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mirable. Un génie universel l'avoit initié à tous les mystères de la nature, à tous les secrets des arts. Nouveau Protée, tantôt chymiste, tantôt botaniste, tantôt anatomiste, géomètre, astronome, mécha nicien, et sous tant de formes diverses, toujours lumineux, toujours élégant, il sut parler le langage de toutes les sciences, et leur prêter la rure du style, sans leur rien ôter de leur force et de leur profondeur. Elles avoient paru jusqu'alors sous une forme étrangère; elles ne s'étoient encore exprimées qu'en latin. Le nouvel. interprête leur apprit toutes les finesses de la langue françoise; il les rendit plus sociables, plus gaies, plus familières; et l'on peut dire que, dans l'Histoire de l'Académie, il est en quelque façon parvenu au grand œuvre. Donner du corps aux matières les plus abstraites, porter la lumière dans les plus obscures, rendre intéressant ce qu'il y a de plus sec, et vivant ce qui semble inanimé, c'est une opération de l'esprit pareille à celle qui réussiroit à changer en or tous les métaux.

Les trésors, renfermés dans ce bel ouvrage ont ajouté à la langue françoise un nouveau prix chez les nations étrangères; ç'a été un nouvel attrait pour s'en instruire. Fontenelle ne doit rien à notre langue, quoiqu'elle l'ait si bien servi: il en a étendu le commerce; il lui a rendu autant de gloire qu'il en2 reçu d'elle.

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Il n'appartient qu'à ceux qui lui ressemblent de le suivre dans des détails si profonds, si variés si supérieurs à mes lumières, et d'apprécier encore ses ouvrages particuliers, tels que la Géométrie de l'Infini, et la Théorie des Tourbillons. Car, au milieu de la révolution survenue dans le monde philosophique, toujours fidèle à Descartes, il est demeuré ferme sur les ruines du systême de ce grand philosophe; et resté presque seul au centre des tourbillons enfoncés de toutes parts, il s'est laissé entraîner avec eux. La préface de ce dernier ou vrage est sortie de notre Académie : elle a occupé quelques momens M. Falconnet, un de nos plus savans confrères, qui réunit les connoissances physiques à l'étude la plus approfondie de l'antiquité.

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Je ne puis m'empêcher de dire un mot de ces Eloges, où l'auteur distribuant l'immortalité à tant d'hommes qui l'ont méritée, se l'assure à lui-même peut-être aucun ouvrage n'a-t-il fait autant de conquêtes à l'Académie des Sciences. On ne peut lire l'histoire de ces illustres Morts, sans être embrâsé du desir de marcher sur leurs traces. Fontenelle, en leur rendant les derniers hommages, réparoit avantageusement leur perte; en déplorant ces talens éteints, il en faisoit éclore de pareils. Le portrait d'un seul géomètre, d'un seul physicien, peint d'une main si habile, reproduisoit plusieurs physiciens, plusieurs géomètres; et ces éloges funè

bres portent en eux-mêmes un germe de vie et un principe de fécondité.

Quelle raison a rendu Fontenelle si supérieur à lui-même, dans les ouvrages qu'il a produits pour l'Académie des Sciences? La voici, si je ne me trompe. Il ne péchoit ailleurs que par une certaine subtilité de pensées, et par le choix et l'abondance des ornemens; les sujets se plioient à son inclination. Ici la dureté, et, pour ainsi parler, l'inflexibilité des choses qu'il traitoit, a maîtrisé son génie. Des sujets pleins de difficulté et de sécheresse ne lui ont permis que des pensées fermes et solides, et de sages ornemens dont on ne pouvoit abuser; et le contraste des qualités opposées entre la matière et le génie de l'ouvrier, qui se balançoient l'un l'autre, a produit dans l'ouvrage cetre juste pro→ portion de beautés qu'on y admire.

En 1701, lorsque notre Académie prit une forme plus régulière, le Roi le nomma au nombre des dix associés; mais le peu de goût qu'il sentoit pour les recherches littéraires, et plus encore les Occupations des deux autres Académies où il étoit déja engagé, ne lui permettoient pas de venir cueillir les fruits qui croissent parmi nous. Accoutumé à remplir les places qu'il occupoit, il ne put ne put luimême souffrir son inutilité. Quatre ans après son entrée, il obtint la vétérance, et emporta avec lui notre estime. Une preuve bien sincère de la

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sienne à notre égard, et en même temps de la droiture de son esprit et de son cœur, c'est que, malgré les sollicitations des candidats les plus empressés, il ne voulut jamais user de son droit pour prendre part à nos élections. Il n'étoit pas, disoit-il, assez au fait de nos occupations, et ne les suivoit pas d'assez près pour hasarder un suffrage, qui, même en faveur d'un sujet d'ailleurs estimable pourroit n'être pas conforme à l'esprit et aux besoins actuels de la compagnie.

La société de Fontenelle donnoit de lui une idée encore plus avantageuse que ses ouvrages. Elle avoit toutes les douceurs que peut fournir une heureuse nature, jointe à l'usage du monde le plus poli. Personne n'entendoit mieux la bonne plaisanterie. Il contoit avec agrément, et finissoit toujours par un trait. Né vertueux, il l'étoit sans contrainte et presque sans réflexion; il ne connoissoit point les vices. On l'accuse d'avoir aussi ignoré les vertus qui portent avec elles quelque grain d'amertume ; peut-être n'ignoroit-il que cette amertume, dont il savoit les dépouiller. On lui demandoit un jour s'il n'avoit jamais rencontré personne avec qui il eût voulu changer d'esprit; il répondit qu'il en avoit trouvé plusieurs avec lesquels il auroit volontiers accepté l'échange, mais qu'il auroit cependant voulu conserver une partie du sien, pour la commodité du possesseur.

On

On s'empressoit de le connoître; il

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y entroit de la vanité l'avoir entretenu, c'étoit avoir fait ses preuves de bel-esprit ; il avoit de quoi en prêter aux autres, sans s'appauvrir, et sans qu'ils s'ap→ perçussent que c'étoit le sien qui passoit chez eux. On se mettoit à la mode, en se disant de ses amis: pour lui, il s'en connoissoit fort peu, mais il se livroit à eux sans réserve. M. Brunel, procureur du Roi au bailliage de Rouen, avoit été lié avec lui dès sa première jeunesse. Tous deux se ressembloient parfaitement, et Fontenelle disoit en badinant, que son ami ne lui étoit bon à rien, parce qu'ils se rencontroient toujours. Peu de temps après qu'il fut venu à Paris, il avoit rassemblé mille écus; c'étoit alors toute sa fortune. Son ami lui écrivit en deux mots: Envoyez-moi vos mille écus. Fontenelle répondit qu'il avoit destiné cette somme à un certain emploi. L'ami récrivit simplement : j'en ai besoin ; et cette fois les mille écus servirent de réponse. Ce peu de paroles suffisoient entr'eux; c'étoit se parler à soi-même. M. Brunel mourut trop tôt, et Fontenelle en fut toujours inconsolable.

Il a décrit lui-même, dans l'él ge de Varignon, les momens agréables qu'il avo passés dans sa jeunesse avec ses trois compatriotes, l'abbé de SaintPierre, Varignon et l'abbé de Vertot. On sent que plus de trente-cinq ans après, il soupire encore après Tome I.

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