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une chimère et une pure hypothèse à s'occuper de lá noble entreprise d'une restauration philosophique je les invite à examiner les idées que je propose, pour les corriger si elles sont inexactes, pour les réfuter si elles sont erronées, et proposer une meilleure voie dans laquelle je serai le premier à entrer quand on me l'aura montrée ; car ici il ne s'agit point de questions littéraires ou accessoires, dans lesquelles l'amourpropre peut être excusable, mais de vérités capitales, des problêmes les plus importants qui puissent être proposés aux hommes qui cultivent les sciences. Quant aux demi-savants, je ne dédaignerai pas non plus d'être repris par eux, parce que la vérité est un don précieux et acceptable de quelque main qu'il vienne. Mais peut-être qu'il ne leur sera pas aussi facile qu'ils le croient d'exercer à mes dépens cette censure dont ils sont si avides, et de me prouver par des raisons plausibles que j'ai tort (*).

En toute manière, je tiens la religion catholique, non-seu. lement pour une doctrine supportable, selon la bienveillante concession des modernes éclectiques, mais pour la seule qui possède une valeur scientifique dans les matières spéculatives, la seule philosophique, la seule capable d'aider aux progrès de la civilisation et bien loin de considérer comme vieillis, usés et épuisés les principes de l'antique théologie, je les crois plus neufs, plus jeunes et plus féconds que ces théories qui prennent leur nom de l'année même où nous nous trou

(*) Ge passage et beaucoup d'autres semblables ne s'adressent pas, comme cha cun le voit, à ceux qui, bien que ne possédant pas une grande érudition, ont de la modération, de la retenue et de la courtoisie. Mais de nos jours le nombre des hommes ignorants et présomptueux est si grand, principalement parmi ceux qui ayant le privilége de vivre sans travail dans l'abondance et le luxe, croient avoir celui d'être savants sans étudier, que j'ai cru à propos d'expri mer mon opinion à cet égard. J'ai parlé clairement, et peut-être même trop, parce que dans cette circonstance je ne pouvais dire: sapienti pauca

vons. Et je ne m'inquiète pas de l'opinion contraire'; car, comme tout ce qui est sujet au caprice de la mode, elle feral bientôt place à une opinion différente, jusqu'à ce que, selon l'usage ordinaire, de changement en changement, elle retourne à l'antique et que les esprits s'y arrêtent, reconnaissant que l'usage n'a point d'empire sur le vrai, et que le vrai est tel précisément parce qu'il est ancien. Il y a trente ou quarante ans, on voulait aussi penser et croire selon la mode : le cate chisme de Volney était substitué en France au catéchisme catholique; Condillac et ses dignes continuateurs étaient les maîtres de la science: Platon, Aristote, Saint Augustin, Saint Thomas, Leibniz, Malebranche, étaient regardés comme des visionnaires et des insensés, indignes d'être étudiés, indignes même d'être combattus. Aujourd'hui les choses ont changé de face, et on reconnaît que Platon est plus jeune et plus neuf que Destutt de Tracy, bien que, dans l'ordre des temps, il l'ait précédé de vingt-deux siècles; et il n'y a pas d'écrivain assez désœuvré pour aller, si ce n'est dans les livres élémentaires, perdre son temps et sa peine à combattre le philosophe français. Et qu'on remarque bien qu'il ne s'agit pas ici d'un simple retour de fortune; car il y a cette différence entre les deux cas, que les modernes sensistes (*) ne connaissent Platon que de nom, tandis que les modernes platoniciens ont une connaissance parfaite de leurs adversaires; d'où il suit que le philosophe athénien était naguère méprisé parce qu'il n'était pas connu, et que les sensistes sont maintenant abandonnés parce qu'ils le sont trop. Pareillement, si l'on considère le de consistance des opinions religieuses qui sont en vogue peu

(*) Pardonnera-t-on au traducteur d'avoir adopté les mots sensisme et sensistés pour sensualisme et sensualistes ? Il lui a paru que ces mots qu'il traduit exactement de son auteur étaient mieux formés et plus conformes à la dérivation que ceux jusqu'ici en usage. T.

et l'impossibilité d'en trouver de plus solides, le prochain retablissement des croyances catholiques dans tout le monde civilisé paraîtra, même humainement, indubitable. L'éclectisme religieux, le rationalisme théologique, le christianisme humanitaire, et les autres chimères semblables, qui sont sans base solide, s'évanouiront avec ce prestige de la nouveauté qui leur a donné quelque puissance, et n'auront un jour pas plus de poids et de renommée que les rêveries des Kabbalistes et des Gnostiques.

