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il ne se tient éloigné que des lieux où ceux qui l'estiment ne désireraient pas le rencontrer. Telle doit être, selon moi, la vie du prêtre; et je ne pense pas devoir approuver l'opinion de ceux qui voudraient qu'il fût séquestré de la société et renfermé dans les murs du temple. Le prêtre n'est pas un moine; il doit se familiariser avec ses concitoyens, autant que la décence et la sainteté de son ministère le comportent; il doit exercer sur les esprits, par l'autorité et par l'estime que donnent la vertu et le savoir, cette influence qui tourne à l'avantage des bonnes mœurs et de la religion, et qui est la seule digne, la seule convenable aux hommes d'église, la seule approuvée par l'opinion universelle; car elle n'est ni usurpée, ni obtenue par les brigues, mais produite spontanément par l'opinion. A cette honorable participation de notre clergé à la vie publique il faut rapporter l'amour qu'il a toujours montré pour les progrès civils et son empressement à y coopérer de son côté, sans sortir des bornes de sa propre dignité. Je parle en général et sans tenir compte des exceptions, qui par bonheur ne sont pas nombreuses. L'Italie, si on en excepte peut-être une seule province, n'a point vu et ne verra jamais, je l'espère, les pasteurs des ames oublier la dignité et l'esprit du sacerdoce; prendre la défense des anciens abus, s'opposer aux réformes raisonnables, se faire intrigants, sophistes et factieux pour ressusciter des institutions déjà mortes; déclarer la guerre dans les affaires civiles au caractère des temps; refuser l'hommage aux gouvernements établis; approuver, louer, sanctifier, attiser les fureurs des discordes civiles, et mêler leur nom à des actes de rébellion et de sang dont le seul souvenir fait frémir. C'est avec douleur que je rappelle ces déplorables excès; car l'Église tout entière est la patrie de l'homme catholique, qui sent comme s'ils frappaient sur lui-même les coups portés à une partie quelconque de ce grand corps; mais je

trouve toutefois quelque consolation à penser que le clergé de ma nation n'a pas à rougir de semblables énormités.

Le sacerdoce français fut dès les premiers temps, par sa verlu, par son savoir, par son esprit, un des plus remarquables de l'Europe. Comme le christianisme fut de bonne heure introduit dans les Gaules, ses ministres s'y illustrèrent par leur savoir, par leur éloquence, par la pureté de leur foi; et aussi par une vertu héroïque dans les épreuves longues et pénibles de l'apostolat, et dans celles plus courtes mais plus terribles de la confession et du martyre. Quand la France, durant le moyen-âge, n'aurait donné à la chrétienté d'autres hommes célèbres que saint Bernard et Gerson, et d'autre. secours aux études sacrées que l'université de Paris, elle devrait encore être comptée parmi les royaumes qui ont le mieux mérité de l'Église. Qui ne connaît les gloires du clergé gallican dans le dix-septième siècle ? Qui n'admire cette nombreuse et brillante élite d'hommes remarquables sortis des divers degrés de la hiérarchie ecclésiastique, qui cultivèrent avec fruit les sciences, s'appliquèrent avec le même zèle à ces hautes et profondes études qui font l'homme savant, et à l'instruction élémentaire qui communique la science aux enfants et aux ignorants; élevèrent l'idiome français au rang de langue noble et digne des saintes Écritures; créèrent une littérature nationale et la portèrent à un tel degré de perfection, que les générations suivantes ont vainement essayé non pas de la surpasser, mais même de l'égaler ? Car, si plusieurs écrivains laïques ont efficacement coopéré à cette œuvre, il faut remarquer qu'ils sentaient, pensaient et écrivaient presque entièrement sous l'influence morale du clergé, à qui revient, sans aucun doute, le premier rôle dans la création de la littérature française, comme en des temps plus anciens, dans la constitution de la société française. Il est vrai que le

siècle suivant ne remarqua et ne crut point ce fait; après avoir reçu des mains du clergé une littérature très belle et très riche, il s'en servit d'une manière ingrate et coupable pour faire la guerre à ceux qui l'avaient créée, et à cette même religion qui l'avait nourrie et élevée. La guerre du dixhuitième siècle contre le précédent est pour moi l'image d'une insolente troupe d'écoliers révoltés contre le corps vénérable de leurs instituteurs et de leurs maîtres. A quel terme cette révolte a conduit les lettres et la philosophie françaises, tout le monde le sait, et tous les discours possibles seraient moins éloquents que le spectacle qui est sous nos yeux. Dans tout le cours de ces douloureuses vicissitudes, le clergé français n'oublia jamais ses glorieux principes et ses anciennes vertus ; il conserva intacte la foi de ses ancêtres ; il produisit des apôtres pleins de zèle, de saints pasteurs et de saints évêques; et si l'usage qui permettait aux hommes d'église de pouvoir devenir des hommes de cour, donna lieu à quelques scandales qui, comme d'ordinaire, ternirent la réputation de tout le corps. ecclésiastique, ces taches furent assez effacées dans ce terrible bouleversement de toutes les choses humaines et divines d'où le clergé français sortit, comme l'or de la fournaise, pur de toute souillure et digne de son ancien nom. Ne l'avons-nous pas vu, il y a un petit nombre d'années, quand une maladie terrible sévissait sur la France et enlevait ses malheureuses populations, se mêler à la foule des malades et des malheureux, les secourir dans les besoins de l'ame et dans ceux du corps avec la tendresse d'une mère, et mourir avec eux? Et quelle plus belle et plus forte preuve de vertu que de donner sa vie pour son prochain, pour des hommes qui peut-être auraient besoin de votre pardon, et cela sans qu'il y ait compensation d'amour ni espoir de reconnaissance?

