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Les idées abstraites, comme telles, ne sont que les premiers rudimens de notre intelligence. Elle deviennent notre intelligence ellemême, en devenant générales. Nous allons les considérer sous ce point de vue dans la leçon suivante.

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ONZIÈME LEÇON.

Des idées générales.

L'IDÉE de la figure d'un corps que vous tenez dans vos mains est une idée abstraite, une idée qui entrait dans la composition de l'idée totale de ce corps, et que vous en avez séparée pour la considérer seule, pour vous en occuper exclusivement.

Cette idée n'est pas uniquement abstraite; elle est en même temps individuelle; elle vous montre la figure du corps qui est dans vos mains, et non la figure de tout autre corps.

L'idée de l'odeur d'une rose que vous approchez de votre odorat; l'idée de la saveur d'un fruit que vous mettez dans votre bouche; l'idée du son d'une harpe qui flatte vos oreilles, sont autant d'idées, à la fois abstraites et individuelles.

Si vous n'aviez que des idées abstraitesindividuelles, quelles seraient vos connaissances?

Vous verriez des qualités isolées de leurs objets, et il n'en existe pas dans la nature. Ces

qualités seraient isolées les unes des autres, et vous n'apercevriez entre elles aucun rapport.

Il faut donc que plusieurs idées abstraites se réunissent en une idée composée; et il faut aussi que, perdant leur individualité, elles deviennent communes ou générales, afin de nous faire connaître les choses, et comme elles sont en elles-mêmes, et comme elles sont dans leurs rapports.

Nous avons parlé des conditions que doivent réunir les idées composées pour nous donner des connaissances exactes (t. 1, leç. 1). Je n'ajouterai rien à ce que j'ai dit sur la manière de systématiser ces idées, d'en former un tout.

Mais nous avons parlé trop peu des idées générales (t. 1, p. 405); nous leur destinons cette leçon. Les secours que l'esprit retire des idées générales, autant que les abus qu'il en fait, nous imposent le devoir de mettre tous nos soins à les bien connaître.

Comme des traits épars ne forment pas un tableau, des idées dispersées ne sauraient former notre intelligence.

L'intelligence de l'homme est surtout dans les rapport, dans les liaisons; elle est dans l'ordre, dans l'harmonie, dans l'enchaînement des

principes et des conséquences. Voilà les besoins de l'esprit; voilà ses richesses.

Sachons comment les idées perdent leur caractère primitif qui individualise tout, pour prendre un caractère qui rend tout général. L'idée abstraite blancheur, que je suppose nous être venue par l'action des rayons du soleil sur la rétine, ou, pour abréger le langage, que je suppose nous être venue du soleil, peut nous venir aussi de la neige, du lait, d'un lis. L'idée abstraite saveur peut nous venir du pain, du vin, d'une pêche.

L'idée abstraite son peut nous venir d'une cloche, d'un instrument de musique, de la voix d'un homme.

L'idée abstraite odeur, d'une rose, d'un œillet, de l'ambre.

L'idée abstraite dureté, de l'ivoire, du marbre, du fer.

L'idée abstraite attention, du travail de l'esprit, lorsqu'il se porte tout entier sur un objet, sur une question de morale, sur un problème de mathématiques.

L'idée abstraite faculté de l'áme, de l'attention, du désir, de la liberté.

L'idée abstraite rapport, de la similitude, de la grandeur, de la supériorité.

En un mot, une idée abstraite, quelle qu'elle soit, nous vient, ou peut nous venir de tous les objets dans lesquels se trouve une même qualité, un même point de vue, une même

chose.

Or, les mêmes qualités, les mêmes points de vue, sont répétés à l'infini dans les différens objets de la nature : le vert est répété dans toutes les feuilles d'arbre, dans tous les brins d'herbe; la saveur, dans tous les alimens; la forme de chaque animal, dans tous les individus de son espèce; l'étendue, dans tous les corps; le sentiment, dans toutes les âmes : la succession, l'existence, sont en même temps, et dans tous les corps, et dans toutes les âmes.

Les idées abstraites, objet habituel de notre pensée, ne représentent donc pas uniquement /et exclusivement des qualités individuelles déterminées.

L'idée abstraite douleur ne représente pas exclusivement ce qu'on éprouve quand on est tourmenté de la goutte; elle représente ce qu'on éprouve, ou du moins quelque chose de ce qu'on éprouve par un mal de dents, par un mal de tête; elle représente ce qu'on éprouve soi-même, et ce qu'éprouvent les autres.

Mais vous voyez bien que je parle des idées

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