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Celui dont la religion catholique excite la bile ou le dédain, fera bien de s'adresser à d'autres et de ne pas lire mon livre.

Il se présentera peut-être une autre classe de critiques qui, sans se plaindre précisément que je sois orthodoxe, trouvera que je le suis à l'excès. Cette accusation, portée contre un livre traitant de matières entièrement théologiques, sera plus forte contre celui-ci; attendu qu'il peut paraître étrange qu'un philosophe fasse quelquefois le théologien, lorsqu'il est d'usage de renverser et de ruiner la religion en faveur de la philosophie. Mais je voudrais bien que ces critiques me déclarassent ce qu'ils veulent dire par trop orthodoxe. C'est là une expression que je ne comprends pas. Je sais que l'on peut être plus ou moins protestant, plus ou moins incrédule, parce que ces mots expriment des qualités nėgatives, qui, hors de la négation absolue, n'ont point de règle constante; mais je ne vois pas que l'on puisse dire que l'on est plus ou moins catholique, sinon en parlant improprement, comme quand on dit d'une doctrine qu'elle est plus ou moins vraie. La vérité en elle-même est une, immuable, indivisible. Le catholicisme qui est la perfection du vrai moral et religieux, jouit des mêmes avantages; de sorte qu'on ne peut rien en ôter, ni rien y ajouter sans le détruire. Celui qui croirait avec une foi parfaite aux enseignements de l'Église, excepté à un seul article, ne serait pas plus catholique que ceux qui en rejetteraient toute la doctrine. On pourrait dire de cet homme-là qu'il est moins loin que les autres d'être catholique, comme les Stoïciens disaient de l'homme médiocrement bon, qu'il s'en fallait qu'il fût éloigné d'être un sage; mais on ne pourrait le dire catholique sans détruire le catholicisme. L'essence de celui-ci, en effet, consiste à reconnaître l'absolue souveraineté de l'Église sur la définition du vrai moral et religieux; et nier cette souverai

neté pour la partie la plus petite, c'est la détruire aussi bien que si on la niait pour le tout. Il est vrai que l'autorité ecclésiastique, en définissant les vérités révélées, et en en déterminant les points essentiels, a laissé autour d'eux pour ainsi dire une certaine marge à laquelle ne s'étendent pas ses définitions. Or, telle est la nature de la pensée et du langage humain, qu'on ne peut sortir des simples formules ni entrer dans des explications, sans s'étendre sur cette marge indéfinie, et ajouter quelque opinion personnelle au dogme établi par l'Église. Distinguer avec précision l'un de l'autre, cela dépend de l'instruction et de la prudence du lecteur; et on ne peut inculper l'écrivain, quand il s'écarte le moins qu'il lui est possible de la ligne mathématique de la certitude.

La sagesse catholique déplaît autant au goût des modernes, par sa sévérité que par sa modération; éloignée qu'elle est des deux excès de la superstition et de l'incrédulité, dans lesquels se laisse entraîner volontiers l'esprit humain. Je me suis étudié à éviter tout excès et à me renfermer constamment dans cette modération qui, selon moi, dans les choses spéculatives, est l'ensemble et l'harmonie des vérités; aussi, je ne puis me flatter de ce côté de trouver beaucoup de personnes qui accueillent avec bienveillance mes doctrines. En effet, l'homme modéré ne peut être agréable aux factions, ou pour mieux dire à tout le monde, puisque dans ce siècle exagéré tout individu appartient à un parti. Sans compter que l'écrivain qui évite les idées extrêmes, trouve du vrai et du faux dans presque toutes les opinions et les discerne avec soin pour retenir l'une et rejeter l'autre. Or, ce triage ne convient pas aux factieux qui sont plus portés à vous en vouloir pour ce que vous rejetez, qu'à vous être reconnaissant pour ce que vous approuvez dans leurs opinions. Au contraire, celui qui exagère, quelque étranges et grossières que soient ses induc

