énergie surmonte l'inertie des sensations. Mais au lieu que la force qui fait passer les corps du mouvement au repos, ou du repos au mouvement, leur vient du dehors; celle qui donne la vie aux sensations, qui les agite, qui les réprime, vient de l'âme elle-même, et fait partie de son essence.

Que serait une âme réduite à la simple capacité d'être passivement affectée? Accablée d'une foule d'impressions qui se cumuleraient sans cesse, pour se perdre sans cesse dans un sentiment confus, où rien ne serait démêlé; heureuse sans connaître sa félicité, ou malheureuse sans aucune espérance de voir un terme à ses maux, sans pouvoir même en former le désir,

sa condition la placerait au-dessous de tout ce qui a reçu le don de la vie, au-dessous de l'être qui l'a reçue au moindre degré.

Telle n'est pas l'âme qu'un souffle divin inspira dans l'homme. Appelée à connaître l'univers et l'auteur de l'univers, à jouir de la nature et d'elle-même, elle a tous les moyens d'entrer en possession de si grands biens, toutes les facultés nécessaires pour remplir sa destinée.

Nous les connaissons ces moyens, nous avons fait une étude de ces facultés, nous en avons exposé le système(t. 1, leç. 4.); et, après les puissantes considérations que nous avons présentées tant de fois, et sous tant de formes; après les preuves multipliées que nous avons demandées à l'expérience, ou que nous avons fait sortir du raisonnement; après des démonstrations que les attaques ont toujours fortifiées, et dont rien n'a pu obscurcir l'évidence, nous avons sans doute le droit de le prononcer : l'âme n'est pas bornée à une simple capacité de sentir : elle est douée d'une activité originelle inhérente à sa nature: elle est un principe d'action, une force innée; et, en faisant un nouvel emprunt à la langue latine, mens est vis sui motrix. L'âme est une force qui se meut, c'est-à-dire, qui se modifie elle-même.

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