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ainsi dire, presque toutes les autres lui fussent arrachées avec violence. Ce n'est pas en restant oisif que l'homme a trouvé les sciences, et qu'il a inventé les arts. Aussi peut-il, à juste titre, s'en glorifier comme d'une conquête; heureuse conquête qui le récompense magnifiquement de ce qu'il a fait pour l'obtenir. Il a mis un siècle à s'emparer d'une vérité; il en jouira pendant des milliers de siècles. Doit-il se plaindre de sa condition?

« Comme nous sommes condamnés à gagner notre vie à la sueur de notre front, il faut, dit Mallebranche, que l'esprit travaille pour se nourrir de la vérité. Mais croyez-moi, ajoutet-il, cette nourriture des esprits est si délicieuse, et donne à l'âme tant d'ardeur, lorsqu'elle en a goûté, que, quoiqu'on se lasse de la chercher, on ne se lasse jamais de la désirer et de recommencer ses recherches; car c'est pour elle que nous sommes faits. » (Entret. métaph. t. 1, p. 9.)

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NEUVIÈME LEÇON.

Distribution des idées sensibles, intellectuelles et morales, en différentes classes.

AUCUNE idée n'est innée. Aucune idée ne fut originairement gravée dans nos âmes par la main de la nature. Toutes sont dues à notre activité propre. De la sensation, l'esprit fait sortir les idées sensibles; du sentiment de l'action de ses facultés, et du sentiment des rapports, les idées intellectuelles; du sentiment moral, les idées morales.

Ces trois espèces d'idées, ou plutôt ces quatre espèces d'idées, puisque les idées intellectuelles en comprennent deux, se divisent chacune en un certain nombre de classes et de mêmes classes. Elles sont :

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Elles sont simples, composées, collectives, abstraites, générales.

Toutes ces classes n'ont pas, il s'en faut, une égale importance : il suffira presque d'avoir énoncé les premières. Nous nous arrêterons sur les dernières, particulièrement sur les idées abstraites et sur les idées générales. Car, de ces deux sortes d'idées dépend surtout l'intelligence

de l'homme.

Cependant nous ne partageons pas l'opinion de ceux qui rejettent comme inutiles, ou comme mal fondées, la plupart des divisions que nous venons d'indiquer.

Toute idée considérée en elle-même, disentils, est claire, distincte; elle est complète, réelle; elle est encore vraie, s'il est permis d'attribuer aux idées une qualité qui ne convient qu'aux jugemens.

Ces assertions ne sont pas aussi décisives qu'on se l'est imaginé.

Sans doute, rien n'est moins judicieux que de multiplier les classes au delà du besoin. C'était le grand vice de la méthode des scolastiques parmi lesquels je citerais Raimond Lulle s'il restait le moindre souvenir de ses catégories. C'est aussi le vice de quelques modernes, dont les écrits semblent vouloir faire revivre la

barbarie du moyen âge. On veut éclairer les objets, et l'on disperse les rayons de lumière. On veut soulager l'esprit, on le surcharge, on l'accable.

Il y aurait ici moins d'inconvéniens à pécher par défaut que par excès. En divisant trop peu, nous ne voyons pas tout, il est vrai; mais du moins, ce que nous avons sous les yeux, nous le voyons. En divisant trop, au contraire, tout échappe au regard, tout se perd dans la confusion. Confusum est quidquid in pulverem sectum est, a dit Sénèque.

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Un petit nombre de divisions commodes sinon indispensables, et qu'il suffit d'avoir énoncées une fois pour ne plus les oublier, ne méritent pas le reproche de morceler ainsi leur objet, et de l'anéantir, en quelque sorte?

Ceux qui rejettent ces divisions supposent que les idées sont toujours considérées en ellesmêmes, indépendamment de leur objet. Ce n'est pas ainsi que l'entendaient les philosophes qui les premiers ont parlé d'idées claires, distinctes, complètes, réelles. Ils ont prétendu certainement qu'elles représentaient des objets réels, qu'elles les représentaient d'une manière claire et distincte, qu'elles les montraient dans leur intégrité.

Et, sans avoir égard aux rapports qu'une idée peut avoir avec son objet, est-il bien assuré qu'en elle-même, elle ne renferme jamais rien d'obscur, rien de confus, qu'on saisisse toutes les idées élémentaires dont elle se compose, qu'on la distingue infailliblement de toutes les idées qui ont avec elle de l'analogie? Est-il assuré qu'elle soit toujours réelle, qu'elle ne se détruise pas quelquefois elle-même, comme l'idée de ce médiateur, mélange d'esprit et de matière, dont j'ai besoin que vous m'excusiez de vous avoir entretenu à la dernière séance.?

Quant à la vérité des idées, on a tort de la confondre avec la vérité des jugemens. Celle-ci consiste dans la perception ou dans l'affirmation du rapport entre un sujet et son attribut; tandis que la vérité des idées n'est qu'une simple conformité avec leur objet. Copernic et Galilée avaient une idée vraie du système du monde. Ils se le représentaient par une image fidèle. Bacon et Ticho-Brahé en avaient une idée fausse. Ils s'en formaient une image sans ressemblance.

N'appauvrissons pas la langue, en lui ôtant des mots qui servent à marquer les nuances de nos sentimens et de nos opinions. Je conviens que, si vous avez d'un objet une idée très-vraie,

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