Page images
PDF
EPUB

QUATRIÈME LEÇON.

ÉCLAIRCISSEMENS SUR LA NATURE DES IDÉES.

Des idées dans leur rapport aux images, aux souvenirs et aux jugemens.

Les conclusions auxquelles viennent de nous - conduire les trois leçons précédentes, quoique appuyées sur des faits qu'on ne peut révoquer en doute, demandent à être appuyées encore. Je le sentais avant qu'on me l'eût témoigné par diverses questions, et par diverses objections qu'on m'a adressées. Je vais tâcher d'éclairer d'un nouveau jour les objets que j'ai mis sous vos yeux. D'une plus grande clarté résultera, Je l'espère, une conviction plus grande. Rappelons d'abord ce que nous avons voulu établir.

L'âme agit sur les sensations; elle a des idées sensibles: elle agit sur les sentimens qui lui viennent de l'exercice de ses facultés, et sur les sentimens de rapport; elle a des idées intellectuelles : elle agit sur les sentimens moraux; elle a des idées morales.

Abandonnée à elle-même, la sensibilité ne deviendra jamais l'intelligence. La moindre idée sensible excède les bornes d'une nature toute passive des facultés qu'on n'a pas, des rapports qu'on n'a jamais sentis, ne sauraient être connus; et les idées morales ne peuvent se trouver où manquent toute idée sensible, et toute idée intellectuelle. (leç. 2 et 3. )

C'est donc l'activité qui fait éclore les germes que la nature a déposés dans le sentiment; c'est l'activité qui, s'appliquant tour à tour aux différentes manières de sentir, forme l'intelligence; elle la fait naître, elle la développe, elle lui donne toute sa perfection.

Telle est la doctrine aussi simple que sûre dont il ne nous sera pas permis de nous écarter. Nous l'avions déjà annoncée, lorsque dans un langage peu exact, il est vrai, nous n'avions pas eraint de mettre en avant que, dans l'esprit humain, tout se réduit aux sensations, au travail sur les sensations, etc. (t. 1, p. 109.) Nous savons aujourd'hui que les sensations ne sont pas le seul principe de connaissance; que les sentimens éprouvés à la suite de l'impression des objets ne sont pas la source unique de nos idées. Nous nous sommes assurés qu'il est d'autres manières de sentir, d'autres sentimens qui

;

sont principes de connaissance, sources d'idées. C'est donc le sentiment et non la sensation qu'il semble que nous aurions dû nommer alors mais, en nous exprimant avec plus de vérité, nous nous serions exposés à n'être pas entendus; et, en commençant, nous étions obligés de parler moius bien, pour paraître plus clairs.

Comment se fait-il que des choses qui se présentent si naturellement aient échappé à tous les philosophes, et que depuis des siècles on dispute sans rien éclaircir, sans qu'il soit possible de prévoir un terme aux disputes? Un tel phénomène mérite qu'on l'explique.

On le concevra si, remontant à la source des malentendus et des divisions, on observe que la question de l'origine des idées fut d'abord mal posée par les anciens philosophes, et que depuis, on s'est toujours obstiné à vouloir en donner la solution sans songer à la poser autrement. On l'avait ramenée en effet, et on la ramène encore de nos jours à une disjonctive dont les deux membres sont également faux. Les uns disent: Toutes les idées viennent des sens; toutes ont une origine unique et commune, la sensation. Les autres disent: aucune idée ne vient des sens; plusieurs du

[ocr errors]

moins ne sauraient en venir; un grand nombre, toutes peut-être sont innées.

Les premiers prouvent fort bien que les idées ne sont pas innées, mais fort mal qu'elles vien, nent toutes des sens. Les seconds prouvent fort bien aussi, ou plutôt ils ont raison de penser, qu'il y a des idées qui ne viennent pas des sens; mais ils prouvent fort mal, en même temps, qu'elles sont innées.

Cependant on s'en tient toujours à ce dilemme ou les idées viennent des sens, ou elles sont innées; il n'y a pas de milieu.

Il y a un milieu, il y en a plus d'un. Il y a trois milieux entre ces deux propositions; car, entre les sens, unique origine des idées, et les idées innées, il y a trois manières de sentir, qui sont autant d'origines spéciales d'idées (lec. 2).

Les partisans des deux doctrines ne pouvaient donc, ni résoudre la question de l'origine des idées, ni se rapprocher entre eux. Les uns et les autres voyaient avec une entière évidence qu'il y avait erreur dans l'opinion de leurs adversaires : ils s'abusaient, en concluant de cette erreur que leur opinion propre était la vérité.

Ce qui aurait suffi pour empêcher de bien

poser la question de l'origine des idées, c'est que le plus souvent on confondait trois choses distinctes; la nature des idées, leur origine et leur cause. On croyait avoir constaté la cause d'une idée quand on avait découvert son origine, ou s'être assuré de son origine, quand on avait reconnu sa cause, ou enfin qu'il suffisait de la nature et de la cause d'une idée, sans qu'il fût nécessaire de remonter à son origine.

Locke lui-même regarde la réflexion comme une source d'idées ; et Condillac, qui le blâme, ne voit dans cette faculté qu'un canal par lequel les idées dérivent des sens. La réflexion n'est pas une source, une origine d'idées; elle n'est pas non plus un canal de dérivation ; la réflexion est une cause d'idées.

On était plus excusable, ce semble, de confondre la nature des idées avec leur originė; car, si l'on ne voit pas toujours l'origine dans la nature, on voit toujours la nature dans l'origine.

Vous savez que tous les points de la circonférence d'un cercle sont à égale distance du centre; vous connaissez la nature du cercle; vous pourriez cependant ignorer son origine; car vous pourriez ne vous être pas aperçu de la manière dont il se forme. Mais quand on con

« PreviousContinue »