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participation aux rêves et aux complots de la Charbonnerie, s'étaient précipités dans la croisade contre le joug de l'étranger et le despotisme, avec plus d'ardeur et de dévouement que de prudence et de certitude de succès; il dut quitter le sol natal, la terre qui s'était fermée aussi devant Silvio Pellico, où V. Alfiéri avait pu maudire les oppresseurs de son pays après avoir applaudi à son aurore la révolution qui en avait fait des conquérants. Gioberti mit le pied sur la terre d'exil; et cette terre ce fut celle-là même pour laquelle son cœur semblait avoir le moins de sympathie, mais où il était sûr de trouver plus de liberté que partout ailleurs, la France, cette dominatrice d'un jour de la Péninsule italique.

Après avoir habité quelque temps Paris, où il espérait trouver des ressources surabondantes pour continuer ses études, et exécuter les ouvrages qu'il méditait, où il ne put cependant se procurer cet avantage par des motifs qu'il nous apprend lui-même à la fin de la préface de son Introduction, M. Gioberti se retira à Bruxelles. Là, l'ancien professeur de faculté exerce aujourd'hui les modestes et pénibles fonctions de professeur dans une maison d'éducation, et se livre avec une ardeur infatigable à ses études de prédilection. Bien des compagnons d'exil de notre philosophe ont sollicité, depuis que les jours d'orage sont passés, le retour dans la patrie, quelques-uns ont obtenu de revoir ces fines patrios, qu'on n'aime jamais mieux que lorsqu'on en est séparé. M. Gioberti n'a rien demandé; invité sponta

nément par le gouvernement sarde à rentrer dans ses foyers, il a préféré le séjour de Bruxelles, et semble avoir dit adieu pour toujours à une patrie qui l'estime et le regrette. Nous augurons toutefois que, si la Péninsule était affranchie de la domination étrangère, il s'empresserait d'aller encore respirer l'air de la liberté sous un ciel où il a appris à l'aimer et à la désirer avec tant d'ardeur. En effet, M. Gioberti n'oublie pas sur la terre d'éxil sa belle Italie, il s'efforce encore de lui être utile par la publication d'ouvrages importants, qui y sont reçus avec faveur par des congrégations religieuses et par des évêques; un de ces derniers même, l'évêque d'Asti, le citait avec beaucoup d'éloges dans son mandement pour le carême de 1844. Du reste, ce n'est pas seulement en Italie que le clergé a manifesté sa sympathie à notre philosophe; plusieurs prélats français l'ont aussi tout récemment mentionné honorablement dans leurs mandements. En dehors des rangs du clergé, M. Gioberti a trouvé encore bon accueil parmi des hommes savants et estimables de toutes les classes. Qu'on nous permette d'invoquer ici le témoignage d'un de ses compatriotes, M. le comte César Balbo qui, dans son livre des Espérances de l'Italie, publié l'année dernière à Paris (*) en parle en ces termes :

<< Comme le savent désormais tous les Italiens

(*) Delle Speranze d'Italia (Des Espérances de l'Italie), par le comte César Ba!bo; traduit en français par M, Léopardi, 1 vol. in-12, texte et traduction séparément. Paris, Didot, 1844.

» éclairés et un grand nombre d'étrangers, M. Gio» berti est un des premiers philosophes de la chré» tienté. Après s'être fait connaître et admirer tout >> ensemble par sa Théorie du surnaturel, il a publié >> successivement plusieurs autres ouvrages, avec >> cette fécondité qui est à la fois la manifestation » et la preuve d'un grand talent. Philosophe catholique, il est certainement un des maîtres,

