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quelque effort; il se fit une habitude d'épargner à ses sens tout ce qui peut les user ou les affoiblir. Sa vie fut unie, renfermée dans un cercle d'études et de plaisirs également tranquilles : c'étoit un vase d'une matière fine et d'un ouvrage délicat, que la nature avoit placé au milieu de la France, pour l'ornement de son siècle, et qui subsista long-temps sans aucun dommage, parce qu'il ne changeoit pas de place, ou qu'il n'étoit remué qu'avec précaution. - A des organes si bien conservés, nulle ame ne pouvoit être mieux assortie que la sienne; elle se maintint dans une assiette toujours paisible : les passions avoient perdu pour lui tout ce qu'elles ont de pénétrant et de nuisible. Il ne s'est jamais donné la peine de hair ni de s'irriter. Sourd aux critiques, il n'y répondoit pas : il ne parut sensible qu'à la louange, mais il n'en étoit point enivré; il la goûtoit avec plaisir, de quelque main qu'elle lui fût présentéė. Affligé sans trouble, habituellement gai, sans connoître les éclats de la joie, jamais il n'a pleuré jamais il n'a ti: en un mot, jamais une ame n'a mieux ménagé sa demeure, et n'a manié avec plus de circonspection les ressorts dont elle faisoit usage. age. J'ai cru devoir tracer cette légère ébauche de sa personne, avant qu d'entrer dans l'histoire de sa vie.

Son père mourut en 1693, à l'âge de quatre-1 vingt-deux ans, sous-doyen des avocats au parle

ment de Rouen. C'étoit un homme estimable, que son fils a rendu célèbre.

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Sa mère l'étoit déja, par la qualité de sœur des deux Corneilles; elle joignoit beaucoup d'esprit à une piété exemplaire; elle forma son fils, dans lequel la douceur des mœurs et l'élégance du style retinrent toujours l'empreinte de l'éducation maternelle.

De quatre frères, Bernard fut le second; l'aîné; nommé Joseph, mourut fort jeune : des deux derniers, l'un, appellé Pierre, ne vécut que trentetrois ans; il étoit Prêtre habitué à saint Laurent de Rouen; l'autre, Joseph-Alexis, mourut chanoine de la cathédrale de cette même ville, à l'âge de soixante-dix-huit ans, en réputation de science et de vertu.

Fontenelle étudia chez les Jésuites de Rouen; son cours d'humanités fit naître les plus belles espérances. En 1670, il remporta le prix des Palinods, par une pièce de vers latins sur l'immaculée Conception. L'allégorie n'en est pas heureuse, mais l'Auteur n'avoit que treize ans; et l'on sait que dans ces sujets périodiques, où l'on s'obstine à tirer sans cesse du même sol de nouvelles richesses, les idées nobles et naturelles sont d'abord saisies, la mine s'épuise, et laisse aux derniers venus plus de recherches et moins de succès. En 1671, il rem porta encore quatre prix des Palinods, ma

La philosophie encore au berceau, quoiqu'elle fût âgée de plus de deux mille ans, le rebuta d'abord; bientôt il sentit qu'il étoit né pour percer ses ténèbres, et pour prononcer ses oracles; fil prit goût pour elle, et s'y distingua: il avoit fini ses classes avant l'âge de quinze ans.

Son père le destinoit au barreau, où il avoit luimême passé sa vie. Le jeune Fontenelle plaida une cause au parlement de Rouen; mais cette profession lui parut trop sérieuse, trop austère, et, pour ainsi dire, trop monotone, pour s'assortir avec ces graces légères qu'il sentoit éclore. Un voyage qu'il fit à Paris avec Thomas Corneille, son oncle et son parrain, lui présenta une scène plus vive, plus gaie et plus conforme à la diversité de ses talens. Les conquêtes de Louis XIV couronnées par la paix de Nimègue, répandoient alors dans toute la France la joie et l'éclat des plus beaux jours; tout le par nasse étoit en mouvement; il retentissoit des concerts de muses. Fontenelle essaye sa voix, elle fut reçue dans les chœurs des poëtes; il eut part à l'opéra de Psyché et à celui de Bellerophon. La conversation des dames à qui il sut plaire par le ton d'une galanterie fine et spirituelle, acheva de le brouiller avec Papinien et la coutume; il ne retourna à Rouen que pour obtenir de son père la permission de suivre son attrait.

Revenu à Paris, il demeura chez Thomas Cor

neille, qui travailloit alors au Mercure avec de Visé. Le neveu seconda la fécondité de l'oncle; il sema dans cet ouvrage beaucoup de petites nouvelles galantes; en même temps il aidoit, mademoiselle Bernard dans la composition de ses pièces, et il composa en son propre nom une tragédie. Un succès équivoque auroit peut-être enchaîné le jeune auteur sur la scène, pour y traîner tristément une répu tation languissante. Fontenelle fut plus heureux, la pièce tomba tout-à-fait ; il écouta sans chagrin, et comprit sans peine la leçon que lui faisoit le public, leçon toujours claire et intelligible à tout autre qu'à l'auteur: il en profita, et il eut le cou Lage de reconnoître que le neveu du grand Corneille n'étoit pas né pour la scène tragique..

En effet, jamais deux génies rares et singuliers n'eurent des talens plus opposés. Pierre Corneille, grand et sublime, s'élevoit trop haut pour appercevoir les petits objets; négligé avec magnificence, il étonnoit la critique même. Fontenelle étoit tendre, fin, plein d'enjouement et d'élégance, mais étudié dans sa parure jusqu'à une espèce de coquete terie. Le premier arrêtant des regards fixes et har¬ dis sur les dieux et sur les héros au milieu de leur éclat et de leur gloire, habile à les peindre par des traits aussi forts et aussi immortels qu'eux-mêmes; portant le trouble dans l'ame, dont il ne remuoit que les grands ressorts l'autre, se jouant autour

du cœur humain, dont il ne touchoit que les cordes les plus délicates, ne songeant qu'à réveiller des sentimens agréables, copiant tous ses portraits d'après les graces, qu'il ne perdoit jamais de vue. L'un, semblable à un aigle, avoit besoin de beausoutenir son vol qui perçoit la nue, coup d'air pour tout prêt à tomber, pour peu qu'il se rabattît vers la terre l'autre, tel qu'une abeille, voltigeoit sur l'émail des prairies, autour des bocages, autour des ruisseaux, se nourrissant de l'extrait des fleurs les plus jeunes, dont il épuisoit le suc; ne s'exposant jamais dans la région des vents et des orages.' Pierre Corneille sembloit né pour l'olympe : Fontenelle pour les riantes campagnes de l'élysée.

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Ce fut dans l'élysée qu'il plaça la scène du premier ouvrage qui commença sa réputation. Il fit parler les morts on trouva leurs entretiens trop subtils et trop recherchés; on eût desiré dans la variété des caractères une teinture générale de cette simplicité et de ce naturel, qui réussit toujours aux habitans de l'autre monde.

On vit ensuite, d'année en année, paroître quatre ouvrages, qui fixèrent pour toujours le rang qu'il devoit tenir dans la sphère du bel esprit. Ses Lettres galantes ne furent pourtant jettées dans le public, que comme un essai et un titre de prétention: il les donna sous un nom emprunté, et

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