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3o. Les idées sensibles, alors même qu'on les confondrait avec les sensations, ne peuvent venir, ou être venues des sens, qu'autant qu'elles seraient, ou qu'elles auraient été dans les sens. Comme cette absurdité qu'on dit, n'est pas ce qu'on veut dire (car nous parlons ici des philosophes qui refusent l'intelligence et le sentiment à la matière), il s'ensuit qu'on s'est mal exprimé.

Les idées viennent par les sens. 1°. Cette proposition pèche par sa trop grande généralité, comme la précédente; 2°. elle confond les idées, ou du moins les idées sensibles, avec les sensations; 3°. on donne à entendre que les idées sont primitivement dans les objets extérieurs, et que, pour arriver jusqu'à l'âme, elles passent à travers les sens à certainement ce n'est pas cela qu'on veut dire.

Mais, qui peut ainsi prendre ces proposi→ tions à la lettre? qui ne voit qu'on a voulu dire seulement que les l'idées ont leur origine dans la sensation, dans la modification que l'âme reçoit à l'occasion des mouvemens du corps?

Qui? lisez ce qui s'écrit; vous verrez qu'on demande encore aujourd'hui à ceux qui font venir les idées par les sens, si elles sont blanches ou noires, rondes ou carrées, pour être

entrées par la vue, ou par le toucher; vous verrez qu'on se porte, envers ceux qui font venir les idées des sens, comme envers ceux qui les font venir par les sens, jusqu'à les accuser de professer le matérialisme, et d'être les corrupteurs de la morale. Il est vrai que c'est par une déplorable confusion d'idées qu'on fait ces ridicules questions, et qu'on se livre à de pareils excès. On confond d'abord les idées sensibles avec les sensations, ensuite les sensations avec les impressions faites sur les organes; après quoi il n'est plus étonnant qu'on ne voie dans les idées qu'un simple mouvement de la matière, et dans l'homme qu'une machine soumise aux lois de la nécessité.

Un langage plus exact, une précision plus grande dans les énoncés, auraient prévenu ces imputations aussi absurdes qu'odieuses: mais continuons.

Les idées ont leur source dans la sensation ou dans la réflexion. Ceci laisse beaucoup à désirer sans doute; cependant on aperçoit une grande amélioration 1. les sensations ont pris la place des sens; 2°. dans la réflexion, on voit indiquée une seconde source d'idées; et quoique la réflexion ne soit pas une source d'idées (leç. 4), on n'a pu l'ajouter aux sensa

tions sans avoir reconnu l'insuffisance d'une source unique.

Nihil est in intellectu quod priùs non fuerit in sensu. Rien n'est dans l'entendement qui n'ait été auparavant dans le sens. Il y a peu de sentences qui aient joui de l'infaillibilité d'un axiome aussi long-temps que celle-là; peu qui aient été reçues avec un assentiment aussi universel.

Que dira-t-on, si, outre sa fausseté, elle renferme trois vices d'expression qui permettent de l'interpréter de trois manières différentes ?

Nihil, rien. Comment entendrons-nous ce mot? Locke lui fait signifier aucune de nos idées, aucune de nos connaissances. Condillac entend par le même mot, aucune de nos idées, comme Locke, et de plus, aucune des facultés de notre âme. Quel est celui qui a mieux pénétré le véritable sens du prétendu axiome?

In intellectu, dans l'entendement. Est-ce de l'âme qu'il s'agit? est-ce d'une faculté de l'âme? est-ce d'une faculté qu'on voudrait supposer appartenir ou au corps ou à l'âme? est-ce de la réunion de toutes les idées? car le mot entendement a reçu toutes ces significations.

In sensu, dans le sens. Veut-on parler des

d'une montre, que nous ne connaissons les élémens constitutifs de la pensée. Nous l'avions déjà dit (t. 1, p. 176-77); nous nous plaisons à le redire, pour appeler de nouveau la critique la plus sévère, et nous délivrer d'une illusion, si nous nous sommes laissés séduire par une fausse lumière.

3o. « L'idée de la pensée n'a pas son origine dans les sens; donc l'âme forme cette idée de soi-même. >>

S'il était démontré, d'un côté, qu'il n'y a pas d'autre origine d'idées que les sens, et, de l'autre, que l'idée de la pensée ne vient pas des sens; il est clair que l'idée de la pensée se trouverait sans origine; et alors, on serait bien forcé d'avancer, ou que cette idée est innée, ou que l'âme l'a produite d'une manière quelconque.

Mais nous savons aujourd'hui, à n'en plus douter, que les sens ne sont pas la seule origine de nos idées; par conséquent, de ce que l'idée de la pensée n'a pas son origine dans les sens, on n'a pas le droit de conclure que l'âme la forme de soi-même; car une idée qui n'a pas son origine dans les sens, ou plutôt dans les sensations, peut l'avoir dans une autre ma

nière de sentir: la conclusion du raisonnement n'est donc pas nécessaire.

4°. Examinons cette conclusion en elle-même, et isolée du principe dont on la déduit : l'âme forme de soi-même l'idée de la pensée. Je vous demande, non pas si vous saisissez la vérité ou la fausseté de cette proposition, mais si vous en comprenez le sens, si vous pouvez lui en prêter un.

L'âme fait-elle de rien l'idée de la pensée ? la forme-t-elle avec quelque matière préexistante renfermée dans sa substance?

Si elle la fait de rien, elle a donc la puissance de créer; si elle la forme avec une matière préexistante, qu'on nous dise quelle est cette matière préexistante. Ce n'est pas la sensation, puisque c'est pour écarter les sensations. qu'on attribue à l'âme un pouvoir indépendant; ce n'est pas quelqu'une des trois autres manières de sentir; on n'en soupçonne pas l'exis

tence.

Qu'est-ce donc ? quelque idée endormie peutêtre, ideæ quæ manent sopita; mais alors il ne faudrait dire que pas l'âme forme ses idées, il faudrait dire qu'elle les réveille; et nous demanderions ce que c'est que des idées qui dorment, et comment on les réveille. Nous pour

TOME II.

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