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rions ajouter que des idées qu'on réveille existent déjà, et que, par conséquent, on ne les forme

pas.

Le raisonnement de l'auteur de la Logique de Port-Royal, bon contre ses adversaires, pèche donc en lui-même ; et l'on ne saurait se défendre de le trouver également vicieux, et dans le fond, et dans la forme.

Après vous être convaincus qu'on ne peut rendre raison de l'idée de la pensée, ni en suivant les philosophes qui enseignent que toutes les idées sont originaires des sens, ni d'après les philosophes de l'école opposée, vous ne me demanderez pas où se trouve la raison de cette idée. Vous le savez déjà. La réponse est aussi simple qu'évidente: l'idée de la pensée a sa raison, ou son origine, dans le sentiment de la pensée.

Comment a-t-on pu ne pas apercevoir une vérité que l'analogie la plus naturelle semble mettre sous les yeux?

D'où viennent les idées sensibles? elles viennent des sens, des sensations, des sentimenssensations.

D'où viennent les idées des couleurs? elles viennent du sentiment des couleurs, de la sensation des couleurs.

Suivez cette analogie, et vous avez l'origine de toutes les idées.

D'où vient l'idée des facultés de l'âme, de l'action de l'âme, de la pensée ? elle vient du sentiment des facultés de l'âme, du sentiment de l'action de l'âme, du sentiment de la pensée. D'où viennent les idées de rapport? des sentimens de rapport.

D'où viennent les idées morales? des sentimens moraux.

Tout confirme done notre théorie, et les preuves directes que nous en avons données, et les vices des autres doctrines, et la facilité avec laquelle nous expliquons des choses qui n'avaient jamais été expliquées.

Malgré ses défauts, l'argument de Port-Royal contre Gassendi et contre Hobbes est le plus solide qu'on ait opposé aux partisans des idées originaires des sens. Aussi l'a-t-on reproduit contre Locke et contre Condillac, mais toujours en lui faisant perdre de sa force, parce qu'on le présentait mal, et parce qu'on voulait le faire servir à appuyer des doctrines plus éloignées encore de la vérité, et plus contraires à l'expérience, que la doctrine qu'on attaquait.

Quelquefois, à l'idée de la pensée, ou, ce qui est la même chose, aux idées intellec

tuelles des facultés de l'âme, on a substitué les idées morales; et, comme Port-Royal demandait à Gassendi de quelle couleur est la pensée, on a demandé à Locke et à Condillac de quelle couleur est la morale. On leur a reproché de vouloir faire de la morale avec des sons, des saveurs, etc.; on a été jusqu'à les accuser d'anéantir toute morale avec leur fausse philosophie.

Quand on fait de pareilles objections; quand on se permet des inculpations aussi graves, sans s'être bien assuré qu'elles sont fondées, on s'expose étrangement à manquer soi-même à la morale.

Les sensations, les cinq espèces de modifications que l'âme reçoit à la suite des impressions faites sur les organes, peuvent être considérées chacune dans ce qu'elles ont de particulier, de caractéristique; et toutes, dans ce qu'elles ont de commun (leç. 2). Sous le premier point de vue, elles sont, couleur, son, saveur, odeur, chaleur, etc.; sous le second point de vue, elles affectent l'âme en bien et en mal; elles l'avertissent de son existence, l'âme prend connaissance de ses affections et d'elle-même.

Or, ce n'est pas du premier point de vue,

que des philosophes auxquels on accorde le sens commun, ont pu vouloir faire naître les idées morales: c'est du second.

Avec des couleurs, on fera des tableaux; avec des sons, on fera de la musique; on ne fera pas de la morale.

: Mais, dans le sentiment de plaisir et de douleur, dans la conscience du bien-être ou du mal-être qui nous viennent de nos semblables, sentiment et conscience qu'on identifiait avec la sensation, qu'on appelait sensation, on a eru trouver les premières notions du juste et de l'injuste.

Voilà ce qu'on pouvait, et ce qu'il fallait attaquer, et non pas le rouge ou le bleu, le grave ou l'aigu, qui sont étrangers à la question, et qui n'y fussent jamais entrés, si elle avait

été posée par une raison plus éclairée.

Je ne continuerai pas l'examen de ce qu'on a dit pour résoudre le problème de l'origine de nos connaissances. Nous trouverions toujours, ou erreurs, ou inexactitudes: les uns, sous le vain prétexte d'une perfection chiméque, ont voulu soustraire la raison de l'homme à toute influence de la sensibilité; les autres, n'ayant pas aperçu tous les modes de la sensibilité, et trompés par le mot sensibilité même,

ont demandé aux sensations plus qu'elles ne pouvaient donner; ils ont cru tenir d'elles ce qui leur venait de quelque autre manière de sentir; et cette méprise les a trop souvent égarés quant aux premiers, ils n'ont jamais été

sur la bonne route.

Les philosophes ont donc mal raisonné, en traitant la question de l'origine des idées. Voyons si ceux qui se sont le moins éloignés de la vérité ont mieux parlé qu'ils n'ont raisonné. Je serai sévère jusqu'à la minutie; mais les vices du langage que je relèverai ont fait, et font encore tant de mal, qu'on devra me trouver trop indulgent.

On dit : les idées viennent des sens. J'observe d'abord que cette proposition est fausse dans sa généralité. On attribue à toutes les idées ce qui ne convient qu'aux idées sensibles : on suppose qu'il n'existe qu'une seule origine d'idées, quand il est démontré qu'il y en a plusieurs.

2o. En restreignant la proposition aux idées sensibles, et en supposant que des sens il pût venir quelque chose à l'âme, ce seraient de simples sensations, et non des idées sensibles; l'âme reçoit les sensations; elle ne reçoit pas les idées sensibles; elle les fait elle-même, en agissant sur les sensations.

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