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que

>> d'autres décident de son rang, - dans cette école >> italienne, qui se distingue de ses pareilles par une >> catholicité, une théologie plus exacte, ou même >> la seule exacte.... Habitant un pays étranger, >> Gioberti trouvait dans cette situation une liberté >> d'écrire qui n'existe pas dans la Péninsule italique; >> et il n'était pas homme à n'en pas profiter. Ita» lien passionné, et, il est permis de le dire, exagéré, il a mêlé à toutes ses spéculations philo>>sophiques une multitude de considérations sur >> l'histoire et aussi sur la politique pratique de » l'Italie; abandonnant ensuite, non l'esprit mais la » forme philosophique, et faisant de ce qui était un » accessoire dans ses autres écrits, le but principal » d'un nouvel ouvrage, il vient de publier deux vo-— » lumes d'une grande importance sur la suprématie » morale et civile de l'Italie. »

M. le comte Balbo, appréciant cet ouvrage, plus spécialement en rapport avec le sujet qu'il traite lui-même, complète son jugement sur Gioberti par le passage suivant, qui est également applicable à l'ouvrage que nous offrons au public, et que par conséquent nous n'hésitons pas à joindre au précédent.

«.... Je ne chercherai pas s'il distingue toujours >> avec une précision suffisante le passé, le présent » et l'avenir de l'Italie; si dans ses éloges il évite

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toujours les exagérations, et les tempère convena» blement par le blâme; si homme aussi grave que

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qui que ce soit, il est toujours gravement sévère » comme le furent Dante et Alfiéri dont il fait jus>>tement l'éloge. Quand M. Gioberti serait tombé >> dans ces défauts et d'autres encore, ce serait peu » de chose comparativement à ses bonnes qualités. >> Je ne parle pas de sa valeur littéraire, d'un style >> facile et pur de toute pédanterie, d'une éloquence >> admirable, ni de sa science; son plus grand mérite >> est d'avoir parlé de cet avenir de la patrie, sur lequel on se plaît tant à discourir en d'autres pays, » sur lequel on garde depuis si long-temps le si»lence dans le nôtre, d'en avoir parlé le premier » ouvertement, largement et avec la plus grande » modération. Aussi, contrairement peut-être à l'at» tente de certains railleurs, il en a parlé, lui phi>> losophe, d'une manière beaucoup plus pratique » que ne l'ont fait le petit nombre d'historiens ou >> d'hommes pratiques qui ont touché timidement ce >> sujet périlleux............... »

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Pour achever de peindre notre auteur, voyons maintenant comment il parle de lui-même, et quel esprit le guide dans ses profondes études. Nous lui emprunterons pour cela un passage de son Traité du Bon, où il fait la déclaration suivante :

« Je proteste que je ne sers aucun individu, » aucune secte, aucune classe d'hommes, quelque

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respectable qu'elle soit je veux avoir une indépendance, une liberté d'esprit telle, que peu la possèdent dans ce siècle servile. Jamais cependant >> ma liberté ne deviendra de la licence; car autant j'aime à soustraire mes idées à l'influence et à >> l'autorité des hommes, autant je reconnais et j'a» dore la divine souveraineté de l'Église, et celle de >> son chef suprême. »

Les œuvres de M. V. Gioberti se composent jusqu'ici de 14 volumes in-8°, comprenant les ouvrages suivants :

1o Del Primato morale e civile degli Italiani (De la Suprématie morale et civile des Italiens), 2 vol. ; 2o Del Buono (du Bon), 1 vol. ;

3o Del Bello (du Beau), 1 vol. 2o édition;

4o Teorica del Sovrannaturale (Théorie du Surnaturel), 1 vol. 2e édition;

5° La Protologia (La Protologie), 1 vol. inédit; 6o Degli Erroni filosofici di Antonio Rosmini (Des Erreurs philosophiques d'Antoine Rosmini), 4 vol.;

7° Introduzione allo Studio della Filosofia (Introduction à l'Étude de la Philosophie), 1re partie, 4 vol. 2e édition.

Il serait superflu d'essayer ici de faire connaître le plan de l'ouvrage que nous avons traduit, l'auteur lui-même l'expose et le justifie dans la préface dont il l'a fait précéder et que nous avons reproduite en entier malgré son étendue. Un coup-d'œil sur la table analytique qui accompagne chaque volume, suffira d'ailleurs pour faire connaître au lecteur l'ensemble des questions qu'il soumet à son

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