tions, est sûr de trouver des gens qui l'applaudissent et qui prennent ardemment son parti. Etes-vous le défenseur d'une liberté licencieuse et dont la durée est impossible? vous pou vez compter que vous trouverez des compagnons dans beau÷ coup d'hommes sincères, mais qui sont dans l'erreur, et dans les mécontents de tous les pays, qui sont en grand nombre. Aimez-vous le despotisme et la tyrannie? vous serez honoré dans les lieux où ils règnent, et où se trouvent établies des sectes qui aspirent à les faire régner. Êtes-vous incrédule, matérialiste, athée, fauteur d'une philosophie désolante et dégradante? il ne manque pas de partisans du siècle dernier qui vous appelleront le conservateur des bonnes doctrines. Êtes-vous l'ami de ce demi-christianisme sans nom, sans base, sans ordre, que l'on peut savoir sans étude et professer sans fatigue? vous êtes heureux, parce que c'est la religion qui est à la mode; vous serez prôné comme un génie neuf, profond; vous serez célébré comme un homme progressif, un philosophe éclectique, un chrétien humanitaire, et les journaux des deux mondes retentiront de votre éloge. Appartenez-vous à ces catholiques qui voudraient ressusciter les horreurs du moyen-âge, prêcher la croisade contre les ennemis de l'Église, rallumer les bûchers et déshonorer par les persécutions une religion d'amour, de générosité, de patience, d'espérance, de mansuétude? Vous trouverez malheureuse→ ment encore quelques hommes (je veux espérer qu'ils seront en petit nombre), qui vous regarderont comme un apôtre, un père de l'Église. Je laisse de côté les opinions qui regardent la littérature, dans laquelle on ne fait cas que des sen-' timents extrêmes. Mais si vous rencontrez un homme qui déteste les violences des peuples et des princes, qui aime une liberté tempérée et une monarchie libre, qui se rie de la fausse philosophie et d'une religion puérile, capricieuse, superfi

cielle, impuissante à défendre ses titres et à circonscrire ses dogmes, inconstante comme la mode avec laquelle elle naquit et avec laquelle elle devra bientôt mourir; qui ne reconnaisse d'autre croyance, d'autre culte raisonnable que celui de l'Église visible, perpétuelle et universelle; qui distingue dans cette Église l'essence immuable des usages et des abus passagers et locaux; qui déplore les persécutions exercées quelquefois au nom de la religion, comme une violation de l'Évangile et une grave injure à la sainteté de cette même Église ; celui-là ne fera certainement pas fortune dans le monde, trouvera peu de lecteurs, aura contre lui tous les partis, et sera méprisé comme un écrivain médiocre, faible, absurde, ou combattu à outrance comme un homme dangereux.

Je ne peux donc me dissimuler qu'en évitant les exagérations et les absurditės, j'ai mal travaillé pour la fortune de mon livre, et choisi une voie qui aujourd'hui ne mène pas à Ja gloire. Je serais fâché d'ailleurs, je l'avoue franchement, qu'on me crût un homme d'assez peu d'esprit et de cœur pour m'être proposé d'agir tout autrement, et n'avoir su le faire. Celui qui veut dépasser les bornes, pousser jusqu'aux extrêmes et se signaler en se rendant singulier, n'a qu'à se laisser aller à une opinion ou à un sentiment; mais se renfermer dans de justes limites, conserver l'équilibre entre les diverses facultés et inclinations de son propre esprit, et éviter de parler à la légère, c'est, à mon avis, un art plus difficile. Que les modernes dispensateurs de la renommée sachent que mériter et conquérir amplement leurs éloges, est une gloire que l'on peut se donner sans être pour cela taxe de présomption. Courir après des images fantastiques, se livrer à des inventions bizarres et monstrueuses, en cherchant son plaisir dans les erreurs et les paradoxes, comme sont en usage de le faire aujourd'hui ceux qui aspirent à la

célébrité, c'est chose aisée pour tout esprit vain et médiocre. Mais peut-être est-il plus difficile de forger des mots nouveaux, de rajeunir certaines opinions vieillies, d'abuser d'une érudition vulgaire pour composer, comme le font quelquesuns, l'apologie des sottises et des cruautés du moyen-âge? Peut-être que cette philosophie éclectique, qui concilie ensemble toutes les erreurs et n'exclut de ses doctrines autre chose que le vrai, exige un discernement subtil et profond? Peut-être faut-il une rare supériorité d'éloquence pour ennuyer les lecteurs les plus patients et faire rire les plus graves, en discourant fort au long et en l'air sur la perfectibilité et le progrès ? Peut-être exigera-t-on une grande et singulière force d'invention pour démontrer la vérité des mystères du christianisme par les étamines des fleurs et la forme de leurs coroles; pour adoucir par quelque variété de pensées l'invraisemblance des mythes et des symboles bibliques; pour inventer subitement et organiser, comme on le fait de nos jours, une nouvelle religion? Peut-être faut-il avoir une vaste connaissance des hommes et une profonde notion de leur destinée pour improviser une république parfaite sur le papier, et cent autres choses de même espèce? Quiconque opère quelques-uns de ces miracles, est certain aujourd'hui d'être applaudi; il est certain d'obtenir cette immortalité de vingt-quatre heures que les journaux peuvent accorder à tout honnête homme, dans leurs colonnes. Mais je suis assez peu ambitieux pour que ces splendeurs ne me tentent pas. J'aime mieux survivre aux critiques qu'aux éloges de mes contemporains.

Je ne voudrais pas cependant qu'en me voyant avare d'éloges pour certaines inventions modernes, on me crût l'ennemi de la civilisation de notre siècle, j'en suis au contraire le fervent et sincère partisan; et c'est le zèle même qui m'anime pour les progrès véritables qui me fait détester tout ce qui amollit

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