Mais si le clergé français est de nos jours un modèle de

toutes les vertus qui conviennent à l'état ecclésiastique, il n'est peut-être pas, sous le rapport du savoir, au niveau de ses anciens modèles et de son ancienne réputation. Il commença à déchoir, sous ce rapport, dans le siècle dernier, quand il se laissa enlever par les laïques le patrimoine intellectuel de la science, qui est comme un flambeau avec lequel on doit communiquer la lumière aux autres, sans la diminuer pour soimême et sans en perdre la possession. Le clergé français a toujours conservé la supériorité de vertu sur celui des autres nations; mais il s'est laissé enlever celle de la science et du talent. Dans le siècle dernier, lorsqu'une foule d'écrivains infimes et médiocres qu'appuyaient un petit nombre d'hommes de génie, faisaient, sous mille formes, une guerre acharnée à la religion, il ne sut pas opposer un seul homme éminent å l'art et à la fureur des assaillants. Bergier, Guénée et un petit nombre d'autres firent tout ce qu'ils purent, combattirent heureusement, et acquirent un droit immortel aux bénédictions de la postérité; mais ce n'était pas assez d'eux seuls. Et certainement le silence, ou la faible défense du sacerdoce favorisa la propagation de la philosophie et l'empire qu'elle acquit sur l'opinion; quand un seul homme véritablemeut fort, qui se serait trouvé sur le seuil du sanctuaire, aurait pu mettre en fuite cette foule d'insectes importuns, devenus plus insolents par la patience intempestive de ceux qu'ils attaquaient. Ni la verve poétique de Voltaire, ni l'éloquence de Rousseau n'auraient suffi pour pallier leur ignorance, si celle-ci avait été démasquée par quelque génie puissant et vraiment philosophe. Lorsque la révolution eut ruiné la fortune du clergé et dispersé ses membres, ceux-ci eurent beaucoup de peine à se reconstituer, et dans ce pénible intervalle ils ne purent donner beaucoup d'attention aux sciences et aux études. Mais aujourd'hui que, par un bienfait du ciel, le calme

a succédé à la tempête, pourquoi le clergé français diffère-til å en profiter pour recouvrer sous tous les rapports sa première splendeur, et se faire admirer par sa science, comme il se fait vénérer par sa piété et par ses mœurs ? Dans le respect que je porte à une portion si distinguée de l'Église, je n'oserais pas, comme je le fais, manifester mon sentiment à ce sujet, s'il n'était conforme à la manière de voir de quelques membres respectables de cette même Église, et fortifié leurs propres plaintes (*). Je n'entends point nier par lå que la France ne possède aujourd'hui encore des prêtres instruits et de talent, auteurs d'ouvrages estimables; ce serait assez peut-être pour l'honneur et le besoin d'un autre royaume chrétien, mais ce n'est pas assez pour la France. Que ce clergé illustre me pardonne si je dis que ces écrivains ne suffisent pas; car il nous a tellement habitués dans les temps

par

antérieurs à voir sortir en foule de son sein les hommes distingués dans toutes les branches des sciences divines et humaines, que quoique son champ ne soit pas stérile aujourd'hui, il semble que la moisson est bien peu abondante.

La portion du clergé français qui s'applique sans relâche à l'étude, malgré l'habitude contraire de tout le reste, en est donc d'autant plus recommandable. Seulement, quelques-uns de ces hommes estimables ne me semblent pas avoir choisi la voie la plus propre à atteindre leur but. Je dirai franchement mon opinion, sans crainte d'être taxé de témérité, puisque, en ce qui regarde le bien de la religion et de l'Église, il est permis à l'homme catholique, quel que soit son pays, de manifester son opinion personnelle, sans qu'on puisse raisonnablement l'accuser de s'occuper de choses qui lui sont étrangères.

(*) Voyez FORICHON, examen des questions scientifiques de l'âge du monde, etc. Paris, 1837, pp. VII, seqq., xxxII, seqq.

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