Page images
PDF
EPUB

adversaires, montrez-nous dans les sensations, les idées des facultés de l'âme, les idées morales, les idées de rapport (1)? A l'instant nous vous donnons gain de cause; mais les argumens des plus habiles d'entré vous n'ont pu nous convaincre. Il nous paraît même que vous avez tenté l'impossible.

:

Il est impossible, en effet, de voir l'intelligence humaine toute entière dans les seules sen. sations et, jusque-là, les derniers ont l'avantage, faible avantage, à la vérité, puisqu'il est purement négatif : encore vont-ils le perdre bien vite, car voici la manière dont ils raison.nent.

Puisqu'on n'a pu montrer toutes les idées dans la sensation; puisque nous avons la certitude qu'on les y chercherait vainement, il faut que les idées qui n'ont pas leur origine dans la sensation, soient sans origine. Donc elles tiennent à l'essence de l'âme; donc elles existent au moment même où l'âme reçoit l'existence; donc elles sont gravées en nous par la

(1) Ils ne l'ont pas dit avec cette précision, et ils ne pouvaient pas le dire. Mais je suppose qu'en parlant des idées spirituelles, ils sentaient d'une manière confuse ce que nous énonçons ici d'une manière distincte.

main de la nature; donc elles sont antérieures aux sensations; donc elles sont dans l'âme à priori; donc elles sont innées; donc outre l'entendement auquel nous devons les idées sensibles, nous avons un entendement pur, qui n'a rien de commun avec la sensibilité. Donc, etc.

Vous voyez que les deux partis, ne reconnaissant qu'une seule manière de sentir, s'égaraient nécessairement, et que leurs raisonnemens ont été ce qu'ils devaient être. Qu'auraientils pu dire que ce qu'ils ont dit?

Les sensations sont notre unique manière de sentir. Or, les premières idées viennent des sensations. Pourquoi toutes n'en viendraientelles pas?

Les sensations sont notre unique manière de sentir. Or, il y a plusieurs idées qui ne sauraient venir des sensations. Il faut donc que l'âme les tienne de sa nature, soit antérieurement aux sensations et à l'expérience, soit en même temps que les sensations et l'expérience, mais non des sensations, ni de l'expérience.

Ces deux raisonnemens partant d'un principe faux, leurs conséquences, quoique opposées entre elles, sont nécessairement fausses.

Elles sont fausses; et leur opposition, qui divise aujourd'hui les philosophes, comme elle

les divisait il y a trois mille ans, continuera à les diviser, et à les diviser sur le choix entre deux erreurs, tant qu'ils borneront la sensibilité aux seules sensations.

<< Locke, dit Leibnitz, n'a pas connu la nature de la vérité. Il a cru que la connaissance de toutes les vérités nous venait des sens. S'il avait bien compris quelle différence se trouve entre les vérités contingentes, et les vérités nécessaires, c'est-à-dire, entre les vérités acquises par induction, et les vérités démontrées, il aurait vu que les seules vérités contingentes dépendent des sens; que les vérités nécessaires n'ont rien de commun avec eux; et que, par conséquent, leur connaissance est fondée sur des principes gravés dans l'âme. » ( OEuvres de Leibnitz, t. 5, p. 558.)

La vérité considérée dans notre esprit, est la perception, ou, si l'on veut, l'affirmation du rapport entre deux idées.

Elle est contingente, lorsque les termes du rapport sont contingens, c'est-à-dire, sujets au changement; car alors le rapport peut devenir autre qu'il n'était. Pompée est plus puissant que César. Les deux termes de ce rap port sont la puissance de Pompée, et la puissance de César. Or, il peut se faire que demain

César soit plus puissant que Pompée; et les termes du rapport ayant changé, le rapport aura changé lui-même : ce qui est vrai aujourd'hui sera faux demain.

La vérité est nécessaire, lorsque les deux termes du rapport sont immuables; et cette immutabilité des termes d'un rapport peut être absolue ou conditionnelle.

Conditionnelle, comme dans toutes les propositions de géométrie. Les théorèmes sur les lignes sont vrais, d'une vérité nécessaire, supposé qu'il existe des lignes sans largeur. Absolue, lorsque les termes du rapport sont immuables, indépendamment de nos suppositions. Dieu commande la justice.

Les vérités contingentes sont transitoires; les vérités nécessaires sont éternelles.

Et, comme les unes et les autres sont des perceptions de rapport; elles dérivent les unes et les autres du sentiment de rapport; et elles en dérivent exclusivement à toute autre manière de sentir.

Locke et les siens se trompent donc lorsqu'ils enseignent que les vérités nécessaires ont leur origine dans les sensations; ils ne se trompent pas moins, lorsqu'ils donnent la même origine aux vérités contingentes.

Leibnitz et les siens se trompent aussi doublement, d'abord en faisant la concession que les vérités contingentes viennent des sensations; et, en second lieu, quand, après s'être erus assurés que les vérités nécessaires ne dérivent pas de cette source, ils en concluent qu'elles sont fondées sur des principes gravés

dans l'âme.

Ne pourrait-on pas dire, en empruntant la manière de Leibnitz?

Ni Locke, ni Leibnitz n'ont connu la nature de la vérité. Ils ont cru, l'un, que la connais nce de toutes les vérités nous vient des seules sensations; l'autre qu'elle nous vient en partie des sensations, et en partie de certains principes gravés dans l'âme. S'ils avaient bieu compris quelle différence se trouve entre les sensations et les sentimens de rapport, ils auraient vu que toutes les vérités, sans aucune exception, dérivent des sentimens de rapport; et qu'il n'y en a aucune qui soit fondée, ou sur les sensations, ou sur des principes gravés dans l'âme.

Il est donc également certain, et que toutes les idées nous viennent de quelqu'un de nos sentimens, et que toutes les vérités nous viennent du seul sentiment de rapport.

« PreviousContinue »