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qu'écrivait Courier en 1806, de Crotone, seconde patrie de Pythagore. Le défaut signalé par ces admirables paroles est à proprement parler celui qui est particulier aux Français ; et Courier le confesse, en appelant ses compatriotes le plus valet de tous les peuples (*). Il enseigne ailleurs comment, d'ordinaire, un peuple se fait laquais (**). Mais ce vice est aujourd'hui plus ou moins commun à tous les peuples d'Europe, et c'est un des points par lesquels nous différons le plus des anciens, ce qui doit causer quelques embarras aux modernes fauteurs du progrès continu.

NOTE 25.

Comme il arrive aux institutions qui touchent à leurs derniers moments, que leurs partisans perdent la tête et tombent en enfance, quand ils voient les premiers symptômes de leur ruine, il ne manque pas aujourd'hui de gens qui voudraient remettre en honneur les joûtes et les tournois. En 1839, pendant les chartistes mettaient à feu et à sang quelques parties de que l'Angleterre, et que plusieurs milliers d'ouvriers manquaient de pain, une foule de nobles, enfants ou redevenus enfants, s'amusaient à Eglington à courir des lances, et à renouveler les comédies chevaleresques du moyen-âge, sans oublier the queen of beauty. Quelque sévère qu'on veuille être envers les inclinations de notre siècle industriel et marchand, il faut avouer que les chemins de fer et les machines à plus utiles que les lices et les tournois.

NOTE 26.

vapeur sont

Leibniz, avec cette profonde et vaste pénétration qui embrassait tout, prédit la révolution française, l'affaiblissement des esprits, la prostration des ames, la prédomination de

(*) COURIER. Pamph, des Pamph.

(**) Id. Livret de Paul Louis.

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l'égoïsme, la perte de la vertu civile, de tout sentiment généreux et magnanime, comme des effets nécessaires du sensisme et de l'incrédulité, qui commençaient à prévaloir à son époque. On trouvera avec plaisir ici ce passage prophétique de ses écrits: «On peut dire qu'Epicure et Spinoza, par exemple, » ont mené une vie tout-à-fait exemplaire. Mais ces raisons >> cessent le plus souvent dans leurs disciples ou imitateurs, qui, se croyant déchargés de l'importune crainte d'une pro» vidence surveillante et d'un avenir menaçant', lâchent la » bride à leurs passions brutales, et tournent leur esprit à sé» duire et à corrompre les autres; et s'ils sont ambitieux et » d'un naturel un peu dur, ils seront capables, pour leur plai» sir ou avancement, de mettre le feu aux quatre coins de la » terre, comme j'en ai connu de cette trempe que la mort a enlevés. Je trouve même que des opinions approchantes » s'insinuent peu à peu dans l'esprit des hommes du grand monde, qui règlent les autres, et dont dépendent les affaires, » et se glissant dans les livres à la mode, disposent toutes » choses à la révolution générale dont l'Europe est menacée, » et achèvent de détruire ce qui reste encore dans le monde » des sentiments généreux des anciens Grecs et Romains, qui préféraient l'amour de la patrie et du bien public, et le soin » de la postérité à la fortune et même à la vie. Ces publick » spirits, comme les Anglais les appellent, diminuent extrême>>ment, et ne sont plus à la mode; et ils cesseront davantage quand ils cesseront à être soutenus par la bonne morale et par » la vraie religion que la raison naturelle même nous ensei» gne. Les meilleurs du caractère opposé, qui commence à ré»gner, n'ont plus d'autre principe que celui qu'ils appellent de » l'honneur. Mais la marque de l'honnête homme et de l'homme » d'honneur chez eux est seulement de ne faire aucune bas» sesse comme ils la prennent. Et si pour la grandeur ou par caprice quelqu'un versait un déluge de sang, s'il renversait » tout sens dessus dessous, on compterait cela pour rien, et » un Hérostrate des anciens ou bien un don Juan dans le

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» festin de Pierre, passerait pour un héros. On se moque hau>>tement de l'amour de la patrie, on tourne en ridicule ceux qui ont soin du public, et quand quelque homme bien inten» tionné parle de ce que deviendra la postérité, on répond: » alors comme alors. Mais il pourra arriver à ces personnes d'éprouver elles-mêmes les maux qu'elles croient réservés » à d'autres. Si l'on se corrige encore de cette maladie d'esprit épidémique, dont les mauvais effets commencent à être visibles, ces maux peut-être seront prévenus: mais si elle » va croissant, la Providence corrigera les hommes par la révolution-même qui en doit naître. Car, quoi qu'il puisse arriver, » tout tournera toujours pour le mieux en 'général au bout du » compte, quoique cela ne doive et ne puisse pas arriver sans. » le châtiment de ceux qui ont contribué même au bien par » leurs actions mauvaises (*). »

>>

>>

NOTE 27.