Tout écrivain doit chercher en même temps le vrai et le neuf. Dire qu'en écrivant un ouvrage de science il faut principalement rechercher la vérité, paraît une chose trop triviale; mais il n'est pas hors de propos de le répéter aujourd'hui que l'on travaille d'imagination dans le champ de l'intelligence, que l'on poétise les idées comme jadis on poétisait les images, que l'on aspire à ce qui est apparent et non à ce qui est solide et fermement établi, que l'on bâtit un système comme un roman ou une comédie. Le vrai est difficile à trouver il réclame de longs travaux, une grande constance d'esprit, et des fatigues inexprimables; c'est la seule voie qui conduise à des résultats universellement utiles et à la vraie gloire, mais elle ne conduit pas également à la fortune, et rarement à la réputation des salons et des partis. Il n'est donc pas étonnant qu'il y ait aujourd'hui si peu d'hommes qui se mettent en peine de découvrir les parties cachées des sciences spéculatives, et de conserver les parties connues et vulgaires du vrai ; et qu'on préfère le faux déguisé sous de beaux dehors comme plus conforme au goût de la multitude et au dessein de celui qui se sert de sa plume comme d'un moyen expéditif pour faire du bruit et augmenter sa fortune. Le vrai idéal est ancien, ou pour mieux dire, éternel de sa nature, et exclut les nouveautés subséquentes qui nais

sent du mouvement des faits et des calculs ; mais il n'en est pas moins susceptible d'un mouvement propre, qui consiste dans son éclaircissement successif, comme je le montrerai ailleurs. S'il en est qui croient que cela ne suffit pas à l'honneur et à la dignité des sciences philosophiques, et qui préfèrent ces inventions puériles, nées aujourd'hui et mortes demain, ils prouvent qu'ils n'ont jamais respiré le parfum de la vérité et qu'ils connaissent bien peu la fortune des divers systèmes et les annales de la spéculation. La nouveauté que caressent les esprits superficiels n'est point positive, mais négative; elle n'ajoute point à la somme des vérités connues, mais elle l'appauvrit ; elle ne pousse pas la science en avant, mais elle la fait reculer. Et en cela, comme on le voit, la facilité du travail correspond à la qualité et à l'importance de l'effet. La seule nouveauté scientifique qui ait quelque chose de solide et ne soit pas facile à saisir, c'est celle qui éclaircit la vérité, la complète, l'amplifie, combat les innovations d'une autre nature, et accroît le patrimoine intellectuel de l'homme sans en altérer le caractère et la valeur. Or, telles ne sont point en grande partie les innovations introduites depuis Descartes dans la philosophie, la politique, la religion; car elles sont destructives de leur nature et diminuent au lieu de l'augmenter le dépôt des connaissances. Ainsi, par exemple, les modernes novateurs s'accordent à nier le surnaturel, et croient, en écartant cette pensée, servir la science, comme celui qui croirait enrichir le fisc en niant l'existence des impôts. Au lieu de rajeunir et de raviver ces idées anciennes en faisant connaître et en expliquant leur origine, au moyen d'une philosophie sévère, on prend le parti plus commode de les rejeter, et on crée des systèmes en l'air, bons à servir de jouet à des enfants et non de nourriture à des esprits mûrs. En somme, la seule nouveauté légitime est celle qui se conforme à la loi

catholique et ne répudie point le passé en faveur de l'avenir; quant à celle-là, je crois avoir satisfait au devoir de l'écrivain. J'ai entrepris d'étudier l'idée, qui est l'essence et comme la moële de toute philosophie : je l'ai prise dans ses principes et je l'ai suivie dans ses effets, essayant d'ajouter quelque degré de lumière réfléchie à la splendeur qui lui est propre. Si je n'ai pas résolu quelques-uns des problèmes les plus importants, j'ai quelques motifs de croire que je n'ai pas inutilement travaillé à en accélérer la solution. Que si quelqu'un trouve qu'une telle confiance est arrogante et présomptueuse, qu'il se rappelle que tout écrivain qui ne compose pas un ouvrage élémentaire doit l'avoir; car s'il se fait imprimer seulement pour rafraîchir les vieilles choses, il n'est qu'un radoteur et un importun, et je regarde comme un fléau pour les lettres modernes ces écrivains qui ne se lassent pas de répétér et de rajeunir les idées rebattues. La seule différence qui me distingue du plus grand nombre des écrivains, c'est quej'exprime onvertement et clairement ce que tous les autres pensent, quoiqu'ils ne le disent pas; persuadé que ma sincérité ne déplaira pas aux lecteurs d'élite, et qu'elle ne sera pas pour les autres un avertissement inutile et déplacé ; 'car nous vivons dans une époque d'ostentation et de pusillanimité où une confiance raisonnable passe pour de la présomption, et la modestie pour de la bassesse ou de la faiblesse. Mais pas plus en ceci qu'en beaucoup d'autres choses, je ne suis disposé à obéir à la mode, à voir toujours par les yeux des autres ou à juger avec leur esprit. Que ceux qui aiment la mode s'adressent à d'autres et jettent mon livre au seu (18).

En voilà assez sur ce sujet; peut-être même mes lecteurs trouveront-ils que j'en ai trop dit, et que par ce long préambule je les ai fatigués avant d'entrer en matière. Pour terminer, j'ajouterai encore quelques mots sur les sciences

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