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» qua pietate est vir clarissimus id attente diligenterque perpendat, et summo sibi studio judicet incumbendum, ne cum >> Dei causam adversus impios agere meditatur, fidei illius > auctoritate fundatæ, e cujus beneficio immortalem illam > vitam quam hominibus persuadendam suscepit, se consecu» turum sperat, aliqua in re periculum creasse videatur (*). Or, que répond à cela Descartes? Il convient peut-être que son doute absolu est un pur stratagème de méthode? Non certes; il se garde bien même d'en parler, et se borne à dire que sa philosophie est faite seulement pour les forts esprits. «Je con» fesse donc ingénument avec lui, que les choses qui sont con» tenues dans la première Méditation et même dans les sui» vantes, ne sont pas propres à toutes sortes d'esprits, et qu'elles ne s'ajustent pas à la capacité de tout le monde; » mais ce n'est pas d'aujourd'hui que j'ai fait cette déclara» tion... Aussi a-ce été la seule raison qui m'a empêché de traiter de ces choses dans le discours de la Méthode, qui » était en langue vulgaire, et que j'ai réservé de le faire dans » les Méditations, qui ne doivent être lues, comme j'en ai plusieurs fois averti, que par les plus forts esprits. Et on ne peut pas dire que j'eusse mieux fait, si je me fusse abstenu » d'écrire des choses, dont la lecture ne doit pas être propre ni » utile à tout le monde; car je les crois si nécessaires, que je » me persuade que sans elles on ne peut jamais rien établir » de ferme et d'assuré dans la philosophie. Et quoique le fer » et le feu ne se manient jamais sans péril par des enfants ou >> des imprudents; néanmoins, parce qu'ils sont utiles pour » la vie, il n'y a personne qui juge qu'il se faille abstenir pour » cela de leur usage (**) » Il parle ensuite de son opinion, qu'il ne faut croire au vrai que lorsqu'il est évident, et il répète sa chanson babituelle, en exceptant les choses qui regardent la morale et la foi(***); clause dont nous verrons bientôt la valeur.

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(*) Ibid. p. 37, 38. (**) Arnauld. Ibid. (***) Id. ibid.

Il est donc clair que le doute de Descartes était sérieux, vrai, et non pas supposé, et que le tempérament qu'il y apporte dans quelques passages de ses ouvrages partait seulement de son amour pour les enfants et les imprudents, qui n'avaient pas une tête assez forte, ou un estomac assez robuste pour digérer sa doctrine. Que si dans le fragment des Principes que nous avons cité, et où il s'exprime plus clairement, il dit : nous supposons facilement qu'il n'y a point de Dieu, ce faible palliatif, suggéré peut-être par une observation d'Arnaud (*), est seulement une expression de bienséance, puisqu'il l'applique également à l'existence des corps à l'égard desquels son doute est absolu et sincère, comme on le voit par le contexte et par beaucoup d'autres passages. Sans compter que ce mot, nous supposons, s'il se rapporte à l'objet du doute et non pas au doute lui-même, renferme la réalité de l'acte dubitatif. Or, je le demande, la profession du christianisme s'accorde-t-elle avec ce doute sérieux et universel? Qui se persuadera que celui qui trouve à propos de rejeter toute vérité, dans laquelle on peut imaginer le moindre doute, puisse cependant croire aux dogmes mystérieux de la foi qui, malgré les preuves incontestables. sur lesquelles ils s'appuient, sont cependant si redoutables pour les sens, si exposés aux railleries d'une raison faible et orgueilleuse? Comment un homme, qui doute de l'existence. de la matière, du monde, de son propre corps; qui annulle toute l'histoire passée, non-seulement de ses semblables mais la sienne propre; qui s'imagine être seul dans une complète solitude, sans autre certitude que celle de son doute; pourrat-il néanmoins croire logiquement à la révélation, à la mission de l'Homme-Dieu sur la terre, à l'histoire merveilleuse de la religion, à la Bible, aux commandements, aux sacrements, à l'Eglise? En vérité, si Descartes exige un tel acte de foi, il demande un effort trop difficile même pour la crédulité de ceux

(*) Arnauld, œuvres tom, xxvIII, p. 34.

qui n'ont pas le courage de le suivre dans son apprentissage du doute. Singulière folie dans un philosophe ! Pour conduire l'homme à la connaissance du vrai, il commence par l'en dépouiller; et si le malheureux reste dans sa douloureuse nudité, et ne sait pas s'en délivrer, qui aura à en répondre à Dieu sinon le téinéraire et l'audacieux qui l'a conseillé ?

