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qu'elle paroît briller davantage. Elle ne parle ja mais plus haut, que lorsqu'ils ne sont point à portée de l'entendre : du même essor dont la gloire franchit les temps, elle franchit les lieux; elle n'est guère immortelle qu'autant qu'elle est générale ; son étendue est le sceau de sa durée. Tel fut le triomphe de Fontenelle. Les étrangers accouroient ici pour l'entendre, pour pouvoir dire au moins dans leur patrie, je l'ai vu. Un d'eux arrive à peine aux portes de cette capitale; il le demande avec impatience au premier qu'il rencontre, persuadé qu'un homme connu aux extrémités du monde ne pouvoit être ignoré d'aucun de ses concitoyens.

Honoré des bontés d'un grand prince, qui, 'doué comme lui d'un génie universel, étoit le juge le plus éclairé du mérite; admis, si l'on ose le dire, dans sa familiarité, il ne fit point servir à son ambition ou à sa fortune cet excès de faveur. Exempt de l'esprit d'intrigue, inaccessible aux mouvemens inquiets ou violens, ami du bien général, animé du desir de plaire, sachant jouir de tout et de lui-même; né plutôt pour la société, que pour un commerce plus intime, elle s'enrichit de ce qu'il eût pu donner à des liaisons particulières, à ces penchans estimables, mais dangereux, passions des ames nées trop sensibles, sujettes à s'égarer, dès qu'elles ne sont plus surveillées par la raison.

Il eût été publiquement révéré à Sparte par son

âge; ses talens eussent été négligés peut-être par ce peuple austère qui n'estimoit que la vertu. Il fut respecté parmi nous dans tout le cours de sa vie, et à tous les titres.

La vieillesse, ce temps d'affoiblissement, qui n'est ni la mort, ni l'existence, pour le reste des hommes, mérita d'être comptée dans sa vie. Le ciel, en lui accordant un esprit si étendu et de longs jours, sembla reculer pour lui toutes les bornes humaines, et n'enlever qu'à regret à la terre un sage placé sous deux règnes, pour être à-la-fois la lumière et l'ornement de deux siècles, pour pouvoir en comparer les merveilles sous deux augustes monarques, &c.

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De la Réponse de M. le duc de NIVERNOIS au Discours de M. SEGUIER.

Si l'heureuse acquisition que nous

faisons en vous adoptant, monsieur, est un triomphe public, la perte que nous déplorons en même temps est une perte publique. Nous nous étions approprié le grand homme auquel vous succédez. Dans nos fastes, nous jouissions de sa gloire; dans notre société, de ses vertus. Il étoit fait pour être l'oracle de nos assemblées, il se contentoit d'en être l'ornement; il aimoit à n'être qu'un d'entre nous: mais nous ne nous flattons pas qu'il fût notre bien propre et particulier; il étoit le bien commun de l'humanité; il appartenoit à quiconque aime les lettres, les talens et la philosophie; il est pleuré, il sera révéré par-tout où il y a des hommes qui pensent.

L'antiquité vit toutes les nations adorer l'astre qui féconde tous les climats, et dont les influences bienfaisantes se répandent sur toutes les productions de la nature. Ainsi, tous les talens, toutes les sciences réclament Fontenelle, et tous les temples de la littérature consacrent son culte. Sa réputation n'est pas la réputation d'un homme; elle est un

glorieux amas de toutes les réputations possibles, et on peut lui appliquer parfaitement la belle louange que mérita autrefois Caton le censeur, en qui Tite-Live (1) admire cette rare et flexible fécondité: qui fait embrasser tous les genres, et qui fait réussir dans tous au point de paroître né pour chacun en particulier; et il semble qu'en formant le génie de Fontenelle, la nature ait eu attention à le former tel pour les circonstances dans lesquelles ce grand homme devoit paroître. A son entrée dans la noble carrière des lettres, la lice étoit pleine d'athlètes couronnés; tous les prix étoient distribués, toutes les palmes étoient enlevées; il ne restoit à cueillir celle de l'universalité. Fontenelle osa y aspirer, et il l'obtint. Semblable à ces chef-d'œuvres d'architecture qui rassemblent les trésors de tous les ordres, il réunit l'élégance et la solidité, la sagesse et les graces, la bienséance et la hardiesse, l'abon dance et l'économie; il plaît à tous les esprits, parce qu'il a tous les mérites; chez lui, le badinage le plus léger, et la philosophie la plus profonde, les traits de la plaisanterie la plus enjouée et ceux de la morale la plus intérieure, les graces de l'imagination, et les résultats de la réflexion, tous ces effets de causes presque contraires, se trouvent quelquefois fondus ensemble, toujours

que

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placés l'un près de l'autre dans les oppositions les plus heureuses, contrastées avec une intelligence

inimitable.

pas

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: Par-là, dans ces éloges qu'il a composés pour tant de grands hommes, non-seulement il s'incorpore tour-à-tour avec chacun d'eux; non-seulement il entre dans le secret de leurs études, de leurs procédés, de leurs découvertes; en sorte que, suivant une de ses expressions, on le voit devenir successivement tout ce qu'il a lu mais encore il embellit chaque matière qu'il traite par les richesses de toutes les autres qu'il possède. Il ne se contente d'être métaphysicien avec Mallebranche, physicien et géomètre avec Newton, législateur avec le czar Pierre, homme d'état avec M. d'Argenson; il est tout avec tous, il est tout en chaque occasion; il ressemble à ce métal précieux que la fonte de tous les métaux avoit formé. Léibnitz projettoit la création d'une langue universelle, et Fontenelle a regardé ce projet comme une belle chimère. Il ne s'appercevoit pas qu'il étoit lui-même, si j'ose ainsi parler, l'exécution de cette idée : et comment s'en seroit-il apperçu ? Cette langue qu'il parloit étoir sa langue naturelle; il ne l'avoit pas apprise, et elle ne s'enseigne pas.

Oserai-je parler, messieurs, de cet ouvrage im mortel, qui faisant l'histoire des sciences, et substituant à leurs hiérogliphes sacrés le langage com

mun

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