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avoient été très-bien reçus; et s'il fit une faute en cette occasion, peu de gens seroient en état d'en faire une pareille à vingt-deux ans. Il se soumit, sans murmure, à la décision du Public; et nonseulement il retira sa pièce, mais même il la brûla. Il eût peut-être mieux fait de la laisser subsister: un ouvrage sorti de sa plume devoit contenir mille traits brillans, dignes d'être conservés. Les défauts même pouvoient avoir leur utilité. Les fautes des grands hommes sont quelquefois aussi instructives que leurs chef-d'œuvres.

Les Dialogues des Morts parurent en 1683. Il y avoit pris, comme il le dit lui-même, Lucien pour modèle; mais au goût de plusieurs, il le surpasse beaucoup. Aussi spirituel, et plus philosophe que l'écrivain grec, son ouvrage est une critique fine et judicieuse de la plupart des opinions des hommes, cachée sous l'enveloppe du badinage le plus léger et le plus ingénieux. Cet ouvrage essuya cependant quelques critiques; mais Fontenelle trouva un excellent moyen de s'en délivrer il fit même l'examen de son livre, et le jugea plus sévèrement que personne n'eût osé le faire. Cet examen, qu'il publia l'année suivante sous le titre de Jugement de Pluton, désarma la critique et l'envie, ou du moins leur imposa silence.

Ce premier ouvrage fut suivi, sans interruption, d'un grand nombre d'autres : le premier fut l'Éloge

ou la Vie du grand Corneille, publié alors dans les Nouvelles de la République des Lettres, mais que Fontenelle a depuis fait imprimer dans la dernière édition de ses Œuvres, en y joignant l'Histoire du Théâtre François jusqu'à ce grand poëte, et des Réflexions sur la Poétique. Le Panégyriste étoit digne du héros. La gloire de Corneille lui devoit être plus chère qu'à personne, et nous ne craignons point que le Public nous désavoue quand nous avancerons que qui que ce soit n'étoit plus en état que lui de bien réussir à un pareil ou

vrage.

Les Lettres du chevalier d'Her, que Fontenelle n'avoit jamais voulu avouer ni désavouer, mais auxquelles il a donné place dans les deux dernières éditions de ses œuvres, parurent presqu'en même temps que la Vie de Corneille. Nous ne pouvons disconvenir que cet ouvrage ne soit peut-être le plus foible qui soit sorti de sa plume; mais si au lieu de le comparer avec les autres du même Auteur, on le rapproche de ce qu'il y avoit eu jusqu'alors de meilleur en ce genre, on y reconnoîtra aisément la supériorité de son génie. Il pouvoit dès-lors n'avoir pas toujours des succès égaux, mais non pas en manquer absolument.

En 1686 parut son Traité de la Pluralité des Mondes, dans lequel il a trouvé moyen de donner le tour le plus clair et même le plus orné à ce

les partisans des anciens et ceux des modernes. Despréaux et les autres admirateurs de l'antiquité crurent voir un zélé partisan des modernes dans celui qui avançoit que les différens âges du monde étoient en ce point plus égaux qu'on ne pensoit ; et de la différence du sentiment ils passèrent, comme il n'est que trop ordinaire, à l'antipathie pour l'auteur. C'en fut assez pour faire échouer les quatre premières tentatives qu'il fit pour entrer à l'Académie Françoise, où il ne fut admis qu'en 1691 à la cinquième fois qu'il s'y présenta. Les hommes seront-ils donc toujours assez attachés à leurs sentimens, pour oublier en pareille occasion les devoirs les plus essentiels de l'humanité et de la justice? Cependant le feu de la dispute étant cessé, il s'est trouvé que dans tous les temps et dans tous les lieux où les sciences et les lettres ont été favorisées, elles ont également fleuri; que l'antiquité n'a probablement d'autre avantage sur nous que celui que le temps lui a donné, en détruisant tous les ouvrages foibles et ne conservant que les bons; et qu'enfin Fontenelle étoit peutêtre celui qui avoit raisonné le plus juste sur cette

matière.

Il s'en falloit néanmoins beaucoup qu'il fût aussi partisan des modernes qu'on le croyoit alors. Feu l'abbé Bignon lui disoit quelquefois qu'il avoit une guerre à soutenir comme patriarche d'une secte dont

il n'étoit pas; il en étoit cependant : mais loin d'en être le patriarche, il étoit au contraire un des moins vifs et des plus modérés.

Ce fut pendant la durée de cette dispute qu'il donna au Public l'opéra de Thétis et Pelée, qui fut reçu avec le plus grand applaudissement. Il a eu depuis le plaisir de voir jouer ce même opéra en 1752, plus de soixante - trois ans après sa première représentation, et de le voir reçu du Public d'aujourd'hui, avec la même faveur qu'il avoit autrefois méritée en 1689. Cette pièce fut suivie de celle d'Enée et Lavinie, jouée en 1690. Mais soit que le sujet de cette dernière fût moins intéressant, soit que la musique fût inférieure, il absolument le même succès que le premier. Il avoit composé, pendant ce même temps, un Discours sur la Patience, qui remporta le prix proposé par l'Académie Françoise pour 1687.

n'eut pas

Jusqu'ici nous n'avons représenté Fontenelle que comme poëte et comme homme de lettres; il nous reste à le peindre comme mathématicien et comme philosophe, quoique ces qualités n'aient jamais été séparées chez lui. Il avoit autant l'art de porter la justesse des mathématiques et la plus exacte métaphysique dans les choses de pur agrément, qu'il savoir répandre la clarté et les graces sur les matières les plus abstraites.

Pendant qu'on le croyoit uniquement occupé de

ces ouvrages qui lui avoient fait une si brillante réputation, il suivoit, sans qu'on pût s'en douter une nouvelle route; il se livroit à l'étude des mathématiques et de la physique. Dès 1685 il avoit proposé aux mathématiciens une question arithmétique sur les propriétés du nombre IX, et l'avoit fait insérer dans les Nouvelles de la République des Lettres, mais sans y vouloir mettre son nom. Bientôt il fut en état de pénétrer jusqu'aux sources de la haute géométrie; et ce fut lui qui fit la préface qui est à la tête de l'Analyse des Infiniment petits de M. de l'Hôpital.

C'est peut-être la seule fois qu'il a prêté sa plume en qualité de mathématicien ; mais ce n'étoit sûrement pas la première fois qu'il l'avoit prêtée comme homme-de-lettres. Il avoit demeuré quelque temps chez un magistrat, son intime ami (M. le Haguais, avocat - général à la Cour des Aides), et il avoit composé quelques-uns des discours que le ministère de son hôte exigeoit de lui. Probablement il avoit rendu ce service à bien d'autres mais religieux observateur du secret, il n'en a jamais parlé de leur vivant; encore falloit

il

:

, pour qu'il en parlât après leur mort, que ces pièces eussent donné lieu à quelque aventure singulière; car ce n'étoit jamais pour se faire valoir qu'il contoit, mais pour amuser ceux qui l'écou¬ toient, à quoi il réussissoit merveilleusement. Il

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