Je mets Napoléon au nombre des Italiens, parce que la Corse a toujours appartenu moralement et géographiquement à l'Italie, et que, politiquement même, elle n'a jamais, que je sache, fait partie de la France jusqu'à l'époque où naquit Napoléon (**). Cela n'est peut-être pas vrai, selon les doctrines géographiques qui ont cours en France, mais c'est sans réplique suivant celles qui sont reçues dans le reste de l'Europe; car un Corse issu d'une ancienne famille italienne ne peut pas plus être regardé comme français, que les Bramanes de Surate ou de Benares ne sont anglais, ou que ne furent espagnols es Indiens du Pérou et du Mexique, nés l'année que Cortez et Pizarre s'emparèrent de Tenoctitlán et de Cuzco. Les Parisiens pensent différemment et appellent France la Corse, ce qui est

(*) Vouv. ess, sur l'entend, hum,, liv. 1v, chap. 16.

(**) Suivant une tradition, dont l'examen est du reste peu important, Napoléon serait né un an avant que la Corse tombât sous la domination française.

aussi vrai que si l'on disait que la Méditerranée est un lac français, comme le disait, si je m'en souviens bien, Napoléon lui-même pour flatter la vanité française.

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NOTE 28.

A propos de la chute de Napoléon, et de la fameuse journée qui mit fin à son empire, je régalerai mes lecteurs d'un fragment délicieux de M. Cousin, il est emprunté à ses leçons : Vous le savez, ce ne sont pas les populations qui paraissent » sur les champs de bataille, ce sont les idées, ce sont les cau»ses. Ainsi à Leipsig et à Waterloo ce sont deux causes qui se >> sont rencontrées: celles de la monarchie paternelle et de la » démocratie militaire. Qui l'a emporté, Messieurs? Ni l'une » ni l'autre. Qui a été le vainqueur? qui a été le vaincu à Water>> loo? Messieurs, il n'y a pas eu de vaincus. (Applaudissements). » Non, je proteste qu'il n'y en a pas eu les seuls vainqueurs » ont été la civilisation européenne et la Charte. (Applaudisse»ments unanimes et prolongés.) Oui, Messieurs, c'est la Charte...

appelée à la domination en France, et destinée à soumettre, » je ne dis pas ses ennemis, elle n'en a pas, elle n'en a plus, >> mais tous les retardataires de la civilisation française. ( Applaudissements redoublés (*). » Je connais peu de scènes dans tous les comiques anciens et modernes aussi dramatiques que ce monologue et le chœur qui l'accompagne.

»

NOTE 29.

Un jeune homme d'un bon naturel, mais très riche de cette frivolité et de cette vanité puérile qui manquaient à son oncle, a cru pouvoir prouver que les peuples refont maintenant, ou veulent refaire l'œuvre de Napoléon. Je ne crois pas que les peuples, quel

(*) Introd. à l'hist. de la phil., leçon 13.

T. I.

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que dégénérés et corrompus qu'ils soient, puissent être accusés de complicité avec le plus sauvage et le plus implacable ennemi de la liberté des peuples qu'ait eu le monde. Je dis le plus sauvage, parce que les conquérants barbares, depuis Brennus et Genséric jusqu'à Louis XIV et Charles XII, dans leurs dévastations, ne s'attaquaient qu'aux parties matérielles, et pour ainsi dire au corps des Etats; tandis que Napoléon voulait en tuer l'esprit, et il y serait parvenu, si la Providence n'y avait mis la main. Si son empire s'était consolidé, il ne se serait pas passé deux siècles avant que la barbarie morale de l'Europe n'eût surpassé celle des anciens Huns, et les amis de la liberté auraient été obligés d'aller la chercher sur les bords de l'Euphrate ou du Nil. Attila, qui rendait hommage dans la majesté du souverain Pontife à la divine indépendance du christianisme, et épargnait, en faveur de lui, la terre d'Italie, fut moins funeste à nous en particulier et à la civilisation en général, fut moins impie qu'un homme né en Italie, qui, doublement parricide, voulut placer sous le joug de la France et sa religion et sa patrie. Je n'ignore pas que ces idées ne sont pas de mode et qu'il est d'usage aujourd'hui de louer Napoléon, comme ce l'était il y a quinze ans de le maudire et de lui refuser, ce qui est souverainement ridicule, même le génie. Mais je ne crois pas que tout le monde soit tenu de changer d'opinion comme on change de vêtement. Que les Français, qui sont avides de dominer et ont besoin d'être gouvernés par une volonté plus forte que la leur, regrettent Napoléon, il n'y a là rien d'étonnant; de même qu'il n'est pas non plus surprenant que quelques autres nations européennes, martyrisées par de mauvais et faibles princes, ne se rappellent que la vigueur, la fermeté, la force d'ame vraiment admirable de leur ancien oppresseur, quand elles les comparent à la poltronnerie et à la lâcheté modernes. Un autre motif fait regretter à beaucoup de personnes le gouvernement impérial, c'est la bonté et la sagesse de ses principes administratifs; sous ce rapport seulement on peut admettre l'opinion d'un

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