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qu'il essaya une dernière fois et ne réussit qu'à ce faire reprendre après quatre heures d'absence. Trois ans pour ces quatre heures. Dix-neuf ans. En octobre 1815 il fut libéré; il était entré là en 1796 pour avoir cassé un_carreau et pris un pain.

Jean Valjean était entré au bagne sanglotant et frémissant; il en sortit impassible. Il y était entré désespéré; il en sortit sombre. Comme deux heures du matin sonnaient à l'horloge de la cathédrale, Jean Valjean se réveilla.

Ce qui le réveilla, c'est que le lit était trop bon. Il y avait vingt ans bientôt qu'il n'avait couché dans un lit, et, quoiqu'il ne se fût pas déshabillé, la sensation était trop nouvelle pour ne pas troubler son sommeil. Il avait dormi plus de quatre heures. Sa fatigue était passée. Il était accoutumé à ne pas donner beaucoup d'heures au repos. Il ouvrit les yeux, et regarda un moment dans l'obscurité autour de lui, puis il les referma pour se rendormir. Il ne put se rendormir, et il se mit à penser.

Il était dans un de ces moments où les idées qu'on a dans l'esprit sont troublées. Il avait une sorte de va-et-vient obscur dans le cerveau. Ses souvenirs anciens et ses souvenirs immédiats y flottaient pêle-mêle et s'y croisaient confusément, perdant leurs formes, se grossissant démesurément, puis disparaissant tout à coup comme dans une eau fangeuse et agitée. Beaucoup de pensées lui venaient, mais il y en avait une qui se représentait continuellement et qui chassait toutes les autres. Cette pensée, nous allons la dire tout de suite: - Il avait remarqué les six couverts d'argent et la grande cuillère que madame Magloire avait posés sur la table.

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Ces six couverts d'argent l'obsédaient. Ils étaient là. A quelques pas. A l'instant où il avait traversé la chambre d'à côté pour venir dans celle où il était, la vieille servante les mettait dans un petit placard à la tête du lit. Il avait bien remarqué ce placard. A droite, en entrant par la salle à manger. Ils étaient massifs. Et de vieille argenterie. Avec la grande cuillère, on en tirerait au moins deux cents francs. Le double de ce qu'il avait gagné en dix-neuf ans.

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Son esprit oscilla toute une grande heure dans des fluctuations auxquelles se mêlait bien quelque lutte. Trois heures sonnèrent. Il rouvrit les yeux, se dressa brusquement sur son séant, étendit le bras et tâta son havresac qu'il avait jeté dans le coin de l'alcôve, puis il laissa pendre ses jambes et poser ses pieds à terre, et se trouva, presque sans savoir comment, assis sur son lit.

La France litt.

Il resta un certain temps rêveur dans cette attitude qui eût eu quelque chose de sinistre pour quelqu'un qui l'eût aperçu ainsi dans cette ombre, seul éveillé dans la maison endormie. Tout à coup il se baissa, ôta ses souliers et les posa doucement sur la natte près du lit, puis il reprit sa posture de rêverie et redevint immobile.

Au milieu de cette méditation hideuse, les idées que nous venons d'indiquer remuaient sans rêlache son cerveau, entraient, sortaient, rentraient, faisaient sur lui une sorte de pesée; et puis il songeait aussi, sans savoir pourquoi, et avec cette obstination machinale de la rêverie, à un forçat nommé Brevet qu'il avait connu au bagne, et dont le pantalon n'était retenu que par une seule bretelle de coton tricoté. Le dessin en damier de cette bretelle lui revenait sans cesse à l'esprit.

Il demeurait dans cette situation, et y fût peut-être resté indéfiniment jusqu'au lever du jour, si l'horloge n'eût sonné un coup, - le quart ou la demie. Il sembla que ce coup lui eût dit: allons!

