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despotisme. Les bourgeois et les nobles, dans les pays où ils participent au gouvernement, comme en France et en Angleterre, ne se montrent ni plus sages, ni plus humains que les rois; parce qu'ils ne pensent à autre chose qu'à jouir de leur pouvoir au lieu de s'en servir pour améliorer et rendre heu reuse la classe la plus nombreuse de la nation. Si on continue de marcher dans cette voie, Gracchus et Spartacus, Zisca et Robespierre ensanglanteront de nouveau l'Europe, et feront de la fin du siècle actuel, comme de celle du dernier, une époque digne des larmes de la postérité.

Pour ce qui regarde les doctrines en particulier, on peut encore douter si les esprits sont vraiment disposés à retourner sans délai à la foi, et si ceux qui le croient ne sont pas trompés par leur désir. En effet, quoiqu'il se présente de moment en moment quelques légers mouvements favorables à la cause de la vérité, il ne paraît pas cependant, toutes choses compensées, que les esprits soient en voie de retour vers la religion : l'incrédulité change de forme, mais non pas de caractère ni desubstance. Peu importe que du matérialisme et de l'athéisme on ait passé au rationalisme et à un panthéisme spirituel, ou bien encore à une espèce de christianisme abstrait et spécula→ tif; tout cela n'est qu'un échange d'opinions, et de là à une foi positive, ferme et agissante, telle qu'on l'exige de l'homme catholique, la distance est grande et le passage difficile. Et je ne sais pas encore si le rationalisme actuel est de nature à durer long-temps. Il me semble qu'aujourd'hui on refait pas à pas ce que l'on fit à la hâte et tout d'un trait au siècle dernier ; c'est-à-dire qu'on essaie d'exécuter scientifiquement et de sang froid ce qu'auparavant on avait précipité avec l'impétuosité des passions et de l'imagination. Les anciens incrédules de France discouraient avec fureur; tandis qu'aujourd'hui en Allemagne, l'impiété est calme et blasphème doctement. Certainement, après les longs circuits de l'erreur, après la vogue d'une fausse science habile à déguiser les sophismes sous le voile de l'érudition, l'esprit humain devra se reposer dans le

vrai; mais avant qu'il atteigne ce but, il faut peut-être qu'il parcoure en entier le cercle de l'erreur : et de même que dans la période de l'impiété ignorante et passionnée, on passa de la négation de la Bible et de la révélation à combattre les vérités rationnelles, et on arriva à l'athéisme; de même, dans la période de l'impiété savante et calme, qui commence maintenant, on passera aussi de la révélation à la philosophie. Le temps n'est pas éloigné où, du rationalisme bâtard et sans vigueur qui domine aujourd'hui, on passera probablement à un nouveau sensisme qui aura peut-être son origine dans l'Allemagne, pays destiné à donner une forme plus rigoureuse et plus savante aux opinions de Condillac, comme Emmanuel Kant y a perfectionné le psychologisme de Descartes et Hégel le panthéisme. Et déjà on peut conjecturer, à certains signes, que le sensisme commence à s'y introduire et à y être en honneur; et certainement il surpassera autant celui de Condillac et de Tracy, que l'herméneutique et la critique licencieuse d'Eichhorn et de Gesenius surpassent celles de Voltaire et de Volney. Dans tous les cas, je désire être un faux prophète; mais j'ai de la peine à croire qu'un siècle, dans lequel un ouvrage comme celui de Strauss a obtenu une grande célébrité et les honneurs de la mode, ne soit pas destiné à finir par une nouvelle édition du système de la nature. Cela me paraît d'autant plus probable, que le rationalisme théologique est sensualiste par son principe, par son caractère, par son essence, par sa méthode et par son but, bien qu'au premier aspect il paraisse tout le contraire.

NOTE 13.

Courier est peut-être le seul Français qui ait su écrire avec une élégante pureté en Italien. On cite quelques lettres écrites par lui dans cette langue à des Italiens, et imprimées avec les réponses dans sa correspondance (*). On y voit,

dois-je le

(Courier.

Euvres complètes. Paris, Didot. gr. in-S".

dire?... oui, pour que nous en rougissions et que nous nous corrigions, ‚—-—- que le littérateur français savait beaucoup mieux écrire l'Italien que ses correspondants. Je crois que c'est à l'étude profonde qu'il avait faite de nos classiques qu'on peut en partie attribuer la supériorité qu'il a montrée à se servir de sa propre langue; car au jugement de quelques-uns de ses compatriotes, il n'y a pas d'écrivain postérieur au dixseptième siècle qui l'égale ou qui puisse lui être comparé. En effet, les Italianismes les plus gracieux ne sont pas rares dans lestyle de Courier ; de même qu'ils sont fréquents dans Rabelais, Amyot, Montaigne, Charron, Etienne de la Boëtie. L'opinion de Courier sur les écrivains modernes de son pays est à remarquer; il disait entre autres choses dans une de ses lettres : « Gardez-vous bien de croire que quelqu'un ait écrit en français depuis le règne de Louis XIV; la moindre femmelette » de ce temps-là vaut mieux pour le langage que les JeanJacques, Diderot, d'Alembert, contemporains et postérieurs ; » ceux-ci sont tous ânes bâtés, sous le rapport de la langue, » pour user d'une de leurs phrases; vous ne devez pas seule>> ment savoir qu'ils ont existé (*). » Quant à l'Italien, il l'appelait la plus belle des langues vivantes (**).

