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les plaisirs innocens de ces entretiens, où quatre amis destinés à jouer des rôles différens, mais illustres, dans le monde littéraire, se communiquoient deux fois par semaine le fruit de leurs réflexions et de leurs études. Le père Mallebranche vouloit bien se rendre quelquefois dans cette petite société choisie, et porter de l'aliment à ces jeunes esprits, qui alloient être bientôt capables de voler de leurs propres aîles.

Après la mort de Thomas Corneille, Fontenelle alla loger chez M. le Haguais, avec lequel la conformité de mœurs et de mérite l'avoit uni d'une étroite amitié. C'étoit un magistrat du premier ordre, avocat-général à la cour des Aides, fameux par les discours qu'il a prononcés dans sa compagnie, et qui sont des modèles de cette éloquence qui sait réunir les graces du style avec la dignité des tribunaux; discours auxquels Fontenelle eut beaucoup de part.

Ayant perdu M. le Haguais, il fut logé par M. le duc d'Orléans au palais royal. Ce grand prince, dès long-temps avant la régence, l'honoroit de sa confiance. Il le consultoit sur cette vaste étendue de connoissances qu'il avoit lui-même embrassée et il le trouvoit toujours en état d'instruire ou d'être instruit en un mot, ce qui est presque la même chose dans les sciences élevées à un certain degré. Le prince lui assigna une pension de mille écus,

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M. le duc d'Orléans, fils de M. le Régent, ne lui en conserva que la moitié; et Fontenelle, quoiqu'il fût alors devenu riche pour un homme d'esprit, n'en murmura pas. Il approuva la pieuse économie du prince, qui se souvenant qu'il étoit homme, prenoit sur les dépenses de la grandeur de quoi subvenir aux besoins de l'humanité.

Cette vertu même n'étoit pas étrangère à Fontenelle. Il est vrai qu'il falloit l'éclairer de bien près pour en découvrir les effets. Il étoit trop intelligent pour ne pas laisser aux vertus tout ce qu'elles peuvent avoir de prix; et la main qui donnoit, se cachoit avec plus de précaution que celle qui rece-voit. Cependant ses amis les plus intimes rendent témoignage qu'il a secouru plusieurs personnes dont il ne connoissoit que l'indigence; et l'on a trouvé dans ses papiers, après sa mort,des billets pour des sommes qu'il avoit prêtées à des gens dès-lors insolvables, et dont il n'a jamais ni poursuivi ni espéré le paiement.

Sa vieillessé toujours gaie, toujours galantë, në fut marquée que par le nombre des années; elle devint même pour lui une nouvelle source de gaieté et de galanterie. Il comptoit quatre-vingt – seize ans, et les dames les plus spirituelles s'en disputoient encore la conquête. Ce ne fut qu'à l'âge de quatre-vingt-dix ans qu'il commença à devenir sourd, et sa surdité s'accrut par degrés. Ceux qui

l'entretenoient y gagnoit souvent; il devinoit mieux qu'on ne lui disoit. Quatre ou cinq ans après, sa vue s'affoiblit tout-à-coup, et resta dans l'état où elle s'est conservée jusqu'à la fin. Neuf jours avant sa mort, il reçut les sacremens qu'il avoit demandé de lui-même. Il s'éteignit sans maladie et sans effort le 9 janvier 1757, après avoir été pendant près d'un siècle entier un miracle de santé, d'esprit, d'égalité d'ame, et de connoissancés.

Il avoit institué exécutrice de son testament madame Geoffrin. Il comptoit avec raison sur la probité de cette dame, dont il avoit éprouvé la bienveillance dans un commerce plein d'esprit et d'agrément. Quatre autres dames furent ses héritières ; madame de Forgeville, cette amie généreuse qui avoit contribué à soutenir sa vieillesse par des soins tendres et assidus; madame de Montigny, sœur de M. d'Aube, son cousin issu de germain, chez qui il avoit demeuré depuis sa sortie du palais royal, et qui étoit mort avant lui; et les deux demoiselles de Marsilly, petites-filles du marquis de Martinville de Marsilly, qui fut tué au combat de Leuze, où il commandoit les Gardes-du-Corps, et arrièrespetites-filles de Thomas Corneille. MM. de Latourdupin étoient parens de Fontenelle au même degré que les demoiselles de Marsilly. Feu madame la comtesse de Latourdupin étoit fille unique de François, fils de Thomas, et le dernier des Corneille.

Fontenelle recevoit de la cassette du Roi douze cent livres, que M. le maréchal de Villeroy lui avoit fait avoir à son insçu. Six mois avant sa mort, il obtint, par le crédit de M. le comte d'Argenson, que la moitié de cette pension seroit appliquée à M. Bovyer de Saint-Gervais, mousquetaire, son parent éloigné, qui demeure actuellement à Mortagne dans le Perche.

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DU DISCOURS prononcé par M. SEGUIER, l'un des avocats-généraux du Parlement de Paris, lorsqu'il fut reçu à l'Académie Françoise, le Jeudi 31 Mars 1757, ₫ la place de FONTENELLE.

MESSIEURS,

QUAND le célèbre académicien que vous regrettez, fut admis dans votre illustre compagnie, il attribua ce glorieux avantage à l'honneur qu'il avoit d'appartenir au grand Corneille. Mais si le hasard de la naissance l'attachoit par les liens du sang au père du théâtre, cet éclat héréditaire disparoissoit auprès des titres personnels qui l'avoient rendu digne de votre choix......

Mais à qui succédai-je, messieurs? à un de ces hommes rares, nés pour entraîner leur siècle, pour produire d'heureuses révolutions dans l'empire des lettres, et dont le nom sert d'époque dans les annales de l'esprit humain; à un génie vaste et lu

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