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Il se leva debout, hésita encore un moment, et écouta; tout se taisait dans la maison; alors il marcha droit et à petits pas vers la fenêtre qu'il entrevoyait. La nuit n'était pas très obsure; c'était une pleine lune sur laquelle couraient de larges nuées chassées par le vent. Cela faisait au dehors des alternatives d'ombre et de clarté, des éclipses, puis des éclaircies, et au dedans une sorte de crépuscule. Ce crépuscule, suffisant pour qu'on pût se guider, intermittent à cause des nuages, ressemblait à l'espèce de lividité qui tombe d'un soupirail de cave devant lequel vont et viennent des passants. Arrivé à la fenêtre, Jean Valjean l'examina. Elle était sans barreaux, donnait sur le jardin et n'était fermée, selon la mode du pays, que d'une petite clavette. Il l'ouvrit, mais comme un air froid et vif entra brusquement dans la chambre, il la referma tout de suite. Il regarda le jardin de ce regard attentif qui étudie plus qu'il ne regarde. Le jardin était enclos d'un mur blanc assez bas, facile à escalader. Au fond, au delà, il distingua des têtes d'arbres également espacées, ce qui indiquait que ce mur séparait le jardin d'une avenue d'une ruelle plantée.

ou

Ce coup d'œil jeté, il fit le mouvement d'un homme déterminé, marcha à son alcôve, prit son havresac, l'ouvrit, le fouilla, en tira quelque chose qu'il posa sur le lit, mit ses souliers dans une de ses poches, referma le tout, chargea le sac sur ses épaules, se couvrit de sa casquette dont il baissa la visière sur ses yeux, chercha son

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bâton en tâtonnant, et l'alla poser dans l'angle de la fenêtre, puis revint au lit et saisit résolûment l'objet qu'il y avait déposé. Cela ressemblait à une barre de fer courte, aiguisée comme un épieu à l'une de ses extremités.

neur.

Il eût été difficile de distinguer dans les ténèbres pour quel emploi avait pu être façonné ce morceau de fer. C'était peutêtre un levier? C'était peut-être une massue? Au jour on eût pu reconnaître que ce n'était autre chose qu'un chandelier de miOn employait quelquefois alors les forçats à extraire de la roche des hautes collines qui environnent Toulon, et il n'était pas rare qu'ils eussent à leur disposition des outils de mineur. Les chandeliers des mineurs sont en fer massif, terminés à leur extrémité inférieure par une pointe au moyen de laquelle on les enfonce dans le rocher. Il prit le chandelier dans sa main droite, et retenant son haleine, assourdissant son pas, il se dirigea vers la porte de la chambre voisine, celle de l'évêque, comme on sait. Arrivé à cette porte, il la trouva entre-bâillée. L'évêque ne l'avait point fermée. Jean Valjean écouta. Aucun bruit. Il poussa la porte.

Il la poussa du bout du doigt, légèrement, avec cette douceur furtive et inquiète d'un chat qui veut entrer.

La porte céda à la pression et fit un mouvement imperceptible et silencieux qui élargit un peu l'ouverture.

I attendit un moment, puis poussa la porte une seconde fois, plus hardiment.

Elle continua de ceder en silence. L'ouverture était assez grande maintenant pour qu'il pût passer. Mais il y avait près de la porte une petite table qui faisait avec elle un angle gênant et qui barrait l'entrée. Jean Valjean reconnut la difficulté. Il fallait à toute force que l'ouverture fût encore élargie.

Il prit son parti, et poussa une troisième fois la porte, plus énergiquement que les deux premières. Cette fois il y eut un gond mal huilé qui jeta tout à coup dans cette obscurité un cri rauque et prolongé. Jean Valjean tressaillit. Le bruit de ce gond sonna dans son oreille avec quelque chose d'éclatant et de formidable comme le clairon du jugement dernier.

Dans les grossissements fantastiques de la première minute, il se figura presque que ce gond venait de s'animer et de prendre tout à coup une vie terrible, et qu'il aboyait comme un chien pour avertir tout le monde et réveiller les gens endormis.

