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mière fois à la lumière, voit sans doute; mais ne croyez pas qu'il soit affecté par la diversité des couleurs. Toutes se réunissent en une sensation confuse, dans laquelle il ne démêle rien, et dans laquelle il ne pourra rien démêler jusqu'au moment où le regard aura opéré ce démêlement.

Si nous ne faisions que voir sans jamais regarder, tout nous assure que le sens de la vue serait impuissant à nous donner la moindre idée.

Qui n'a pas éprouvé qu'on peut avoir cent fois, et les yeux bien ouverts, parcouru la longueur d'une rue, sans en connaître autre chose que la direction, et le point où elle aboutit, parce que ce sont les seules choses qu'on aura remarquées?

A voir la multitude des monumens d'architecture, des ouvrages de sculpture et de peinture, qui ornent les places, les palais, et qu'on rencontre partout dans une grande capitale, ne dirait-on pas qu'il est impossible que, de tant d'impressions qui se renouvellent à chaque instant, il ne sorte une foule d'idées? Vous savez ce qui en est, et jusqu'où vont, dans les beaux-arts, les connaissances du peuple. Il a des yeux qui reçoivent l'impression des chefs

d'oeuvre; mais, distrait par d'autres soins, et par d'autres intérêts, il ne s'en sert pas pour regarder.

Que ceux qui prétendent que l'attention n'est pas toujours indispensable pour acquérir des idées, nous expliquent comment il se fait que dans une ville comme Paris, dont les murs sont couverts de toutes sortes d'écritures, d'adresses, d'enseignes, d'affiches, il se trouve, et non pas en petit nombre, des hommes de cinquante, de soixante ans, qui ne connaissent pas les lettres de l'alphabet, des lettres qui n'ont cessé de frapper leurs yeux, depuis leur première enfance. Pour se faire des idées par le moyen de l'oeil, il ne suffit donc pas de voir, de sentir, il est nécessaire de regarder, de donner son attention!

Vous raisonnerez sur tous les sens comme sur le sens de la vue; et vous concluerez avec certitude, qu'un être organisé comme nous le sommes, mais de manière, s'il est permis de le supposer, à ne jamais donner son attention, à ne jamais faire un usage actif de ses sens, à recevoir toujours passivement l'impression des objets, n'aurait aucune idée sensible, absolu

ment aucune.

Or, dès qu'il est une fois démontré que l'ac

tion de l'âme est la cause productrice des idées sensibles, de ces idées qu'on acquiert avec une telle facilité qu'elles semblent naître spontanément des sensations, qu'elles semblent se con fondre avec les sensations, que presque tous les philosophes ont confondues avec les sensations, il est démontré sans doute, que les idées intellectuelles et les idées morales, dont le plus grand nombre échappent à tant d'esprits, sont aussi le produit de l'action de l'âme, lorsque cette action s'applique aux trois autres manières de sentir, soit par la simple attention, soit par la comparaison, soit par le raisonne

ment.

Je n'ajouterais rien à ces réflexions, si toutes nos idées étaient absolues; mais nous avons des idées relatives, des idées de rapport; et ces idées jouent le plus grand rôle dans l'intelligence. Il est donc nécessaire de les considérer en particulier, afin de savoir en quoi elles diffèrent des idées absolues.

Je vous demande ce qui résulte en vous aujourd'hui de la présence d'une idée sensible. Remarquez bien que je ne vous demande pas ce qui résulte des premières idées sensibies qu'acquiert un enfant en venant au monde.

Vous répondez que l'idée sensible nous mon

tre un corps, un objet extérieur à l'âme, ou quelque qualité de cet objet.

Que résulte t-il de l'idée d'une faculté de l'âme? Elle nous fait connaître une faculté de l'âme.

Que résulte-t-il d'une idée morale? Elle nous fait connaître un acte moral, un acte produit par la volonté d'un agent libre, quand nous jugeons cet acte conforme ou contraire aux lois.

Ainsi donc, aux idées sensibles, aux idées des facultés de l'âme, aux idées morales, correspondent des réalités, des choses réelles qui sont en nous, ou hors de nous, et que ces idées nous font connaître.

Mais si je vous demande quelle est, en vous ou hors de vous, la réalité qui correspond à une idée de rapport, à une idée de ressemblance, à une idée d'égalité; peut-être éprouverez-vous quelque embarras pour me répondre.

Comparons les idées absolues aux idées de rapport.

Je suppose que, l'œil recevant l'impression simultanée de toutes les lettres qui composent un mot entier, le regard vienne à se fixer sur une seule de ces lettres : à l'instant la sensation produite par cette lettre se démêle des autres

sensations; elle les domine, elle est mieux sentie, et nous avons une idée sensible. De la même manière, nous en obtiendrons une seconde, une troisième, etc.

Or, lorsque par la direction de l'organe sur les objets de nos sensations, et par l'application de l'activité de l'âme aux sensations ellesmêmes, nous avons acquis plusieurs idées sensibles, et qu'elles sont à la fois présentes à l'esprit, il arrive souvent que nous sentons entre ces idées des ressemblances ou des différences; et alors nous pouvons continuer à déployer notre activité sur ces idées, comme nous pouvons la laisser oisive. Dans ce dernier les idées, quoique présentes, se montrent faiblement à l'esprit, et nous sentons à peine qu'elles se ressemblent ou qu'elles diffèrent. Mais si l'action de l'âme continue à se porter, et à se porter avec plus de force sur ces idées, le sentiment de leur ressemblance, ou de leur différence, prend aussitôt de la vivacité; il devient idée de ressemblance, ou de différence.

cas,

Il n'en est pas de cette nouvelle idée, comme de l'idée sensible. L'idée sensible dérive d'une

sensation qui suppose la présence d'un objet extérieur. L'idée de ressemblance ou de diffé

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