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Mais, si l'on a fait voir d'une manière satisfaisante, et qui laisse aujourd'hui très-peu à désirer, dans quel ordre les principales idées d'où résulte l'intelligence se montrent successivement à l'esprit, on n'a jamais prouvé, et l'on ne prouvera jamais, qu'elles dérivent toutes d'une seule et même origine. On n'a jamais prouvé, et l'on ne prouvera jamais, que l'idée d'une faculté de l'âme dérive de la sensation, qu'elle soit une modification de la sensation, une transformation de la sensation.

L'auteur de la Logique de Port-Royal est donc fondé à trouver déraisonnable qu'on veuille faire sortir l'idée de la pensée, de la même source que les idées sensibles. Mais l'opinion qu'il embrasse lui-même, est-elle plus raisonnable que celle qu'il repousse?

« L'idée de la pensée ne tire pas son origine des sens; elle n'en vient ni immédiatement, ni médiatement: donc l'âme a la faculté de la former de soi-même. »

Quelle conséquence! Il aurait fallu, pour la justifier, démontrer l'impossibilité de toute autre origine d'idées les sens; que les il aurait fallu que nous pussions bien comprendre ce qu'on disait, quand on prononçait ces mots : l'âme a la faculté de former des idées de soi-même ;

il aurait fallu, avant tout, nous dire clairement ce que c'est que l'idée, ce que c'est que la pensée. Aucune de ces conditions n'a été remplie.

1o. Demandez-vous à l'auteur ce que c'est que l'idée, il vous répond : « Nous appelons du nom d'idée tout ce qui est dans notre esprit, lorsque nous pouvons dire avec vérité, que nous concevons une chose de quelque manière que nous la concevions. » (Log. de PortRoyal, p. 7.)

Vous me dispensez de vous faire remarquer l'obscurité d'une définition que vous comprenez à peine; et d'ailleurs, concevoir et avoir idée étant une même chose, ne voit-on pas que la première de ces expressions ne saurait expliquer la seconde ?

2o. Lui demandez-vous ce que c'est que la pensée, il vous répond: « Il ne faut pas demander que nous expliquions le mot pensée. Ce terme est du nombre de ceux qui sont si bien entendus par tout le monde, qu'on les obscurcirait en voulant les expliquer. » ( Idem, p. 12.)

Nous avons essayé de l'expliquer ce terme, ou ce mot pensée, en déterminant la chose

qu'il exprime; et nous osons croire que nous n'avons obscurci ni le mot, ni la chose.

L'idée de la pensée se compose de deux idées partielles, celle de l'entendement et celle de la volonté : chacune de ces deux idées partielles comprend à son tour trois idées; l'idée de l'entendement, celles de l'attention, de la comparaison et du raisonnement; l'idée de la volonté, celles du désir, de la préférence et de la liberté ; en sorte que, dans l'idée de la pensée, se trouvent réunies les idées des six facultés de l'âme; et, dans la valeur du mot pensée, cumulées les valeurs des six mots qui désignent les six facultés (t. 1, leç. 4).

Ces six facultés, dont la réunion constitue la pensée, ou la faculté de penser, nous sont connues chacune en elle-même; nous connaissons leurs rapports immédiats, ou leurs origines particulières; nous connaissons encore l'origine qui leur est commune à toutes, et de laquelle elles dérivent toutes.

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L'idée que nous avons de la pensée se trouve donc déterminée de la manière la plus exacte, et la plus rigoureuse; aucune des idées qui sont dans l'esprit de l'homme ne peut avoir un plus grand degré de clarté; l'horloger le plus habile ne connaît pas mieux le mécanisme

d'une montre, que nous ne connaissons les élémens constitutifs de la pensée. Nous l'avions déjà dit (t. 1, p. 176-77); nous nous plaisons à le redire, pour appeler de nouveau la critique la plus sévère, et nous délivrer d'une illusion, si nous nous sommes laissés séduire par une fausse lumière.

3o. « L'idée de la pensée n'a pas son origine dans les sens; donc l'âme forme cette idée de soi-même. »

S'il était démontré, d'un côté, qu'il n'y a pas d'autre origine d'idées que les sens, et, de l'autre, que l'idée de la pensée ne vient pas des sens; il est clair que l'idée de la pensée se trouverait sans origine; et alors, on serait bien forcé d'avancer, ou que cette idée est innée, ou que l'âme l'a produite d'une manière quel

conque.

Mais nous savons aujourd'hui, à n'en plus douter, que les sens ne sont pas la seule origine de nos idées; par conséquent, de ce que l'idée de la pensée n'a pas son origine dans les sens, on n'a pas le droit de conclure que l'âme la forme de soi-même; car une idée qui n'a pas son origine dans les sens, ou plutôt dans les sensations, peut l'avoir dans une autre ma

nière de sentir: la conclusion du raisonnement n'est donc pas nécessaire.

4°. Examinons cette conclusion en elle-même, et isolée du principe dont on la déduit : l'âme forme de soi-même l'idée de la pensée. Je vous demande, non pas si vous saisissez la vérité ou la fausseté de cette proposition, mais si vous en comprenez le sens, si vous pouvez lui en prêter un.

L'âme fait-elle de rien l'idée de la pensée ? la forme-t-elle avec quelque matière préexistante renfermée dans sa substance?

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Si elle la fait de rien, elle a donc la puissance de créer; si elle la forme avec une matière préexistante, qu'on nous dise quelle est cette matière préexistante. Ce n'est pas la sensation, puisque c'est pour écarter les sensations qu'on attribue à l'âme un pouvoir indépendant; ce n'est pas quelqu'une des trois autres manières de sentir; on n'en soupçonne pas l'exis

tence.

Qu'est-ce donc ? quelque idée endormie peutêtre, idec quæ manent sopite; mais alors il ne faudrait pas dire que l'âme forme ses idées, il faudrait dire qu'elle les réveille; et nous demanderions ce que c'est que des idées qui dorment, et comment on les réveille. Nous pour

TOME II.

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