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» et la république de plus ; » que « lorsque Alfiéri, prenant le » cadre de la tragédie française pour le type universel, se borne → à mettre des monologues à la place des confidents, et à supprimer les récits à la fin des pièces, sans les épargner ail» leurs, aucune innovation réelle ne suit cette espèce de ré» forme de détail; » que « quand Alfiéri s'est fatigué de ces » éternels confidents, sur l'épaule desquels le prince s'appuie, » et qui sont là pour écouter de longs récits, en faisant de > temps en temps une petite réflexion, afin de donner au prince » le temps de reprendre haleine et d'achever son histoire, » quand au lieu de ces entretiens commodes, il laisse un prince tout seul sur le théâtre, et l'oblige de se raconter à » lui-même les choses qu'il a faites et les sentiments qu'il éprouve, il n'y a ni nouveauté ni progrès, mais que c'est encore un pire défaut, parce que « peu de princes, à chaque » occasion, se promenant seuls à grands pas, disent tout haut » leurs pensées et leurs affaires, comme un poëte récite ses >> vers; » que « Horace ne voulait pas qu'il y eût quatre per» sonnages parlant à la fois sur la scène; mais il n'aurait pas exigé du poëte de n'en mettre que quatre dans toute une tra» gédie, » et que pour avoir' ignoré cette profonde distinction, et cru qu'Horace exigeait quatre personnages, Alfiéri en a presque toujours mis quatre seulement dans ses tragédies; que << dans les sujets mythologiques, Alfiéri, plus imitateur des Français que des Grecs eux-mêmes, n'a pas égalé ces modèles de seconde main qu'il avait trop suivis ("); » que « son › théâtre n'est que le théâtre français, je ne dirai pas épuré, » mais rétréci; » que dans la conjuration des Pazzi « le prin» cipal conjuré était Salviati, l'achevêque de Florence; le prin»cipal assassin était le prêtre Stéphano; » qu'Alfiéri « était » l'homme en qui éclatait le plus la philosophie française du › dix-huitième siècle (**); » et qu'enfin l'Oreste et le Saul doivent

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(*) Lieu cité, leçon 10.

(**) bid., leçon 11.

être les tragédies les plus médiocres de notre tragique, puisque le professeur français, qui se propose de donner une idée juste de son théâtre, et en passe en revue les principales compositions, ne fait pas la moindre mention de celles-ci (*). Je n'entreprendrai pas d'apprécier ces belles opinions; ce serait une matière trop étrangère à mon sujet et trop longue pour une note; d'ailleurs j'espère qu'un savant Italien, mon ami, dont le jugement épuré égale la solide érudition, ne laisséra point passer sans réponse les erreurs de M. Villemain sur la littérature italienne (**), et montrera que, si le troupeau servile des imitateurs fut trop nombreux dans notre Péninsule, la race des Italiens courageux et libres n'y fut jamais entièrement éteinte, et que parmi eux aucun ne peut être mis, dans ces derniers temps, en parallèle avec Alfiéri.

Cependant, avant de terminer cette note, je veux dédommager le goût du lecteur par deux extraits d'un ouvrage italien nouvellement publié, qui parvient en ce moment même à ma connaissance. César Balbo, observant que le Piémont est une espèce de Macédoine ou de Prusse italienne, comme une Florence du dix-huitième siècle, un état, un peuple, dont la jeunesse fut longue, lente et grossière, ajoute : « et tant il est » vrai que l'activité et la dignité de l'état est le mobile ordi> naire de l'activité et de la dignité des lettres, la seule pro» tection efficace qu'elles puissent avoir, qu'alors enfin, c'est-à-dire quand il fut libre de la domination espagnole, <«<le Piémont entra dans la littérature italienne, et y entra

(*) Que diraient les Français d'un critique italien qui, parlant du théâtre de Racine et de Corneille, ne dirait pas un mot d'Athalie ni de Polyeucte?

(**) Entre les curiosités que cet écrivain peut fournir aux divertissements des Italiens, il ne faut pas oublier son jugement sur l'apologie de Lorenzino de Médicis, regardé par lui comme une froide et amphatique déclamation (Journ. des sav., sept. 1838.) Chacun sait que nos critiques les plus difficiles et les plus ingénieux tiennent cette apologie pour un chef-d'œuvre d'éloquence auquel peu d'ouvrages anciens ou modernes en ce genre peuvent être comparés. Voir entre autres Giordani ( lett. al. Caponni) et Léopardi (op. mor. or.)

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>> glorieusement avec Alfiéri et Lagrange.» Après avoir ensuite fait remarquer que le culte du Dante fut principalement ressuscité par les œuvres d'Alfiéri et de Monti, il parle ainsi de ces deux poëtes: « le premier, apportant de sa province, qu'il fit > entrer dans la littérature italienne, je ne sais si je dois dire » la force ou la grossièreté et la dureté rustique, restaura peut-être la vigueur de toute la littérature; mais ce qui est » sûr, il rétablit le culte du Dante. C'était une ame vraiment Dantesque. Amour, colère, orgueil, alternatives de modé» ration et d'exagération, changements de partis, tout est pareil dans ces deux hommes. Et l'imitation n'est point » cherchée, mais involontaire, libre et intrinsèque. Monti eut plutôt l'esprit que l'ame Dantesque, et ses changements » vinrent plutôt chez lui de la flexibilité que de la colère : » aussi son imitation est extérieure, et seulement dans les » formes et dans les images (*). Ce peu de paroles en disent beaucoup plus sur le Piémont et Alfiéri que les trois verbeuses leçons du professeur parisien; et on peut en conclure si c'est avec raison que le grand disciple du Dante est appelé le plagiaire de Corneille, et l'imitateur de la France. J'ai voulu citer ce passage, autant à cause de sa vérité, que pour avoir occasion de mentionner un ouvrage excellent; car parmi les écrits récents de notre langue, il y en a très peu d'aussi instructifs, d'aussi sages, d'aussi pleins de pensées élevées, que la Vie du Dante, par César Balbo.

