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Celui-là eut une idée heureuse, qui, dans le mouvement des corps célestes, aperçut la combinaison de deux mouvemens. Cette idée fut le germe de la théorie des forces centrales.

Celui-là eut une idée bien plus heureuse, qui, dans un pouvoir absolu, et que tout faisait juger indivisible, sut démêler le pouvoir législatif et le pouvoir exécutif. Cette idée est le fondement de l'ordre social.

Il est une idée qui s'élève au-dessus de toutes les idées, et qui élève l'humanité au-dessus d'elle-même. Quoiqu'un instinct universel la suggère immédiatement, il fallait une raison plus qu'ordinaire pour la dégager de tout ce qui pouvait l'altérer ou l'obscurcir. Des sages dirent Tout se fait dans la nature par des agens qui meuvent, et qui sont mus à leur tour; il faut donc qu'il existe un premier moteur immobile. Alors, la puissance et l'intelligence furent ôtées à la matière, pour être rendues à celui qui dispose de la matière.

Les philosophes de la Grèce cherchaient le premier principe des choses dans tous les élémens, dans l'eau, dans l'air, dans le feu, dans les nombres, dans l'harmonie. La raison d'Anaxagore et celle de Socrate, démontrèrent qu'il devait avoir une existence indépendante

de tout ce qui entre dans la composition du monde. Tant qu'on avait identifié le premier principe avec la nature, on n'avait de Dieu qu'un sentiment confus; ce sentiment devint une idée, du moment qu'on les eut séparés.

Ne nous lassons pas de multiplier les exemples. Galilée vit, le premier, que le mouvement d'un corps qui tombe diffère de celui d'un corps qui avance d'un mouvement uniforme, et qu'il suit d'autres lois. La physique fut enrichie d'une nouvelle idée.

Descartes distingua, mieux qu'on ne l'avait fait avant lui, la pensée, de l'étendue; il eut une idée plus juste de ces deux attributs.

Newton démêla sept rayons dans un seul rayon. Depuis cette découverte, nous avons des idées beaucoup plus exactes sur la nature de la lumière.

Il y a donc autant d'idées dans l'esprit d'un homme, qu'il peut distinguer de qualités, de rapports, de points de vue dans les êtres. Celui qui confond tout est sans idées; il ne sait rien; celui qui démêle jusqu'aux plus petites nuances a un grand nombre d'idées; il sait beaucoup ce qui ne veut pas dire cependant : qu'il soit toujours le mieux instruit; car il y a des idées futiles, stériles, méprisables, abjec

tes, comme il y en a de grandes, de fécondes, de nobles, de sublimes.

Démêler, discerner, distinguer, apercevoir, connaître, acquérir et avoir des idées, sont autant d'expressions qui, au fond, désignent une seule et même chose.

Et comme il est évident, d'un côté, qu'on ne pourrait rien démêler, rien discerner, rien connaître, si l'on ne sentait pas ; et, d'un autre côté, que ce n'est que parce que nous sentons, que nous sommes avertis de notre propre existence, de celle des objets extérieurs, de leurs qualités et de leurs rapports, soit entre eux, soit avec nous; il s'ensuit que c'est dans le sentiment même que nous devons chercher l'idée ; il s'ensuit que l'idée n'est autre chose qu'un sentiment démêlé d'avec d'autres sentimens, un sentiment distingué de tout autre sentiment, un sentiment distinct.

L'âme n'eût été qu'un être sentant. Elle a remarqué ce qu'elle sentait. Elle est devenue un être intelligent.

D'abord elle se distingue de tout ce qui n'est pas elle. Bientôt, dans ses manières d'être, elle aperçoit des ressemblances et des différences; elle ne tardera pas à démêler d'autres rapports.

TOME II.

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Sujette à un changement continuel, pourraitelle ignorer long-temps la succession? Unie à un corps, pourrait-elle ne pas connaître l'étendue? Modifiée tour à tour par les affections de plaisir et de douleur qu'elle ne peut pas maîtriser à son gré, ne sera-t-elle pas avertie qu'il y a des causes et des effets? n'en sera-t-elle avertie par cela seul qu'elle est active?.... Tenons-nous pour le moment à ces indications; qu'il nous suffise aujourd'hui d'avoir essayé de faire connaître la nature de l'idée ; d'avoir dit en quoi consiste l'idée ; ou, si on l'aime mieux, d'avoir déterminé le sens du mot idée.

pas

Un être qui sentirait sans faire aucun retour sur lui-même, et sans jamais se rendre compte de ce qu'il sent, ne serait point destiné à jouir de la lumière de la raison. Il ignorerait tout, jusqu'à sa propre existence. Mais, si les sentimens viennent à se démêler, s'ils se dégagent les uns des autres; si l'être sentant, qui, avant tout est un être actif, peut se décomposer, en quelque sorte, lui-même; alors on verra l'intelligence croître, se fortifier et s'étendre chaque jour davantage. Des idées informes et mal démêlées par une première décomposition,

vont se décomposer encore, et faire naître de nouvelles idées, qui, par de nouvelles décompositions, feront naître à leur tour les merveilles des sciences et des arts, et ouvriront un nouvel univers.

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