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restèrent incomplets par la faute des temps et d'autres luttes, qui vinrent les absorber. Le cardinal de la Luzerne, Bonald, de Maistre, Frayssinous ne suffirent pas, malgré tout leur talent, à rétablir l'équilibre rompu par un siècle entier de sophismes, de persifflage et d'aberrations.

Cependant se formait en France une grande école, qui se croyait appelée à de hautes destinées, à la restauration des sciences métaphysiques; qui est restée en deçà du but; mais qui n'en a pas moins la gloire incontestée et incontestable d'avoir relevé et remis en honneur parmi nous les études philosophiques, trop long-temps dédaignées par des esprits superficiels et impatients des longues méditations. L'école éclectique a beaucoup, et beaucoup trop emprunté aux philosophes allemands; de là cette couleur de panthéisme qu'on lui a tant reprochée, qui lui fait aujourd'hui de si chauds adversaires, car le panthéisme est la mort de l'idé catholique.

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Ce n'est pas que les éclectiques aient voulu être panthéistes; ils s'en défendent avec trop d'énergie et de bonne foi, du moins si nous les en croyons, pour qu'on n'hésite pas à les frapper d'un anathême définitif. Mais la marche qu'ils ont adoptée, et les développements mêmes dans lesquels ils sont entraînés par la force de la logique, les y poussent d'une manière fatale. Le tort le plus grand peutêtre de cette école, c'est de faire avec une complaisance surabondante l'histoire des systèmes, ce qui fait que, malgré elle, il lui en reste une empreinte funeste des égarements reprochés aux phi

losophes qu'elle réhabilite, même quelquefois avec raison, sous certains rapports. Chez elle le bon grain et l'ivraie se trouvent trop confondus dans le même champ. Or, la vérité éternelle s'accommode peu ce mélange adultère.

peu de

Si, comme le déisme du siècle dernier, le rationalisme contemporain ne proscrit pas l'idée catholique et ses développements, en les déclarant ennemis de la religion naturelle; s'il admire l'influence heureuse des croyances qui ont si puissamment contribué aux progrès de la civilisation moderne, sa doctrine n'en est pas moins en opposition avec ce même esprit catholique qu'il ne nie pas, et les variations presqu'infinies de méthode et de principes où elle l'entraîne, doivent éveiller contre lui un antagonisme incessant. Car le Christianisme, par son essence même, par l'idée de vérité immuable qui fait sa base, ne peut se soumettre au joug de la raison, en recevoir des modifications, la perfection et la lumière.

De là cette lutte, aujourd'hui si vivement engagée en France entre le clergé et les écrivains catholiques d'une part, et l'école philosophique de l'autre. Nombre d'ouvrages ont déjà été publiés parmi nous par les défenseurs du catholicisme; plusieurs évêques, dans leurs mandements, ont protesté contre des doctrines qui, pour n'être pas grossièrement impies n'en travaillent pas moins au renversement de celles dont ils sont constitués les défenseurs et les gardiens. Mais ces publications trop empreintes de la vivacité inséparable de l'esprit de controverse,

trop passionnées quelquefois, injustes même en quelques points, -nous en exceptons cependant le plus grand nombre, et notamment l'excellent écrit récemment publié par monseigneur l'archevêque de Paris (*), n'ont pas toujours atteint leur but. D'ail leurs aucune d'elles n'a jusqu'ici embrassé toutes les faces de cette immense question; aucune d'elles ne nous a montré un ensemble satisfaisant et complet à substituer à ce qu'elles condamnent. Le mal est signalé, la clinique attend encore l'opérateur habile qui, après avoir porté le fer sur le corps dangereusement affecté, doit le rappeler sans retour à une vie sinon nouvelle, du moins plus assurée.

