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ni de l'existence de l'âme, ni de l'existence des corps; et si, dans le peu que nous venons de dire sur l'âme, on trouvait une preuve de son existence, comme dans le peu que nous allons dire sur Dieu, une preuve de l'existence de Dieu, nous devrions nous en féliciter, sans doute; mais ces preuves qui, par l'importance de leur objet, nous demanderont des séances entières, ne sont ici qu'une chose accessoire. Il s'agit, en ce moment, de la formation des idées, non de leur formation complète, mais des élémens qu'il faut mettre en œuvre pour obtenir des idées sûres et vraies, des idées dont on ne puisse ébranler le fondement et contester la réalité.

L'idée de Dieu sera à l'abri de toutes les attaques, si nous en montrons le germe dans le sentiment.

Or, comment ne pas l'y voir?

Du sentiment de sa faiblesse et de sa dépendance, l'homme, par un raisonnement naturel, ne s'élèvera-t-il pas à l'idée de la souveraine indépendance et de la souveraine puissance ?

Du sentiment que produisent en lui la régularité des lois de la nature et la marche calculée des astres, à l'idée d'un ordonnateur supréme? Du sentiment de ce qu'il fait lui-même, quand il

dispose ses idées ou ses actions pour les conduire vers un but, à l'idée d'une intelligence infinie?

Ces trois idées ne sont qu'une seule idée. Mais comme cette idée unique part de trois sentimens divers, on a pu, en la considérant sous trois points de vue, en faire le moyen de trois argumens de l'existence de Dieu, distincts et séparés. Le premier est pris de notre nature, le second, du spectacle de l'univers; le troisième est connu sous le nom d'argument des causes finales.

Vous arriverez encore à l'idée et à l'existence de Dieu, par le sentiment moral qui nous révèle une destinée future.

Ainsi, la sensibilité humaine toute entière tend vers la divinité.

Aidée par le raisonnement, et convertie en intelligence, elle s'approche de la divinité, elle la voit, elle y touche presque.

Entrer aujourd'hui dans le développement de chacune des manières de sentir qui nous suggèrent l'idée de Dieu, ce serait trop anticiper. Essayons cependant de faire connaître la manière de sentir qui sert de fondement à l'idée de cause première.

Lorsque l'âme agit sur ses sentimens et sur ses idées, nous ne pouvons pas douter que,

souvent, elle ne change sa manière d'être actuelle. Les sentimens deviennent des idées ; les idées simples se réunissent pour former des idées composées; les idées composées se distribuent en idées simples. Quelquefois les affections s'affaiblissent; d'autres fois, au contraire, elles acquièrent une énergie qu'elles n'avaient pas. L'âme n'agit pas sans motif; elle agit pour se donner une connaissance, ou pour rectifier une erreur; pour se procurer un bien, ou pour se délivrer d'un mal.

Or, l'âme ne peut pas agir, et en conséquence éprouver un changement, qu'elle n'ait le sentiment de son action, et celui du changement opéré par cette action. Ces deux sentimens amèneront bientôt deux idées, dont l'une sera celle de cause, et l'autre celle d'effet. Car, un changement considéré dans son rapport à l'action, en vertu de laquelle il est produit, reçoit le nom d'effet, comme l'action elle-même prend le nom de cause.

Redisons la même chose. Les deux sentimens, de l'action de l'âme, et du changement qui en est la suite, donnent lieu à deux idées. La présence simultanée de ces deux idées donne lieu d'abord au simple sentiment du rapport qui se trouve entre l'action et le changement,

et

bientôt à l'idée de ce même rapport. Ce rapport est de la cause à l'effet, si vous allez de de l'action au changement; de l'effet à la cause, si vous allez du changement à l'action.

C'est donc en nous-mêmes que nous trouvons l'idée de cause. Elle dérive du sentiment dù rapport, entre une action de l'âme et un chanment de l'âme.

On croira peut-être qu'il serait mieux de faire sortir l'idée de cause, de l'action que l'âme exerce sur son corps, que de l'action qu'elle exerce sur elle-même. Je suis loin de le penser: je ne nie point l'action de l'âme sur son corps, je ne ne l'affirme pas. Nous avons fait profession, avec Pascal, d'ignorer la manière dont le corps influe sur l'âme, et celle dont l'âme influe sur le corps. Ainsi, nous ne saurions partager l'opinion des philosophes qui regardent l'âme comme une force motrice des fibres.

Mais, direz-vous avec Rousseau, j'aimerais autant douter de mon existence que du pouvoir que j'ai de remuer mon bras. La parité n'est pas exacte: on ne peut pas douter de son existence, au lieu qu'on peut douter du pouvoir de remuer son bras: car, faites-y bien attention, vous sentez la volonté de remuer votre bras, vous n'en sentez pas le pouvoir.

On a dit que l'âme est une force pensante: on a dit aussi qu'elle est une force sentante. La première de ces expressions est parfaitement juste ; la seconde est fausse; elle est même contradictoire, à moins qu'on ait voulu dire que l'âme est une force, et que de plus elle sent.

La pensée prouve la force de l'âme; elle est la force de l'âme. Le sentiment n'est pas la force de l'âme; il ne prouve pas la force de l'âme. Au contraire, il prouve que la force est hors de l'âme, puisque sans les sensations qui nous viennent par l'action des objets extérieurs, l'âme, dans son état actuel, serait privée des autres espèces de sentiment.

La puissance d'agir, et la capacité de sentir, sont, il est vrai, également essentielles à l'âme; mais le passage de la sensibilité au sentiment requiert l'action d'une force étrangère à l'âme; au lieu que le passage de l'activité à l'action quoique nécessité par le sentiment, se fait par l'énergie même de l'âme. L'action est plus l'âme elle-même, que ne l'est le sentiment.

L'idée de cause nous vient donc primitivement du sentiment de notre propre force, joint au sentiment des modifications qui sont produites par cette force. Elle nous vient du

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