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y étoit plus propre qu'à tout autre chose : encore falloit-il qu'elle fût un peu réglée, et qu'il raisonnât; car il triomphoit en raisonnemens, et quelquefois même dans les conversations communes, il lui arrivoit d'y placer des choses extraordinaires qui déconcertoient la plupart des gens. Ce n'est pas qu'il n'entendît bien le badinage; il l'entendoit même trop finement. Il divertissoit, mais il ne faisoit guère rire. Son extérieur froid lui donnoit un air de vanité; mais ceux qui connoissoient son ame, démêloient aisément que c'étoit une trahison de son extérieur. Je vous en fais un si long portrait, et il me semble que j'ai tant de plaisir à parler de lui

, que vous croirez peut-être que notre intelligence dure encore. Non, elle est finie; mais ce n'est ni par sa faute, ni par la mienne. L'amour avoit fait de son côté tout ce qui étoit nécessaire pour rendre notre union éternelle; la fortune a renversé tout ce qu'avoit fait l'amout.

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VERS DE M. PETIT

Sur FONTENELLE, en 1678, à l'occasion de ses premiers ouvrages.

FONTENELLE, dans ton jeune âge,

A bien de vieux rimeurs tu peux faire leçon;
Et quand on lit ton moindre ouvrage,
Qui ne t'a jamais vu, te prend pour un barbon.
Si ta muse naissante a produit des merveilles,
Et si tes vers,
chantés dans le sacré vallon,

Des plus fins connoisseurs ont charmé les oreilles,
Pourquoi s'en étonneroit - on?

Quand on est neveu des Corneilles,

On est petit- fils d'Apollon.

VERS

Pour mettre au-dessous du buste de FONTENELLE.

AMANT de la philosophie,

Il suivit sans faste ses pas,
Portant l'équerre et le compas
Sur les démarches de la vie.
Facile et plein d'aménité,
Par un séduisant badinage
Il ornoit l'austère langage
Qui fait craindre la vérité.
D'autres, occupés à paroître,
Sans tourner leurs regards sur eux,
Enseignèrent l'art d'être heureux:
Il faisoit plus, il savoit l'être.

AUTRES VERS

Sur FONTENELLE, par VOLTAIRE;

D'UN

'UN nouvel univers il ouvrit la barrière.
Des infinis sans nombre autour de lui naissans,
Mesurés par ses mains, à son ordre croissans,
A nos yeux étonnés, il traça la carrière.
L'ignorant l'entendit, le savant l'admira:
Né pour tous les talens, il fit un opéra.

VERS

De FUSELIER pour les Blondes, en réponse à ceux de FONTENELLE pour les Brunes (1).

Vous qui charmez raison et sentiment,

Rare docteur, qu'à la cour de Cythèrę
Et de Minerve on cite également ;
Vous qui d'amour dirigerez la mère,
Si directeur la gouverne jamais;
Votre doctrine en un point je rejette,
Lorsque prisez blonde moins que brunette.
Dogme hérétique, et lésant les attraits
De Vénus même. Or, si craignez sa haine,
Prévenez-la par un prompt repentir.
Blonde toujours de la beauté fut reine.
De tout Paphos, c'est la doctrine saine;

(1) La pièce de Fontenelle se trouve parmi ses poésies diverses, Tome VI.

Auteur galant ne s'en doit départir.
Gente brunette a séduit votre veine ;
Voilà l'appas qui vous a fait sortir

Du droit chemin, qu'amour vous y ramène.
Vos vers brillans, quoique semblent partir
Du fin cerveau du dieu de l'hypocrène,
Sur ce point-là ne m'ont su pervertir:
Quand je les lus, j'étois près de Climène.

VERS

Adressés à FONTENELLE par CRÉBILLON, ez prononcés dans l'assemblée publique de l'Académie Françoise, le jour de saint Louis, 25 Août : 1741 (1).

To1 (2), qui fus animé d'un souffle d'Apollon,
Dépositaire heureux de son talent suprême,

Esprit divin, qui n'eus d'autre pair que lui-même,
Héros de Melpomène et du sacré vallon,
Parois; nous consacrons une fête à ta gloire,
A ce nom qui suffit pour nous illustrer tous;
Viens voir un héritier digne de ta mémoire,
Une seconde fois renaître parmi nous.
Louis, ton règne fut le règne des merveilles,
L'univers est encore rempli de tes hauts faits ;

(1) Il y avoit alors cinquante ans que Fontenelle étoit de l'Aca démie Françoise, y ayant été reçu le mai 1691. Il y étoit done ce qu'on appelle Jubilé dans les couvens, les chapitres, et quelques autres sociétés. A cette occasion, il prononça un discours qui se trouve ci-après.

(2) Le grand Corneille.

Mais les lauriers cueillis par l'aîné des Corneilles, Font voir que tu fus grand jusques dans tes sujets. Si ton auguste fils n'a point vu le permesse Enfanter sous ses loix ce mortel si fameux, Il a dans ses neveux un sujet que la Grèce Eût placé des l'enfance au rang des demi-dieux. Jeune encore, ses écrits excitèrent l'envie; Mais il en triompha par leur sublimité. A peine il vit briller l'aurore de sa vie, Qu'il vous parut déja dans sa maturité. S'il cueillit en Nestor les fruits de sa jeunesse, Dix-sept lustres n'ont point rallenti ses talens ; L'âge qui détruit tout rajeunit sa vieillesse, Son génie étoit fait pour braver tous les temps. Albion (1), qui prétend nous servir de modèle, Croit que Locke et Newton n'eurent jamais d'égaux ; Le Germain, que Leibnitz compte peu de rivaux; l'univers n'aura qu'un Fontenelle. Prodigue en sa faveur, le ciel n'a point borné Les présens qu'il lui fit aux seuls dons du génie. Minerve l'instruisit; et son cœur fut orné De toutes les vertus par les soins d'Uranie. Loin de s'enorgueillir de l'éclat de son nom, Modeste, retenu, simple, même timide, On diroit quelquefois qu'il craint d'avoir raison, Et n'ose prononcer un avis qui décide. Illustres compagnons de ce brave Nestor, Assemblés pour lui ceindre une double couronne, Pour la rendre à ses yeux plus précieuse encor, Parez-là des lauriers que votre main moissonne. C'est ici le séjour de l'immortalité :

Et nous, que

(1) L'Angleterre.

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