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jamais il n'a avoué, jamais il n'a nié qu'elles fussent de lui.

Mais sa Pluralité des Mondes emporta tous les suffrages. La scène en est charmante; l'exécution présente autant de fleurs qu'il brille de feux dans la voûte céleste ces fleurs seront immortelles du moins leur fraîcheur subsistera-t-elle autant que notre langue.

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Le goût de l'érudition n'étoit pas ce qu'il y avoit en lui de plus dominant. Cependant le traité de Vandale sur les oracles, lui plut par sa hardiesse et par sa nouveauté. Luerèce avoit rendu en beaux vers la philosophie d'Épicure. Fontenelle fit passer dans le style des graces un livre hérissé de citations et de savantes parenthèses. Le père Baltus jésuite, fondit tout-à-la-fois sur l'auteur et sur le traducteur, avec des armes pareilles à celles de Vandale, mais avec plus de force. Fontenelle ne répondit pas ses raisonnemens tombèrent, il ne. resta que les agrémens; et pour parler le langage de la Pluralité des Mondes, ne pourroit-on pas comparer ce traité placé entre les ouvrages de Fontenelle, à une comète échappée d'un autre tourbillon, qui, sans disparoître tout-à-fait, resta presque éclipsée par l'interposition d'un corps opaque ?

Ses Pastorales eurent des partisans. Ceux qui ne connoissent Théocrite que par ouï - dire, et Virgile que par une lecture légère, crurent de bonne

foi que les bergers de Sicile et de Mantoue n'étoient pas des gens supportables; ils surent gré à Fontenelle d'avoir donné aux siens le ton de la bonne compagnie, et de leur avoir appris à soupirer avec, finesse.

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L'opéra de Thétis et Pelée, qu'il donna en 1689, fut reçu avec applaudissement. L'année suivante le succès médiocre d'Enée et Lavinie consola ses envieux. Il n'en pouvoit manquer avec des talens aussi éclatans. Mais il avoit encore une autre sorte d'adversaires : des puissances redoutables dans l'empire des lettres, étoient armées contre lui; la guerre étoit alors très-animée entre les partisans des anciens et ceux des modernes. Les plus capables de fortifier la cause des modernes, héritiers eux-mêmes des talens et de la gloire des anciens, et destinés à vivre avec eux dans les siècles à venir, s'étoient jettés dans le parti de l'antiquité; et les défenseurs du dix-septième siècle avoient un grand désavantage : la plupart ne connoissoient les anciens qu'ils atta→ quoient, que sur des rapports toujours altérés, souvent très - infidèles : on s'échauffoit, on disputoit quelquefois sans s'entendre; et comme il arrive toujours dans les querelles opiniâtres, les deux partis se refusoient justice, et le zèle pour la cause s'embrâsoit d'une espèce de fanatisme. Fontenelle, jeune encore, se déclara contre les anciens : il en fut puni; quatre fois il demanda une place à l'aca

démie Françoise; quatre fois Homère, Platon; Théocrite sollicitèrent contre lui, et furent vengés des traits de sa belle humeur. Enfin, l'année 1691, on ne put tenir le neveu du grand Corneille plus long-temps éloigné d'une académie que l'oncle avoit tant honorée. Il succéda à Villayer, et soutint pendant près de soixante-six ans l'honneur de cette illustre compagnie, par la décence de ses mœurs, par l'éclat de ses ouvrages, et par les discours toujours applaudis qu'il prononça en qualité de di

recteur.

Ce fut une fête brillante que celle où Fontenelle, âgée de quatre-vingt-cinq ans, renouvella dans L'assemblée publique du 25 août 1741, la mémoire du jour auquel cinquante ans auparavant il avoit été reçu dans l'académie. Tout Paris accourut pour l'entendre. On fut touché de cette éloquence, dont

le

temps avoit adouci le coloris, comme celui des tableaux, qui n'en deviennent que plus parfaits.' On croyoit voir Nestor dans le Conseil des Princes de la Grèce; il avoit vu, comme ce Héros, deux générations; il présidoit à la troisième : il ne restoit plus que quatre académiciens reçus avant qu'il fût doyen. Chacun remporta les idées les plus agréables d'une si riante et si aimable vieillesse.

Huit ans après, dans sa quatre-vingt-treizième année, il prononça encore deux discours. Il ressembloit à ces arbres rares et précieux, qui ne

connoissent pas

les hivers, et dont la fécondité inépuisable enrichit toutes les saisons.

Je ne parlerai point de tant d'autres ouvrages de prose et de vers, tantôt enjoués, tantôt sérieux et réfléchis, mais toujours délicats', dans lesquels l'auteur ne s'est guère écarté du naturel, qu'il n'en ait, s'il est possible, dédommagé par quelqué trait ingénieux.

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Qu'on me permette de justifier ici Fontenelle sur un reproche souvent répété par des censeurs sévères. Ils l'accusent d'avoir altéré parmi nous le goût de la vraie éloquence; ils mettent sur son compte les défauts de ses imitateurs. J'avoue qu'il y a dans plusieurs de ses écrits trop de jeux d'esprit, trop de recherche, et, si je l'ose dire, trop trop d'affé terie; mais ne peut-on pas pardonner ces imperfections à la beauté de l'ordre, à la netteté de l'élégance, à tant de traits heureux, à cette variété d'images pleines d'agrément et de justesse, qui naissoient de la grande diversité de ses connoissances? Si des Auteurs dépourvus de toutes ces ressources, n'ont emprunté de lui que des défauts c'est à eux seuls qu'il faut s'en prendre. Ce ne sont que les tableaux de prix qui produisent de mauvaises copies. Les modèles de la plus haute éloquence, Démosthène et Bossuet, ont pu faire naître des imitations vicieuses. Toute la différence, c'est que les défauts de Fontenelle sont plus séduisans:

ceux de ces grands orateurs sont cachés dans les ombres, et couverts par des beautés sublimes; les siens ont plus de saillie, ils sont eux-mêmes écla

tans.

Tandis que l'Académie Françoise, qui, comme par droit d'aînesse, s'étoit saisie la première des talens de Fontenelle, en recevoit un nouveau lustre, elle voyoit encore réfléchir sur elle une partie de la gloire qu'il acquéroit dans l'Académie des Sciences. Il y étoit entré en 1697, et l'on peut à juste titre lui appliquer ce qu'il a dit lui-même de la Hire: on croyoit avoir choisi un académicien, on fut étonné de trouver en lui une académie toute éntière. La nature a coutume de partager ses faveurs; et ces métaux si recherchés, qu'elle enferme dans les entrailles de la terre, n'enrichissent pas les campagnes dont la surface est la plus embellie: c'est au pied des montagnes, dans des terreins stériles et sauvages, qu'elle se plaît à cacher ses trésors. Elle se prodigua à Fontenelle. Les sciences les plus épineuses et les plus austères vinrent se placer chez lui sans confusion, à côté d'une imagination fleurie. On le sentit, lorsque deux ans après, l'Académie des Sciences ayant pris une nouvelle face, il fut revêtu du titre de secrétaire perpétuel. Ce choix contribua, autant que le nouveau réglement, à ré→ lever l'éclat de la compagnie. Ce fut sur ce théâtre si élevé, si étendu, qu'il se montra vraiment ad

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