Page images
PDF
EPUB

où trouverons-nous la raison de cette correspondance de phénomènes? on l'a cherchée hors de l'homme et dans la divinité même.

5o. Dieu, a-t-on dit, gouverne le monde et tous les êtres qui le composent, d'après les lois suivant lesquelles il les a créés; et comme le monde n'a pu recevoir l'existence que par un acte de la volonté divine, il ne peut persévérer dans l'existence que par la même volonté toujours persévérante. Que Dieu ċesse un instant de le soutenir par sa main toute-puissante, aussitôt il rentrera dans le néant. L'existence des êtres ne se maintient donc que par une créa tion continuellement renouvelée. Dieu est la cause nécessaire de tous les mouvemens des corps et de toutes les modifications des esprits. Or, cela suffit pour nous faire concevoir l'union des deux substances.

Les objets extérieurs impriment à nos organes des mouvemens qui se propagent jusqu'au cerveau; le cerveau n'agit pas immédiatement et réellement sur l'âme; la chose est impossible. C'est Dieu lui-même qui, à la suite des mouvemens du cerveau, et par une loi qu'il a établie de toute éternité, produit une sensation dans l'âme. De même, l'âme a la volonté de mouvoir le bras; mais cette volonté est inefficace

pour produire cet effet. C'est encore Dieu qui, en vertu de la même loi, produit lui-même le mouvement de nos membres. Le corps n'est donc pas la cause réelle des modifications de l'âme, ni l'âme la cause réelle des mouvemens du corps. Cependant, comme l'âme ne serait pas modifiée sans les mouvemens du corps, ni le corps sans une détermination de l'âme, il faut bien que ces mouvemens et ces déterminations soient en quelque manière nécessaires; mais cette nécessité n'est pas absolue, elle n'est qu'hypothétique ou conditionnelle. Les mouvemens du corps et les déterminations de l'âme sont des conditions, mais non pas des causes nécessaires. Ils sont occasions, ou causes occasionelles. Ce système a pris, en conséquence, le nom de système des causes occasionelles. Il appartient à Descartes, et à Mallebranche qui l'a embelli de son imagination.

Je ne sais, Messieurs, si vous trouvez ce système plus satisfaisant que les deux précédens. Vous allez voir que Leibnitz n'en était guère content.

Leibnitz reproche aux cartésiens de faire de l'univers un miracle perpétuel, et d'expliquer l'ordre naturel par une cause surnaturelle, ce qui anéantit toute philosophie. Car la philoso

phie consiste à découvrir les causes secondes qui produisent les divers phénomènes du monde. Vous dégradez la Divinité, ajoute-t-il. Vous la faites agir comme un horloger qui, ayant fait une belle pendule, serait continuellement obligé de tourner l'aiguille avec le doigt pour lui faire marquer les heures. Un habile mécanicien monte d'abord sa machine, et elle va d'elle-même pendant un certain temps. Dieu, lorsqu'il a créé l'homme, en a disposé toutes les parties et toutes les facultés de telle manière qu'elles pussent exécuter leurs fonctions, depuis le moment de la naissance jusqu'à celui de la mort. En bonne philosophie, comme au théâtre, il ne faut jamais faire intervenir la Divinité, à moins que son assistance ne soit absolument nécessaire.

4°. Je pense avoir trouvé, continue Leibnitz, quelque chose de plus philosophique. Dieu, avant de créer les âmes et les corps, connaissait tous ces corps et toutes ces âmes. Il connaissait aussi tous les corps possibles, et toutes les âmes possibles. Or, dans cette variété infinie d'âmes possibles et de corps possibles, il devait se rencontrer des âmes dont la suite des perceptions et des déterminations correspondit à la suite des mouvemens que devait

exécuter quelqu'un des corps possibles. Car, dans un nombre infini d'âmes, et dans un nombre infini de corps, se trouvent toutes les espèces de combinaisons. Supposons maintenant que d'une âme, dont la suite des modifications correspond exactement à la suite des mouvemens que doit exécuter un certain corps, et de ce corps dont les mouvemens successifs correspondent aux modifications successives de cette âme, Dieu fasse un homme. Voilà entre les deux substances qui forment cet homme', la plus parfaite harmonie. Partisans de l'influx, du médiateur, des causes occasionelles, vous faites de vains efforts pour rendre raison du commerce réciproque de l'âme et du corps. II n'y a aucun commerce " aucune communication, aucune influence. L'âme passe d'un état à un autre état, d'une perception à une autre perception, par sa seule nature. Le corps exécute la suite de ses mouvemens, participe en rien. Le corps et l'âme sont comme deux horloges parfaitement réglées qui marquent la même heure, quoique le ressort qui donne le mouvement à l'une, ne soit pas le ressort qui fait marcher l'autre. Ainsi l'harmonie qui paraît unir l'âme et le corps, est indépendante de leur action réciproque. Cette

TOME II.

sans que

l'âme

17

y

harmonie a été établie avant la création de l'homme; elle a été établie d'avance; c'est pourquoi je l'appelle harmonie préétablie.

D'après un tel système, si l'àme de César âgé de vingt ans, eût été anéantie, le corps de César n'en aurait pas moins assisté aux délibérations du sénat : il aurait commandé les armées, harangué les soldats ; il aurait passé dix ans dans les Gaules pour en faire la conquête ; il serait revenu à Rome pour usurper la dictature. Et si, au contraire, à ce même âge, le corps de César avait cessé d'exister, son âme n'en aurait pas moins résolu de faire tout ce que César a fait jusqu'à sa mort.

Je ne parle pas des atteintes qu'un pareil système porte à la liberté. Comment, en effet, concilier la liberté dont nous jouissons, avec une suite de manières d'être qui toutes dérivent du premier état où l'âme s'est trouvée au moment de la création?

On sait ce qui arriva à Volf. I enseignait l'harmonie préétablie dans une ville de Prusse, du temps de Frédéric-Guillaume. Ce roi avait une antipathie décidée pour les beaux-arts pour toute littérature, et pour toute philosophie. Un ennemi de l'harmonie préétablie observa que Volf justifiait les soldats déserteurs,

« PreviousContinue »