Il s'arrêta, frissonnant, éperdu, et retomba de la pointe du pied sur le talon.

Il entendit ses artères battre dans ses tempes somme deux marteaux de forge, et il lui cemblait que son souffle sortait de sa poitrine avec le bruit du vent qui sort d'une caverne. Il lui paraissait impossible que l'horrible clameur de ce gond irrité n'eût pas ébranlé toule la maison comme une secousse de tremblement de terre; la porte, poussée par lui, avait pris l'alarme et avait appelé; le vieillard allait se lever, les deux vieilles femmes allaient crier, on viendrait à l'aide; avant un quart d'heure, la ville serait en rumeur et la gendarmerie sur pied. Un moment il se crut perdu.

Il demeura où il était, pétrifié comme la statue de sel, n'osant faire un mouvement. Quelques minutes s'écoulèrent. La porte s'était ouverte toute grande. Il se hasarda à regarder dans la chambre. Rien n'y avait bougé. Il prêta l'oreille. Rien ne remuait dans la maison. Le bruit du gond rouillé n'avait eveillé personne. Ce premier danger était passé, mais il y avait encore en lui un affreux tumulte. Il ne recula pas pourtant. Même quand il s'était cru perdu, il n'avait pas reculé. Il ne songea plus qu'à finir vite. Il fit un pas et entra dans la chambre.

Cette chambre était dans un calme parfait. On y distinguait çà et là des formes confuses et vagues qui, au jour, étaient des papiers épars sur une table, des in - folio ouverts, des volumes empilés sur un tabouret, un fauteuil chargé de vêtements, un prie - Dieu, et qui à cette heure n'étaient plus que des coins ténébreux et des places blanchâtres. Jean Valjean avança avec précaution en évitant de se heurter aux meubles. Il entendait au fond de la chambre la respiration égale et tranquille de l'évêque endormi.

Il s'arrêta tout à coup. Il était près du lit. Il y était arrivé plus tôt qu'il n'aurait cru. La nature mêle quelquefois ses effets et ses spectacles à nos actions avec une espèce d'à propos sombre et intelligent, comme si elle voulait nous faire réfléchir. Depuis près d'une demi-heure un grand nuage couvrait le ciel. Au moment où Jean Valjean s'arrêta en face du lit, ce nuage se déchira, comme s'il l'eût fait exprès, et un rayon de lune, traversant la longue fenêtre, vint éclairer subitement le visage pâle de l'évêque. Il dormait paisiblement. Il était presque vêtu dans son lit, à cause des nuits froides des Basses Alpes, d'un vêtement de laine brune qui lui couvrait les bras jusqu'aux poignets. Sa tête était renversée sur l'oreiller dans l'attitude abandonnée du repos; il laissait pendre hors du lit sa main ornée de l'anneau pastoral et d'où étaient

tombées tant de bonnes œuvres et tant de saintes actions. Toute sa face s'illuminait ⚫ d'une vague expression de satisfaction, d'espérance et de béatitude. justes pendant le sommeil contemple un ciel mystérieux.

L'âme des

Il y avait presque de la divinité dans cet homme ainsi auguste à son insu. Jean Valjean, lui, était dans l'ombre, son chandelier de fer à la main, debout, immobile, effaré de ce vieillard lumineux. Jamais il n'avait rien vu de pareil. Cette confiance l'épouvantait. Le monde moral n'a pas de plus grand spectacle que celui-là: une conscience troublée et inquiète, parvenue au bord d'une mauvaise action, et contemplant le sommeil d'un juste.

Ce sommeil, dans cet isolement, et avec un voisin tel que lui, avait quelque chose de sublime qu'il sentait vaguement, mais impérieusement.

