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trouvent ne méritait pas qu'on s'y arrête un instant, comme donnant une idée des hommes et de l'époque. Car on y trouve une rage contre le christianisme et le catholicisme, une fureur qui éclate en blasphêmes et en injures, et rappelle à la mémoire le style furibond qui, dans le siècle dernier, faisait les délices des ennemis de la religion. Ainsi, par exemple, en parlant du Dieu de la Bible, l'auteur s'exprime en ces termes: « Ce misérable Jéhovah, qui joue avec les peuples sur » la terre comme un joueur d'échecs avec des rois et des pions » sur un échiquier (*). » S'adressant ensuite à un poëte catholique, il dit: « O grand poëte! philosophe malgré vous! vous » avez bien raison de maudire ce Dieu, que l'Eglise vous a » donné (**)! » Je laisse de côté la manière, vraiment digne de Luther, dont il parle du Pape, et une ignoble insulte contre un homme qui jouit d'une estime et d'un respect universel. Assurément Silvio Pellico, prodige de générosité et d'innocence dans un siècle vil et corrompu, regardera comme un honneur les outrages d'une plume blasphématrice et habituée à faire rougir par ses écrits les honnêtes gens. Mais ce qu'il importe de faire remarquer, c'est qu'on commence maintenant à remettre en vogue une manière d'écrire tombée en désuétude, et regardée comme indigne par quiconque a reçu une bonne éducation. D'où provient ce changement? De la vitalité de la religion. On lui épargnait naguère les outrages, parce qu'on la tenait pour morte; mais maintenant on recommence à frapper sur elle, parce qu'on s'est aperçu qu'elle est encore vivante et capable de reprendre au sein de notre civilisation sa première vigueur. Si on la croyait éteinte, comme plusieurs le publient sans le penser, on en parlerait bien différemment; car le propre du cœur humain n'est pas, même chez les plus égarés, d'insulter aux vaincus. Pour nous, sans approuver les blasphêmes, nous acceptons l'augure qu'ils

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(*) Revue des deux mondes, 1oo décembre 1839. (**) Ibid. L'art. où se trouvent ces passages et le précédent, sur lord Byron, est intitulé: Essai sur le drame fantastisqne, et signé GEORGE SAND. Le grand poët est Mickiewicz. T. 19

T. I.

nous donnent et nous le croyons plus que fondé. Nous croyons que la religion doit, précisément parce qu'elle commence à revivre dans les ames, s'attendre à un redoublement d'attaques et de fureurs; et nous ne serions pas étonné si, pour ce qui regarde les littérateurs vraiment plébéiens, le siècle finissait par une démence plus grande qu'il n'a commencé.

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NOTE 9.

y a une certaine classe de lecteurs qui ne peuvent supporter la plus petite dissertation métaphysique, et croient réfuter ce genre d'ouvrages en disant laconiquement et avec mépris : subtilités! Je ne sais si ces gens-là, en leur qualité d'ennemis de la métaphysique, seraient en état de donner une définition claire et exacte du subtil, surtout en ce qui ne regarde pas les corps. Pour moi, je ne crois pas que cette qualité fasse tort, par elle-même, à ce que l'on dit, et j'estime le subtil, quand il est vrai, préférable au faux, bien que, pour l'ordinaire, celuici soit fort lourd. Si des choses matérielles on peut conclure aux spirituelles, il me paraît que les entités subtiles n'ont pas de quoi faire rougir, et que la science destinée à en traiter n'est pas une niaiserie; il me paraît, par exemple, que les fluides impondérables, qui doivent être rationnellement très subtils, sont d'une plus grande importance dans la constitution matérielle de l'univers, et par conséquent d'un plus grand prix dans l'ordre de la science, que certains objets de la nature plus massifs et plus apparents. Et je ne pense pas qu'aux théories scientifiques de la chimie, de l'optique et de la mécanique, qui reposent sur des calculs, des investigations et des expériences très subtiles, quelqu'un veuille préférer l'industrie du menuisier ou l'art de fertiliser les champs. Bien plus, je suis persuadé que, généralement parlant, la subtilité est en tout genre préférable à la lourdeur; à l'exception peut-être de l'esprit ; pour ceci je m'en remets à mes habiles

censeurs. Ceux qui accusent les philosophes de trop subtiliser, devraient également blâmer les chimistes, qui font pour les corps la même chose que les autres pour l'esprit, afin d'arriver à la connaissance de leurs éléments. La philosophie est en partie une espèce de chimie intellectuelle, aussi réelle et aussi fondée en nature que la science qui enseigne à composer et à décomposer les corps. Il est vrai que, de même que le moyen-âge vit fleurir une fausse chimie qui se perdait dans les chimères, la même époque et les temps modernes ont vu quelques personnes se livrer à un art mensonger de subtiliser et de rêver en philosophie; c'est ce que nous prouvent les Scotistes du moyen-âge et les idéologues d'une époque encore récente. Mais la philosophie de ces gens-là est aussi différente de la vraie, que la science des alchimistes de celle des chimistes. Mes savants critiques me permettront donc de faire cas des idées psychologiques et métaphysiques, quelque sub tiles qu'elles soient, mais pourvu qu'elles soient conformes à la vérité, -- bien qu'on ne puisse ni les voir ni les toucher, bien qu'elles ne soient ni un alambic, ni un télégraphe, ni une machine à vapeur, ni un chemin de fer, ni un billet de banque, la chose, sans doute, la plus solide et la plus substantielle qu'il y ait aujourd'hui au monde. S'ils ne sont pas de mon avis et aiment les choses matérielles, je leur conseille d'abandonner la lecture de ce livre, ou plutôt de l'échanger contre quelque autre, qui traite de matières plus palpables, plus savoureuses, comme serait, par exemple, un traité sur le sucre de betteraves, ou un ingénieux mémoire sur la culture des pommes de terre.