Il est vrai que de ce doute universel on excepte expressément la morale et la religion. Mais outre que l'exception emporte un énorme paralogisme, on peut demander si la morale et la religion, dans le sens de la clause cartésienne, suffisent à la profession du catholicisme. « Je me formai une > morale par provision, qui ne consistait qu'en trois ou qua» tre maximes.......La première était d'obéir aux lois et aux > coutumes de mon pays, retenant constamment la religion, en > laquelle Dieu m'a fait la grâce d'être instruit dès mon » enfance (*). » Donc la religion, la foi, la profession du christianisme peuvent être, même pour un seul instant, un article de morale provisoire!« Les trois maximes précédentes n'étaient

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que sur le dessein que j'avais de continuer à m'instruire; » car Dieu nous ayant donné à chacun quelque lumière pour > discerner le vrai d'avec le faux, je n'eusse pas cru me > devoir contenter des opinions d'autrui un seul moment, » si je ne me fusse proposé d'employer mon propre jugement » à les examiner lorsqu'il serait temps..... Après m'être › ainsi assuré de ces maximes, et les ayant mises à part avec » les vérités de la foi, qui ont toujours été les premières en » ma créance, je jugeai que pour tout le reste de mes opi» nions, je pouvais librement entreprendre de m'en défaire(**).› L'honneur que fait Descartes aux vérités de la foi, en leur accordant le privilége d'être les premières en sa créance, n'ôte point à ces paroles leur ambiguïté. Mais comme il proteste qu'il veut examiner lorsqu'il sera temps les opinions que sans cela il

(*) Disc. de la méth.

(**) Descartes, œuv., tom. 1.

ne se contenterait pas de recevoir sur l'autorité d'autrui, on ne com→ prend pas comment, d'après sa manière de voir, les dogmes religieux, fondés sur la tradition et sur l'enseignement de l'Eglise, peuvent recevoir un privilége particulier; et si on ne le leur accorde pas, il est clair que la foi de Descartes ne diffère pas de celle de Luther, et que l'obéissance provisionnelle à la religion, en laquelle Dieu lui a fait la grâce d'être instruit, ne peut regarder que la pratique extérieure, ou n'être tout au plus qu'une foi conditionnelle. Mais la foi n'est vraiment chrétienne, n'est catholique, que si elle est absolue. Croire par supposition préalable que l'examen qu'on va faire doit confirmer l'acte que l'on exprime, faire dépendre la foi présente du résultat d'un examen ultérieur, peut disposer en quelques cas, non pas assurément dans celui de Descartes, - à la foi future; mais ce ne peut toutefois, dans aucune occurence, être un acte qui mérite le nom de quatrième vertu, non-seulement sous le rapport de la religion, mais même dans les limites de la raison et de la science humaine.

Un anonyme d'un esprit très fin a tourné en ridicule la morale par provison de notre philosophe, et lui a opposé quelques objections que le lecteur ne sera peut-être pas fâché de trouver reproduites ici. « Vous avez osé assurer, qu'il ne faut > pas chercher dans les choses qui regardent la conduite de la » vie une vérité aussi claire et aussi certaine que celle que » vous voulez qu'on ait, lorsqu'on s'applique à la contempla» tion de la vérité. Quoi donc, ne faut-il pas bien vivre? Et > comment pourrez-vous bien vivre, c'est-à-dire saintement, » si vous ne dirigez pas vos actions selon la règle de la vérité? » La vérité doit-elle donc manquer aux actions morales des >> chrétiens? Certainement la vie d'un chrétien sera jugée » très bonne, s'il rapporte toujours toutes ses actions et sa > personne même à la gloire de Dieu. Cela n'est-il pas aussi » vrai, qu'aucune autre chose que nous connaissions claire>> ment et distinctement?........ Est-il jamais obligé de s'abstenir → de quelque chose, s'il ne connaît clairement, qu'il s'en faut

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» abstenir ? Et dans les choses où il est question d'agir, ne > doit-il pas toujours faire ce qu'il voit clairement que Dieu » demande de lui: car qui peut dire, qu'il soit obligé de faire quelque chose par une autre raison? et pourtant un chrétien » n'étant jamais obligé de faire ou de s'abstenir de quelque > chose, sans cette lumière et clarté, pourquoi voulez-vous ou plutôt, pourquoi supposez-vous moins de vérité dans les > moeurs que dans les sciences, puisqu'un chrétien se doit >> moins soucier de faillir dans les sciences métaphysiques et géométriques que dans les mœurs? Mais, me direz-vous, si » quelqu'un veut douter, dans la conduite de sa vie, de l'exis>tence des corps et des autres objets qui se présentent à lui, » comme dans la métaphysique, on ne fera presque rien, > Qu'importe qu'on ne péche point? Mais, si cela est, vous » me direz, par exemple: Je n'entendrai donc point la messe » un jour de dimanche, à cause que je puis douter si les murs » de l'Eglise que je pense voir sont de vrais murs, ou plutôt, » ainsi qu'il arrive ordinairement dans les songes, s'ils ne » sont rien. A cela je réponds, que tandis que vous douterez » avec raison que ce soient de vrais murs, et que ce soit une » vraie église, pour lors vous n'êtes point obligé de manger, quelque éveillé que vous soyez, si vous ignorez que vous » ayez du pain devant vous, et si vous croyez être endormi. » Vous me direz peut-être : Si vous agissez de la sorte, vous » vous laisserez donc mourir de faim? Et moi je vous répon» drai que je ne suis point obligé de manger s'il ne m'est » évident que j'aie devant moi de quoi substenter ma vie, laquelle, faute d'un aliment qui me soit clairement connu, » je puis et je dois offrir en holocauste à Dieu, qui ne m'oblige » point à agir si je ne sais certainement que j'agis et que les » objets qui sont autour de moi sont réels et véritables. Vous » n'avez donc point dû établir deux genres de vérité (*). L'objection se réduit à trois points: 1° Il est impossible

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(*) Euv. tom. VII. p. 243 et suiv.

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