Nul n'eût pu dire ce qui se passait en lui, pas même lui. Pour essayer de s'en rendre compte, il faut rêver ce qu'il y a de plus violent en présence de ce qu'il y a de plus doux. Sur son visage même on n'eût rien pu distinguer avec certitude. C'était une sorte d'étonnement hagard. Il regardait cela. Voilà tout. Mais quelle était sa pensée? Il eût été impossible de le deviner. Ce qui était évident, c'est qu'il était ému et bouleversé. Mais de quelle nature était cette émotion?

Son œil ne se détachait pas du vieillard. La seule chose qui se dégageât clairement de son attitude et de sa physionomie, c'était une étrange indécision. On eût dit qu'il hésitait entre les deux abîmes, celui où l'on se perd et celui où l'on se sauve. Il semblait prêt à briser ce crâne ou à baiser cette main.

Au bout de quelques instants, son bras gauche se leva lentement vers son front, et il ôta sa casquette, puis son bras retomba avec la même lenteur, et Jean Valjean rentra dans sa contemplation, sa casquette dans la main gauche, sa massue dans la main droite, ses cheveux hérissés sur sa tête farouche. L'évêque continuait de dormir dans une paix profonde sous ce regard effrayant.

Un reflet de lune faisait confusément visible au dessus de la cheminée le crucifix

qui semblait leur ouvrir les bras à tous les deux, avec une bénédiction pour l'un et un pardon pour l'autre.

Tout à coup Jean Valjean remit sa casquette sur son front, puis marcha rapidement, le long du lit, sans regarder l'évêque, droit au placard qu'il entrevoyait près du chevet; il leva le chandelier de fer comme pour forcer la serrure; la clef y était; il l'ouvrit;

la première chose qui lui apparut fut le panier d'argenterie; il le prit, traversa la chambre à grands pas sans précaution et sans s'occuper du bruit, gagna la porte, rentra dans l'oratoire, ouvrit la fenêtre, saisit son bâton, enjamba l'appui du rez-dechaussée, mit l'argenterie dans son sac, jeta le panier, franchit le jardin, sauta par dessus le mur comme un tigre, et s'enfuit.

Le lendemain, au soleil levant, monseigneur Bienvenu se promenait dans son jardin. Madame Magloire accourut vers lui toute bouleversée.

- Monseigneur, monseigneur, cria-t-elle, votre grandeur sait-elle où est le panier d'argenterie?

Oui, dit l'évêque.

Jésus-Dieu soit béni! reprit-elle. Je ne savais ce qu'il était devenu.

L'évêque venait de ramasser le panier dans une plate-bande. Il le présenta à madame Magloire.

Le voilà.

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La porte s'ouvrit. Un groupe étrange et violent apparut sur le seuil. Trois hommes en tenaient un quatrième au collet. Les trois hommes étaient des gendarmes; l'autre était Jean Valjean.

Un brigadier de gendarmerie, qui semblait conduire le groupe, était près de la porte. Il entra et s'avança vers l'évêque en faisant le salut militaire.

Monseigneur, dit il ...

A ce mot, Jean Valjean qui était morne et semblait abattu, releva la tête d'un air stupéfait.

Monseigneur! murmura-t-il. Ce n'est donc pas le curé...

Silence! dit un gendarme. C'est monseigneur l'évêque.

Čependant monseigneur Bienvenu s'était approché aussi vivement que son grand âge le lui permettait.

Ah! vous voilà! s'écria-t-il en regardant Jean Valjean. Je suis aise de vous voir. Eh bien, mais! je vous avais donné les chandeliers aussi, qui sont en argent comme le reste et dont vous pourrez bien avoir deux cents francs. Pourquoi ne les avez-vous pas emportés avec vos couverts? Jean Valjean ouvrit les yeux et regarda

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Oui, on te laisse, tu n'entends donc pas? dit un gendarme.

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Mon ami, reprit l'évêque, avant_de vous en aller, voici vos chandeliers. Prenez-les.

Il alla à la cheminée, prit les deux flambeaux d'argent et les apporta à Jean Valjean. Les deux femmes le regardaient faire sans un mot, sans un geste, sans un regard qui pût déranger l'évêque.