NOTE 10.

Il est curieux de voir comment, il y a plus d'un siècle, c'est-à-dire en 1708, quand une partie des grands écrivains français du siècle précédent survivaient encore, et que

les cendres des autres n'étaient pas refroidies, un Italien du plus grand génie, créateur de la philologie philosophique, parlait des qualités et des défauts de l'idiome qui se parle en France. « Galli substantiæ vocabulis abundant: >> substantia autem à se bruta et immobilis, nec comparatio>>nis est patiens. Quare nec sententias inflammare, quod sine » motu, et quidem vehementi non fit; nec amplificare et » exaggerare quicquam possunt. Indidem verba invertere » nequeunt: quia, cum substantia summum sit genus rerum, »> nihil medium substernit, in quo similitudinum extrema conveniant et uniantur. Quamobrem metaphoræ in ejus. generis nominibus uno vocabulo fieri non possunt· et quæ » duobus fiunt, ut plurimum duræ sunt. Ad hæc, orationis >> ambitum conati, nihil ultra membra præstiterunt nec

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ampliores versus, quam quos dicunt Alexandrinos, fun>> dunt qui et ipsi, præterquamquod distrophi sunt, cum » præterea singuli sententias claudant, et bini similiter desi» nant; quarum rerum altera omnem minuit amplitudinem, altera allevat gravitatem; sunt inertiores tenuioresque elegiacis. Duas duntaxat voculationum sedes, ultimam et penultimam habent et ubi nos ab ultima tertiam acui» mus, ii accentum in penultimam transferunt: quod nescio quid tenue et subtile sonat: quibus rebus ii nec amplis periodis, nec grandibus numeris apti sunt. Sed ut eadem lingua omnis sublimis, ornatique dicendi characteris impos, >>sic tenuis patientissima est. Cum enim substantiæ vocabu>> lis scateat, atque iis ipsis quæ substantias, ut Scholæ dicunt, » abstractas significant, rerum semper summa perstringit. Quare didascalico dicendi generi aptissima est: quia ar>> tes scientiæque summa rerum genera persequuntur. Atque » hinc factum, ut ubi nos nostros Oratores laudamus, quod disertè, explicate, eloquenter dicant; ii laudent suos, quod >> vera cogitarint. Et quum hanc mentis virtutem distracta celeriter, apte, et feliciter uniendi, quæ nobis ingenium » dicitur, appellare volunt, spiritum dicunt: et mentis vim

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» quæ compositione existit, re simplicissima notant: quod » subtilissimæ eorum mentes non compositione sed tenui>> tate cogitationum excellant. Quare si ejus disputationis, >> summis dignæ philosophis, illa pars vera est : linguis inge>> nia, non linguas ingeniis formari; hanc novam Criticam » quæ tota spiritualis videtur, et Analysim, qua› Matheseos subjectum, quantum ex se est, omni prorsus corpulentia » exuit, uni in orbe terrarum Galli vi suæ subtilissimæ lin» guæ excogitare potuerunt. Cum hæc igitur omnia ita sint; eloquentiam suæ linguæ parem ab una sententiarum veri>> tate, tenuitateque, et deducta ordinis virtute commen» dant (*). Après cela vient, comme pour faire contraste, un court éloge de la langue italienne. Vico parle aussi de l'idiome français dans la seconde Science nouvelle (**), et il y signale. également son affinité avec l'analyse et son éloignement pour la synthèse; après quoi il conclut que de pareilles langues, subtiles mais faibles et impuissantes, sont le propre de ceux qui, possédant beaucoup de finesse dans la manière de penser, sont impropres à tout grand travail.

Une qualité de l'idiome français, qui a son principe dans le génie et le caractère de la nation qui le parle, et dont Vico ne fait point mention, c'est une certaine légèreté présomptueuse, un penchant à l'exagération et à l'hyperbole, qui se manifestent et dans les métaphores les plus usuelles, et dans toutes les parties de l'élocution (***). Qu'on prenne pour exemple les tropes français les plus communs et que l'habitude a rendus fami liers, et l'on verra que le plus souvent ils surpassent en hardiesse le langage figuré des autres langues de l'Europe et spéciatement de l'Italienne. De là vient encore que le langage français, sans en excepter les grands écrivains et les grands orateurs de cette nation, dit beaucoup plus en apparence qu'en réalité le mot, la phrase, la figure dépassent presque toujours la pensée

(*) Vico, De nost. temp. stud, rat. Opera lat,, tom. 1. p. 20.
(**) Lib. 1. Degli elementi, 21. Œuvres, édit. de Milan, tom. v.
(***) Ce n'est pas de cette exagération-là que parle Vico.

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