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Or, tandis que la lutte se poursuit parmi nous, et s'empreint du triple caractère de la religion, de la philosophie et de la politique, elle préoccupe aussi vivement les esprits en Italie. De grands métaphysiciens se sont élevés dans cette contrée, que nous avons tort de croire exclusivement livrée aux plaisirs faciles et à ce far niente tant vanté par les voyageurs menteurs et désœuvrés; et les écrits des Rosmini, des Galuppi, des Gioberti n'excitent pas de moindres controverses au-delà des monts, que parmi nous ceux de l'école rationaliste et de l'école catholique.

C'est donc faire une œuvre utile que de traduire dans notre langue des ouvrages qui doivent être d'un grand poids dans le débat; ce sont autant de pièces

(*) Introduction philosophique à l'étude du christianisme, par Mgr l'archevêque de Paris; 1 vol. in-18, Paris, Adrien Le Clere et Cie, 1845.

intéressantes, destinées non à le prolonger inutilement mais à y porter de nouvelles et utiles lumières. Déjà quelques essais ont été tentés dans ce but, et nous avons vu paraître successivement l'Essai sur l'origine des idées de Rosmini, les Considérations sur les doctrines religieuses de M. Cousin, par Gioberti, et un ouvrage de Galuppi. Nous avons aussi voulu entrer dans la lice, non pas pour combattre, ce rôle ne convient ni à notre faiblesse, ni à notre insuffisance; car la lutte doit rester entre philosophes, et nous n'eûmes jamais la prétention de nous élever si haut; nous nous bornons à reproduire dans notre langue un des plus grands ouvrages qui aient été publiés sur la question. Entreprenant donc plus que les traducteurs qui nous ont devancé, nous avons voulu faire connaître au public lettré, qui n'a pu la lire dans le texte original, l'Introduction à l'étude de la philosophie par Gioberti; heureux si nous ne sommes pas resté trop inférieur à une tâche qui offre des difficultés de plus d'une nature!

Nous n'entreprendrons pas de faire ici l'éloge de notre auteur; il serait suspect dans notre bouche, le traducteur conservant rarement une froide impartialité à l'égard de l'auteur avec lequel il a été obligé de s'identifier si souvent; nous n'avons d'ailleurs complétement épousé ni ses sympathies ni ses aversions, nous bornant modestement à reproduire une pensée toujours noble et pure, le plus souvent équitable, quelquefois aussi passionnée, mais passionnée en vue du bien, par cet entraînement qui pousse le vrai à combattre le faux, même jusque

dans ses plus légères apparences. Nous ne sommes pas cependant, et il s'en faut, de ceux qui, classant dédaigneusement Gioberti parmi les ultras et les sanfédistes de l'Italie, veulent lui faire un titre à notre proscription de ce qu'il est avant tout de son pays, Italien patriote, même plus que philosophe. M. V. Gioberti est un homme d'un talent éminent, un métaphysicien estimé de ses compatriotes; à ce titre, sa voix doit être entendue, quitte à ceux qui le croiront dans l'erreur à le combattre ensuite, s'ils ont à lui opposer autre chose que des sophismes

ou de vaines déclamations.

Nous n'avons pu nous procurer sur notre auteur que de très courtes notes biographiques, répandues déjà, pour la plupart, dans quelques écrits périodiques. Nous croyons cependant devoir les résumer ici, quelque incomplètes qu'elles soient; c'est leur place naturelle.

M. Vincent Gioberti est Piémontais : en 1831 il tenait un rang distingué dans sa patrie, où il était en même temps chapelain du roi de Sardaigne et professeur de philosophie à l'Université de Turin. Les troubles politiques, survenus en 1833 dans les États Sardes, comme dans les autres parties de l'Italie, compromirent M. Gioberti, chez qui l'amour de la liberté et de l'indépendance de la Péninsule se trouve à un degré aussi éminent au moins que celui de l'unité catholique. Menacé par la proscription qui atteignait alors tous les Italiens qui, trompés par l'espoir que certains hauts personnages se souviendraient, au faîte du pouvoir, de leur ancienne

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