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pas immédiatement des sens, ne seraient point, à proprement parler, des idées, mais des mots, de purs mots, auxquels ne correspondrait aucune réalité. Après tout ce que nous avons dit dans les leçons précédentes, je ne m'arrête pas sur une chose aussi évidemment fausse.

Les autres, et c'est le plus grand nombre, pensent avec Locke, avec Gassendi, que des sens, il ne nous vient immédiatement que les premières idées, les idées sensibles, et que les idées intellectuelles, et les idées morales sont le produit du travail de la réflexion appliquée aux idées sensibles.

Les philosophes qui tiennent pour ce sentiment, sont dans la nécessité de prouver que toutes et chacune des idées qui sont dans notre intelligence, nous sont venues par les sens, soit immédiatement, soit à l'aide de la réflexion; et c'est aussi ce qu'ils ont essayé. Mais tous les efforts du génie n'ont pu en venir à bout, car le génie ne peut pas changer la nature des choses; il ne fera pas qu'il n'y ait qu'une origine d'idées, quand la nature a voulu qu'il y eût quatre origines. (leç. 2 et 3.)

Ce n'était pas assez de chercher à démontrer que toutes les idées viennent des sens. On a

voulu expliquer comment elles en viennent, comment un ébranlement dans l'organe est suivi d'une idée dans l'âme. Et ceci n'est pas particulier aux philosophes qui voient dans les sens l'origine de toutes les idées; il a suffi à d'autres d'en faire dériver quelques-unes de la même source, pour se croire obligés de nous montrer le lien de communication qui unit la substance matérielle à la substance immatérielle.

Voici ce qu'ont imaginé pour résoudre ce problème, et ceux qui prétendent que toutes les idées, sans aucune exception, viennent des sens, et ceux qui veulent qu'il n'en vienne qu'une partie.

Il s'agit de montrer comment des impressions sur les sens occasionent des idées dans l'âme. On a dit :

1o. Les objets extérieurs, en frappant nos organes, leur communiquent un mouvement qui se transmet au cerveau. Le cerveau agit sur l'âme, et l'âme a une idée ou une sensation; car on a presque toujours confondu ces deux choses. L'âme ayant ainsi une sensation, est affectée en bien ou en mal. Si elle souffre, elle cherche à se délivrer de la douleur. Elle agit à son tour sur le cerveau, qu'elle remue;

le cerveau remue l'organe, et l'organe écarte, ou s'efforce d'écarter l'objet cause de la sensation.

Dans ce système, le cerveau est le siége de l'âme. On la compare à une araignée placée au centre de sa toile. Dès qu'il se fait le moindre mouvement aux extrémités, l'insecte est averti, et il se tient sur ses gardes. De même, l'âme placée à un point du cerveau auquel aboutissent les filets nerveux, est avertie de ce qui se passe dans les différentes parties du corps; et à l'instant elle apporte des secours, où elle les juge nécessaires. Le corps agit donc réellement sur l'âme, et l'âme agit réellement sur le corps. Cette action, cette influence, étant réelle ou physique, on a dit que le corps fluait physiquement sur l'âme, et l'âme physiquement sur le corps; et l'on a donné à ce système le nom d'influence physique, ou d'influx physique.

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Ce système est extrêmement simple; mais la simplicité n'a de prix qu'autant qu'elle est unie avec la vérité. Le corps étant une substance étendue, et l'âme une subtance inétendue, conçoit-on l'action physique de l'une sur l'autre? Tangere enim aut tangi nisi corpus nulla potest res, a dit Lucrèce; une chose ne peut tou

cher ou être touchée qu'autant qu'elle est corps, qu'autant qu'elle a des parties. L'âme ne saurait donc recevoir le contact du corps; et l'influx physique est impossible.

Euler, dans ses Lettres à une princesse d'Allemagne, adopte ce système, en le modifiant ; il n'admet pas de contact entre l'âme et le corps. L'âme, dit-il, a la perception du mouvement des fibres du cerveau, et cette perception lui donne des sensations agréables ou désagréables, selon que les rapports qui se trouvent entre les mouvemens des fibres, sont plus ou moins faciles à apercevoir.

Cette opinion est démentie par l'expérience; car il n'est pas vrai que l'âme s'aperçoive des mouvemens des fibres du cerveau; elle ne sait pas même qu'il existe un cerveau, et nous l'ignorerions, si on ne nous l'eût appris. D'ailleurs la sensation ne dérive pas de la perception; c'est le contraire, car nous sentons avant

tout.

2o. Pour rendre raison de ce commerce entre l'esprit et la matière, Cudwort, philosophe anglais, a imaginé un agent intermédiaire entre l'âme et le corps. Cet agent, interposé entre deux substances de nature contraire, participe de l'une et de l'autre ; il est en partie ma

tériel, et en partie spirituel. Comme il est ma tériel, le corps peut agir sur lui; et comme il est spirituel, il peut agir sur l'âme. C'est comme le moyen terme entre les deux extrêmes d'une proportion continue. C'est un pont jeté sur les deux bords de l'abîme qui sépare la matière de l'esprit. Cet agent faisant en quelque sorte l'office de médiateur, on lui en a donné le nom.

Un pareil médiateur n'est bon à rien. C'est une espèce d'amphibie, qui, pour vouloir réunir en une seule nature deux natures opposées, s'anéantit lui-même. Entre une substance étendue et une substance inétendue, il n'y a pas de milieu. Si le médiateur n'est ni esprit ni corps, c'est une chimère; c'est une chimère; s'il est tout à la fois esprit et corps, c'est une contradiction; ou si, pour sauver la contradiction, vous voulez qu'il soit, comme nous, la réunion de l'esprit et de la matière, il a lui-même besoin d'un médiateur.

L'influx physique et le médiateur laissent à la difficulté toute sa force; on ne voit pas comment l'âme et le corps se modifient réciproquement. Néanmoins le fait reste. Toutes les fois que le corps reçoit quelque impression, l'âme éprouve une sensation; et lorsque l'âme prend une détermination, le corps l'exécute :

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