Jean Valjean tremblait de tous ses membres. Il prit les deux chandeliers machinalement et d'un air égaré.

· Maintenant, dit l'évêque, allez en paix.— A propos, quand vous reviendrez, mon ami, il est inutile de passer par le jardin. Vous pourrez toujours entrer et sortir par la porte de la rue. Elle n'est fermée qu'au loquet jour et nuit.

Puis se tournant vers la gendarmerie: Messieurs, vous pouvez vous retirer. Les gendarmes s'éloignèrent. Jean Valjean était comme un homme qui va s'évanouir.

L'évêque s'approcha de lui, et lui dit à voix basse:

- N'oubliez pas, n'oubliez jamais que vous m'avez promis d'employer cet argent à devenir honnête homme.

Jean Valjean, qui n'avait aucun souvenir d'avoir rien promis, resta interdit. L'évêque avait appuyé sur ces paroles en les prononçant. II reprit avec solennité:

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Jean Valjean, mon frère, vous n'appartenez plus au mal, mais au bien. C'est votre âme que je vous achète; je la retire aux pensées noires et à l'esprit de perdition, et je la donne à Dieu.

ALPHONSE DE LAMARTINE.

M. Alphonse de Lamartine est né à Macon, en 1790. Il fit ses études au collége des jésuites, à Belley, et compléta son éducation par des voyages. En 1814, il entra dans les gardes du corps, en qualité d'officier de cavalerie. Après deux années de service, il se remit à voyager. En 1820, il revint à Paris, et publia un volume de poésies Intitulées Méditations poétiques. Le succès de cet ouvrage fut immense; le vrai public l'accueillit comme il avait reçu vingt ans auparavant le Génie du Christianisme. L'auteur faisait, en effet, dans la poésie, la réforme que Chateaubriand avait opérée dans la prose. On voyait renaître une poésie inspirée, chrétienne, naturelle, qui respirait l'enthousiasme religieux, l'amour de la nature, la sympathie pour les douleurs humaines, les émotions tendres et pieuses, le goût de la solitude et de la rêverie. Lamartine soutint la gloire de ses brillants débuts dans les Nouvelles méditations poétiques (1823), et dans les Harmonies poétiques et religieuses (1830). Ce dernier recueil, où il atteignit le plus haut point de son développement lyrique, présente un caractère nouveau. L'inspiration y est plus large, plus hardiment religieuse. L'auteur a moins de souci des beautés de détails que dans les Méditations; la poésie est dans l'ensemble: elle coule à pleins bords avec de magnifiques développements. Ici plus de passion mondaine: l'élan religieux et philosophique suffit pour nous entraîner. Les Harmonies sont de véritables hymnes, pleines d'enthousiasme et de grandeur. Le monde extérieur y apparaît sans doute et même avec un admirable éclat, mais il s'y montre tout rempli, tout pénétré de Dieu. En 1886, M. de Lamartine a publié le poème de Jocelyn, épisode d'une grande épopée qu'il promet d'écriruumanité. Deux ans plus tard, il en à donné un second intitulé la Chute d'un ange. L'auteur a acquis dans ces deux ouvrages des qualités nouvelles, telles que le pathétique du récit, la richesse de la description, l'expression des sentiments simples et les détails poétiques de la vie vulgaire; mais ces qualités sont moins originales, moins spontanées, moins puissantes que les dons qu'il possédait dans ses premiers poèmes, et l'on dirait qu'en voulant enrichir son génie, il en a souvent altéré la candeur. Depuis, M. de Lamartine a publié encore un volume de poésies

PROCÈS DE LOUIS XVI.

