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inconnu, que de voir le calme de sa vie troublé par des orages littéraires.

C'est ainsi que Fontenelle nous peint le grand Newton aussi modéré que sublime, et tel a été Fontenelle lui-même.

Attaqué plus d'une fois par des adversaires redoutables, il essuya des critiques amères, piquantes, humiliantes même, si un tel homme pouvoit être humilié. Aux traits les plus envenimés, il n'opposa jamais que l'égide du silence. Il ne montra ce qu'il pensoit des armes dont il étoit blessé, qu'en ne les employant jamais. Occupé, par préférence à tout, de soigner son propre bonheur, et de respecter le bonheur d'autrui, il se vit souvent contredit, et il s'abstint toujours de contredire. Il fut offensé, et il n'offensa jamais. Il sembloit qu'il fût impassible, et il porta la patience jusqu'à souffrir qu'on prît sa patience même pour un orgueil déguisé. On l'accusa d'approuver, pour qu'on l'approuvát; de louer tout, afin que tous le louassent. On l'accusa d'être doux, d'être indulgent, d'être sage par vanité. Quel est donc cet amour - propre nouveau, dont le caractère est de servir l'amourpropre d'autrui ? Quel est cet orgueil approbateur qui s'accorde toujours si bien avec l'orgueil des autres ? Et à quels traits reconnoîtra-t-on désormais la bienséance, la douceur et la raison?

Tels furent les traits distinctifs du caractère de Fontenelle. La nature lui avoit donné cet assemblage rare d'un caractère et d'un esprit assortis l'un pour l'autre. Les hommes pensent selon leur esprit, ils agissent selon leur caractère; et de la discordance trop commune de ces deux facultés, naissent toutes ces inégalités, ces variations, ces contrariétés qui étonnent souvent le public. Fontenelle n'offrit jamais ces spectacles honteux pour l'humanité, et plus encore pour la philosophie. Il avoit dans le cœur le même équilibre que dans l'esprit. La raison dominoit dans toute son existence. La raison régloit ses sentimens comme ses idées; et elle n'avoit pas plus de peine à régler les uns que les autres. C'est ainsi que la vie de ce grand homme, aussi longue, et plus digne encore de l'être que celle de Démocrite, présente dans tout

son cours le rare tableau de cette belle et constante uniformité qu'accompagne le bonheur. Il étoit cet heureux qu'il peint si bien dans son ouvrage sur le bonheur, reconnoissable entre tous les hommes à une espèce d'immobilité dans sa situation. Mais, s'il est possible, Fontenelle fit plus que d'être heureux; il accoutuma ses contemporains à la vue de son bonheur; il se le fit pardonner. On convint qu'il étoit heureux, et qu'il méritoit de l'être. Et comment n'auroit-on pas été forcé d'applaudir au bonheur d'un homme toujours doux et conciliateur,

88 RÉPONSE DE M. DE NIVER NOIS

lors même qu'il n'étoit pas impartial; un homme qui, flexible à toutes les manières, observateur de tous les égards; respectant tous les devoirs, indulgent pour toutes les fautes, et inaltérable au milieu des offensés, n'a jamais heurté ni ses inférieurs, ni ses égaux, ni ses supérieurs, ni même ses ennemis ?

Je l'avouerai, Messieurs; et je crois que toute cette respectable assemblée éprouvera le même sentiment. Je ne saurois, sans en rougir pour notre siècle, me rappeller que Fontenelle eut des ennemis. Mais que dis-je, et de quoi peut-on s'étonner en ce genre? N'est-ce pas l'histoire de tous les siècles du monde, et de toutes les conditions humaines? Le bannissement d'Aristide, la condamnation de Socrate, les fers de Galilée, et pour passer dans un autre ordre d'exemples, Marc-Aurèle, Charles-le-Sage, Henri-le-Grand, sans cesse inquiétés par des sujets factieux, ou assaillis par voisins jaloux, quels monumens ! quelles traces ineffaçables de l'injustice des hommes ! &c....

des

AVIS

SUR LE MORCEAU SUIVANT.

Dans le Mercure de Février 1681, on trouve un morceau intitulé: Histoire de mes Conquêtes. Il a été réimprimé dans le tome septième du Choix des anciens Mercures, page 70. C'est une femme qui y parle. Voici comme elle peint un de ses amans. Ce portrait ressemble beaucoup à Fontenelle; peut-être croira-t-on y reconnoître son style aussi bien que sa personne. C'est ce qui a engagé à le placer ici.

L'AMANT

AMANT dont je vous parle étoit d'un caractère fort particulier; et une des principales choses qu'on lui reprochât, c'étoit cela même, qu'il étoit trop particulier. Il aimoit les plaisirs, mais non point comme les autres. Il étoit passionné, mais autrement que tout le monde. Il étoit tendre, mais à sa manière. Jamais ame ne fut plus portée aux plaisirs que la sienne, mais il les vouloit tranquilles. Plaisirs plus doux, parce qu'ils étoient dérobés; plaisirs assaisonnés par leurs difficultés; tout cela lui paroissoit des chimères. Ainsi, ce qui me per

suada le plus sa tendresse pour moi, c'est que je lui coûtois quelque chose. Il avoit une espèce de raison droite et inflexible, mais non pas incommode, qui l'accompagnoit presque toujours. On ne gagnoit rien avec lui pour en être aimée : il n'en voyoit pas moins les défauts des personnes qu'il aimoit; mais il n'épargnoit rien pour les en corriger, et il ne s'y prenoit pas mal. Des soins, des assiduités, des manières honnêtes et obligeantes, des empressemens, tant qu'il vous plaira; mais presque point de complaisance, sinon dans les choses indifférentes. Il disoit qu'il auroit une complaisance aveugle pour les gens qu'il n'estimeroit guère et qu'il voudroit tromper; mais que pour les autres, il vouloit les accoutumer à n'exiger pas des choses peu raisonnables, et à n'être pas les dupes de ceux qui les feroient. A ce compte, vous voyez bien que la plupart des femmes, qui sont impérieuses et déraisonnables, ne se fussent guère accommodées de lui, à moins qu'il ne se fût long-temps contraint; ce qu'il n'étoit pas capable de faire. Il étoit d'une sincérité prodigieuse, jusques-là que, quand je le prenois à foi et à serment, il n'osoit me répondre que de la durée de son estime et de son amitié; et pour celle de l'amour, il ne la garantissoit pas absolument. Il avoit toujours ou un enjouement assez naturel, ou une mélancolie assez douce. Dans la conversation, il y fournissoit raisonnablement,

et

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