NOTE 31.

Descartes dit que « la première et la principale cause de »> nos erreurs sont les préjugés de notre enfance(**). » Cela estil vrai? Je ne le crois pas. Il y a dans l'enfance le germe de

(*) BALBO, Vita di Dante. Turin, 1839.
(**) DESCARTES, ОEuv., tom. 1, p. 112.

l'erreur et du vice, mais encore caché et non développé ; il y a une innocence d'esprit aussi bien que de mœurs, une heureuse ignorance du faux et du mal. Bien entendu que je parle de cet âge qui s'appelle plus spécialement l'enfance, dans lequel la raison commence à s'exercer, et non pas de celui qui précède et durant lequel, en ce qui regarde l'action de ses facultés, l'homme ne dépasse pas encore le caractère sensitif de l'animal. Dans l'enfance il y a ignorance, et non pas erreur. Ce que l'enfant affirme expressément et positivement, suivant les inspirations de son propre esprit, est vrai. Et si quelquefois il tombe dans l'erreur, il ne l'embrasse le plus souvent que d'une manière irrésolue, vague, indéterminée, et comme une impression confuse qui est plutôt de l'ignorance que toute autre chose, et qui commence à devenir l'erreur seulement dans l'adolescence ou dans la jeunesse, quand l'assentiment qui lui est donné est entier, positif, parfait, comme une œuvre de la réflexion et de la délibération. L'erreur n'est, en effet, que la confusion d'une demi-connaissance avec une connais sance entière; je veux dire, de la connaissance avec l'ignorance. Car les préoccupations, ou comme on dit aujourd'hui, les préjugés, n'appartiennent pas, généralement parlant, à l'enfance mais à l'âge viril, de même qu'ils sont plutôt le propre des nations un peu civilisées que des barbares et des sauvages. Je n'exclus pas de l'enfance les commencements des erreurs et des passions, mais bien leur entier développement; ce qui revient à dire que la corruption originelle, pour ce qui regarde une partie de ses conséquences, ne se développe pas complétement avant que l'individu et la société ne soient parvenus à leur maturité.

NOTE 32.

Le pouvoir civil des Papes dans le moyen-âge fut une véritable souveraineté européenne, une dictature tribunitienne, parfaitement légitime, fondée en partie sur le consen

tement des peuples, en partie sur l'autorité spirituelle du Pape lui-même. Du côté des peuples on ne peut nier la légitimité d'un pareil pouvoir, puisque nous le voyons consenti par les diverses souverainetés nationales, qui toutes reconnaissaient dans le Pontife un arbitre suprême. Or, toutes les fois qu'une souveraineté légitime en reconnaît une autre, par le fait seul de cette reconnaissance elle l'autorise, lors même que par ses antécédents elle n'aurait pas été légitime. Mais pourquoi reconnut-on, pour arbitre de l'Europe, le Pape plutôt qu'un autre homme ou un autre prince? Parce que le Pape seul avait la capacité nécessaire pour exercer cet arbitrage. La capacité personnelle et la souveraineté traditionnelle réunies, constituent la légitimité parfaite. Et cette capacité des Papes ne provenait pas seulement des qualités individuelles de ces pontifes et des principes électifs de leur succession, mais de leur rang spirituel, c'est-à-dire, de ce qu'ils étaient les chefs de la société conservatrice et propagatrice du vrai idéal. Le chef d'une société qui avait pour but de ramener à l'unité le genre humain, et qui y avait jadis réduit l'Europe, cet homme dépourvu de forces et doué d'une autorité immense, était le seul apte à remplir l'office d'arbitre pacifique des nations, et jouissait dans la chrétienté de cet empire moral qu'un bon pasteur exerce sur les hommes de son diocèse ou de sa paroisse. C'est, à ce qu'il me semble, dans ce sens qu'il faut entendre les paroles de ces mêmes Pontifes lorsqu'ils affirmaient qu'ils avaient reçu de Dieu leur pouvoir civil, comme partie ou dépendance du rang éminent qu'ils occupaient dans l'Église. Le Christ en effet en faisant du Pape le chef spirituel du genre humain, lui donna virtuellement tous ces pouvoirs, qui devaient successivement se développer et se traduire en actes, moyennant le concours des conditions, extérieures nécessaires pour les actualiser; et parmi ces conditions, le consentement des souverainetés nationales respectives était suffisant pour réaliser l'arbitrage civil du monde. Remarquons en effet que cet arbitrage, dont l'Europe est aujourd'hui privée et hors

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