Le roi s'accoutumait à sa captivité. Son âme, faite pour le repos et pour le silence, se recueillait à l'abri de ces murs, se fortifiait dans la méditation, s'affranchissait dans la prière, et se consolait, par ses épanchements de toutes les heures avec les seuls êtres qu'il eût jamais aimés, dans ce petit cercle de tendresses que le cachot resserrait autour de lui. Oubliant aisément des grandeurs dont le poids l'avait écrasé, Louis XVI ne formait qu'un vou: celui d'être oublié dans cette tour jusqu'à ce que l'invasion étrangère, ou le sang-froid revenu au peuple par les victoires de la république, ou les inconstantes vicissitudes d'une révolution, lui rendissent, non le trône, mais l'obscurité d'un exil plus doux et la liberté de sa famille. L'adoucissement de sa prison, l'accent de compassion et la physionomie moins irritée de ses gardiens entretenaient depuis quelque temps en lui cette lueur d'espérance. Il croyait reconnaître à ces symptômes que

sous le titre de Recueillements poétiques, composé de pièces de vers adressées à diverses personnes. П a eu peu de succès. M. de Lamartine a une inspiration facile et abondante qui lui permet d'écrire en vers aussi vite qu'en prose. Les strophes les plus riches et les plus élégantes ne lui coûtent rien; mais la forme n'est pas toujours aussi pure et aussi parfaite qu'on pourrait le désirer. On reproche à M. de Lamartine le vague de ses peintures, la surabondance de ses descriptions, une profusion d'images souvent fausses, une accumulation de détails où quelques traits feraient de l'effet, et beaucoup de négligences de rime et de langue, M. de Lamartine oublie trop que les fautes de diction ont le grand inconvénient de distraire l'attention et de nuire à l'effet de l'ensemble. Il faut constamment bien écrire pour toucher toujours. Malgré ces défauts, c'est un des plus grands poètes de la littérature française. Aucun ne peut lui être comparé pour la force des émotions, pour la gracieuse liberté des mouvements, pour la variété, la magnificence, la grandeur des images. La poésie n'est qu'une brillante moitié de la gloire littéraire de M. de Lamartine. Il a écrit en prose des Souvenirs et impressions pendant un voyage en Orient, livre incomplet, souvent formé de notes à peine terminées, mais d'une grande richesse descriptive; une Histoire des Girondins, brillante œuvre d'art, d'imagination et de style, qui laisse beaucoup à désirer sous le rapport de l'exactitude et de la vérité; le récit de son enfance et de sa jeunesse dans Mes Confidences et dans Raphaël, où l'on trouve des pages fraîches et gracienses, mais dont il faut bien se garder de prendre tous les renseignements à la lettre; une Histoire de la révolution de 1848, apologie du gouvernement provisoire et surtout de l'auteur; etc. Le style de tous ces ouvrages est facile, abondant, flexible, brillant, harmonieux; mais on y désirerait plus de correction, de précision, de simplicité; plus de mesure dans les images et de sobriété dans les détails, moins de cette monotonie toujours grandiose et splendide. Le principal défaut de M. de Lamartine historien est d'oublier trop souvent que la raison doit dominer l'imagination, et qu'une exactitude sévère est le premier mérite du narrateur. Il mourut à Paris en 1869.

la colère s'apaisait au dehors. Elle s'apaisait en effet, mais c'était par la satisfaction prochaine dont elle avait désormais la certitude. Ce n'était plus la peine de haïr une victime qu'on allait sitôt immoler.

Le 11 décembre, pendant le déjeuner de la famille royale, des bruits inusités se firent entendre autour du Temple. Le rappel des tambours, le hennissement des chevaux, le pas de nombreux bataillons sur le pavé de la cour étonnèrent et troublèrent les prisonniers. Ils interrogèrent longtemps les commissaires qui assistaient au repas, sans obtenir de réponse. Enfin on annonça au roi que le maire de Paris et le procureur de la commune viendraient dans la matinée le prendre pour le conduire à la barre de la Convention afin d'y subir un interrogatoire, et que ces troupes étaient son cortége.

A midi, Chambon, maire de Paris, et Chaumette, nouveau procureur-syndic de la commune, entrèrent dans la chambre du roi

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