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«

NOTE 14.

« C'est le privilége des anciens d'avoir traité de chaque >> chose avec la mesure convenable. Mais nous avons souvent » cru nous autres modernes, que nous surpasserions de beau» coup nos maîtres, si nous convertissions en grandes routes >> battues les chemins écartés où ils ne faisaient » menades; au risque même de voir les véritables grands » chemins plus sûrs et plus directs changés à leur tour en simples sentiers (***).

(*) Courier.

»

Euvres complètes. Paris, Didot. in-8".

(**) Ibid. Lett. à M. Renouard.

gr.

que des pro

(***) Du Laocoon, trad. par Vandenbourgh. Paris, 1802. p. xп et xш.

Ces considérations de Lessing sont spécialement applicables aux doctrines philosophiques.

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NOTE 15.

.. Une classe de lecteurs à laquelle un bon journal ecclésias tique peut être d'une grande utilité, ce sont les curés de campagne. Ces hommes vénérables, qui reproduisent souvent, au milieu de la corruption moderne, l'image de cette paternité patriarcale qui embellit les premiers temps du monde et forma l'éducation du genre humain; qui, depuis Rousseau jusqu'à Weiss, ont obtenu la sympathie et les hommages des écrivains les moins favorables à l'autorité du sacerdoce; manquent le plus souvent, au milieu de leurs fatigues apostoliques; de temps et de secours pour continuer des études sérieuses, lors même que la fortune leur a permis de les commencer. Un livre, qui renferme dans une petite étendue ce qu'il y a de plus important et de plus attrayant dans la science et dans l'histoire, la contemporaine surtout, de la religion, et qui présente comme un miroir fidèle de la société la plus vaste qu'il y ait au monde, je veux dire la chrétienté catholique, doit être d'un utile secours à ceux qui sont peut-être la partie la plus précieuse et la mieux méritante, et assurément la plus accablée de travaux, de cette grande république. En Italie, où manquent souvent les moyens, mais où ne manquent jamais le bon sens et le bon vouloir, pour s'emparer autant qu'il est possible de ce qu'il y a de meilleur dans les inventions que le temps amène, on n'ignore pas l'usage des bons journaux, et je me fais un plaisir d'en pouvoir citer un qui s'imprime dans ma province natale. Les rédacteurs du Propagatore religioso sont d'autant plus dignes d'éloges qu'à la science, à l'esprit, à la modération, au sentiment du bien et du beau qui les anime, ils joignent ce zèle modeste qui fait choisir parmi les diverses professions non pas les plus bril

lantes ni les plus profitables à soi-même, mais les plus utiles à la patrie. Dans un siècle où les lettres servent à satisfaire la vanité vulgaire et la soif du gain, c'est une grande vertu que de les faire tourner au seul bien public. Et plus le journaliste vénal, ignorant et présomptueux est méprisable, autant il faut, à mon avis, estimer ceux qui, comme les rédacteurs du Propagatore, se proposent un noble but, et savent mettre à la portée du plus grand nombre une érudition. dont ils pourraient retirer de la gloire, s'ils ne s'adressaient qu'à quelquesuns; art peu apprécié, mais rare et difficile, dans toutes les conditions de temps et de fortune.

NOTE 16.

Leibniz, dont la modération égalait le génie et le savoir, et dont les opinions, bien que luthériennes, auraient pu faire honte à beaucoup de catholiques de son temps, s'exprime ainsi dans une lettre au P. des Bosses, jésuite: « Optarem.... >> concedi doctis, etiam vestris, philosophandi libertatem, quæ >> emulationem parit et ingenia excitat: contra animi servi» tute dejiciuntur, neque aliquid egregii ab iis expectes, qui>> bus nihil indulgeas. Itaque Itali et Hispani, quorum exci>> tata sunt ingenia, tam parum in philosophia præstant, quia >> nimis arctantur › Cette sage liberté doit être d'autant plus précieuse aux yeux des catholiques qu'eux seuls peuvent en profiter sans en craindre les abus, attendu la merveilleuse constitution de l'Eglise, qui, par ses principes intrinsèques, est apte à concilier res olim dissociabiles, c'est-à-dire, la liberié dans les choses douteuses avec l'unité dans les choses nécessaires, selon la règle de Saint Augustin.

NOTE 17.

Ainsi, Messieurs, s'écrie M. Cousin, la piété la mieux

(*) Leibniz, op. omn. éd. Dutens, tom. 11, part. 1. p. 277.

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