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mineux, qui avoit embrassé et éclairé plusieurs genres, universel par l'attrait de ses goûts, par l'étendue de ses idées, et non par ambition ou par enthousiasme; à un esprit facile, qui avoit acquis, et qui communiquoit, comme en se jouant, toutes les connoissances; à un bel esprit philosophe, fait pour embellir la raison, et pour tenir d'une main légère la chaîne des sciences et des vérités.

falloit, dit Fontenelle, décomposer Léibnitz, pour le louer; c'est un moyen que, sans y penser, le panégyriste préparoit dès-lors pour le louer luimême. En effet, que de différens mérites dans le même écrivain ! La philosophie affranchie par Descartes des épines de l'école, restoit encore hérissée de ses propres ronces. Fontenelle acheva de la dépouiller de ce langage abstrait, de ces surfaces énigmatiques, qui étoient un voile de plus pour ses mystères; voile épais, imaginé par l'ignorance pour dérober l'absurdité des systêmes, ou par la vanité. Il fit plus; il substitua des fleurs aux épines: c'est ainsi qu'il embellit Copernic et Descartes luimême, dans la Pluralité des Mondes, ouvrage adroitement superficiel, appas qu'il présenta à son siècle, pour inspirer le goût de la philosophie. Eh! quelle magie de style ne falloit-il pas pour faire descendre les corps célestes sous les yeux du vulgaire, pour lui en développer toute l'économie d'une manière si agréable, avec autant d'ordre

qu'ils se meuvent, pour proportionner l'instruction à tous les esprits? C'est un Orphée qui diminue sa voix dans un lieu resserré qui ne permet point de plus grands éclats.

tous

Il la déploie cette voix savante, propre à les tons, dans ces profondes analyses, dans ces sublimes résultats de tant d'ouvrages de l'Académie des Sciences, lorsque semblable au destin de la fable, qui ne rendoit ses oracles que pour les Dieux, il ne parle que pour se faire entendre aux Savans.

Vos lumières m'ont déja précédé, messieurs; elles suppléent à ce que je ne puis exprimer pour son éloge. On regarda comme un prodige dans le même homme, de parler à chaque savant son langage, de passer si facilement d'une sphère à l'autre. Ne faudroit-il pas que le même prodige se renouvellât en moi, pour le louer d'une manière digne de ses connoissances et des vôtres, effleurer

, pour au moins tout ce qu'il approfondissoit?

C'étoit au milieu de ces vastes spéculations, que, né pour l'agrément, il en étendoit l'empire. Le même génie qui mesuroit les cieux avec Galilée, qui calculoit l'infini avec Newton, ressuscitoit encore l'art de Théocrite, ou devenoit le rival de Quinault. Entraîné par la diversité de ses pensées, il évoquoit les morts célèbres dans ses dialogues philosophiques, où il se plaît à présenter les objets dans un jour inattendu, à ôter aux choses les idées

accoutumées, non par un esprit dangereusement systématique qui confondroit les principes avec les préjugés, mais pour nous montrer la folie des prétentions humaines, les méprises de la raison même, et nous apprendre à nous méfier d'une sagesse qui n'est si présomptueuse, que parce qu'elle est bornée.

Mais quels éloges rendre à Fontenelle pour ces éloges si estimés, où non-seulement il sut vaincre le dégoût de la malignité humaine pour les louanges d'autrui les plus justes, mais encore se faire de l'art de louer un caractère particulier, et un talent nouveau? Il me semble, en ce moment, les entendre en foule, tous ces morts fameux, me presser d'acquitter ici leur reconnoissance. Doués d'un différent mérite et d'une réputation inégale, ils furent portés presque tous au même degré de célébrité par l'éloquence et les lumières du panégyriste; orateur qui savoit d'autant mieux les louer, qu'il pouvoit être lui-même ou leur émule, ou leur juge.

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Il fut le premier qui joignit à la philosophie des sciences cette philosophie de raison supérieure encore au savoir, cette sage liberté de penser, qui, d'un côté, s'élève au-dessus des erreurs communes et de l'autre se renferme dans de justes bornes. H eut assez de force pour s'affranchir des opinions peu fondées, et assez de sagesse pour en dégager les esprits, en évitant de les heurter de front, plus

sûr de les gagner que de les subjuguer. C'est ainsi que, dans l'Histoire des Oracles, il sépara peu-àpeu la vérité de la superstition. C'est ainsi qu'exempt de passion et d'enthousiasme, il jugea tous les an ciens, comme Descartes en avoit jugé un d'entr'eux, posant les limites du respect qui leur étoit dû, ne reconnoissant d'autorité que le génie, de loi que le sentiment, ramenant les esprits à euxmêmes, et les débarrassant du joug qui les étouffoit en les captivant. Rangé du côté des modernes La plupart ses contemporains, il vit leur gloire sans jalousie, quelque près qu'il fût d'eux; il la défendit sans vanité, quelque avantage qu'il assurât à leur parti. Le mérite de ses ouvrages l'auroit encore fortifié contre l'antiquité, quand même il se seroit déclaré pour elle.

Attaché au cartésianisme par tout ce qu'il avoit cru trouver de vraisemblable dans ce systême, et non par superstition ou par opiniâtreté, il ne refusa point son admiration au grand Newton. Il ne fut point au rang de ses sectateurs, mais il fut son plus illustre panégyriste.

Qui l'auroit cru, messieurs? La critique, qui se déchaîne ordinairement contre les écrivains célèbres, ne lui lança que quelques traits. On put, il est vrai, lui reprocher, dans plusieurs de ses écrits, plus de brillant que de goût, plus d'art que de naturel; d'affecter, pour ainsi dire, une certaine

galanterie d'esprit, et même trop d'esprit ; exemple dangereux, en ce qu'il savoit plaire par tant d'autres faces, et peut-être par ses défauts même. Mais la critique lui rendit cet hommage, de n'oser le poursuivre que dans ceux qui voulurent l'imiter. La supériorité de ses talens couvrit tout: il put compter ses ennemis, et non ses admirateurs. L'envie le respecta; la renommée ne tint sur lui qu'un langage. Il jouit de sa réputation, il jouit de l'avenir même : il vit toute la postérité dans ses contemporains.

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Eh! comment, avec un mérite si éminent, échappa-t-il aux fureurs de l'envie? Il dut cet heureux privilége à sa philosophie, à sa modération; au respect que ses mœurs inspirèrent, à ce caractère doux et liant qui ne révoltoit point l'amourpropre d'autrui, à cet oubli volontaire de sa supériorité, à la justice qu'il rendit au mérite. Enfin il échappa à l'envie, parce que lui-même ne la connut point. Il vécut tranquille au milieu de ces querelles littéraires, où l'auteur qu'on attaque expose autant sa gloire en voulant la défendre, que le critique cherche à la ternir en l'attaquant : guerres honteuses entre la malignité et l'amour-propre, qui déshonorent les lettres, le cœur et l'esprit.

Le nom de Fontenelle ne pouvoit être resserré dans les bornes de son pays. La réputation des grands hommes part d'auprès d'eux; mais c'est au loin

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