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de la raison, un philosophe fait des mains de la nature, car il est né ce que les autres deviennent.

Je lui crois le cœur aussi sain que l'esprit : jamais il n'est agité de sentimens violens, de fièvre ardente; ses mœurs sont pures, ses jours sont égaux et coulent dans l'innocence. Il est plein de probité et de droiture; il est sûr et secret; on jouit avec lui du plaisir de la confiance, et la confiance est la fille de l'estime; il a les agrémens du cœur sans en avoir les besoins; nul sentiment ne lui est né→ cessaire. Les ames tendres et sensibles sentent ces besoins du cœur plus qu'on ne sent les autres né→ cessités de la vie. Pour lui, il est libre et dégagé; aussi ne s'unit-on qu'à son esprit, et on échappe à son cœur. Il peut avoir pour les femmes un sentiment machinal, la beauté faisant sur lui une assez grande impression : mais il est incapable de sentimens vifs et profonds. Il a un comique dans l'esprit qui passe jusqu'à son cœur, qui fait sentir l'amour n'est pour lui ni sérieux ni respecté. Il ne demande aux femmes que le mérite de la figure; dès que vous plaisez à ses yeux, cela lui suffit, et tout autre mérite est perdu.

que

Il sait faire un bon usage de son loisir et de ses talens. Comme il a de tous les esprits, il écrit sur tous les sujets mais la plus grande partie de ce qu'il fait doit être l'objet de nos admirations, et non pas de nos connoissances. Il fait des vers en

homme d'esprit, et non pas en poëte. Il y a pourtant des morceaux de lui qui pourroient être avoués des meilleurs maîtres. Des grands sujets il passe aux bagatelles avec un badinage noble et léger. Il semble vives et riantes l'attendent à la porte que les graces de son cabinet pour le conduire dans le monde, et le montrer sous une autre forme : sa conversation est amusante et aimable. Il a une manière de s'énoncer simple et noble, des termes propres sans être recherchés; il a le talent de la parole et les lèvres de la persuasion. Il montre aussi de la retenue mais de la retenue on en fait aisément du dédain; il donne l'impression d'un esprit dégoûté par délicatesse. Peu blessé des injures qu'on peut lui faire, la connoissance de lui-même le rassure, et sa propre estime lui suffit. Je suis de ses amies depuis long-temps; je n'ai jamais connu personne d'un caractère si aisé. Comme l'imagination ne le gouverne point, il n'a pas la chaleur des amitiés naissantes; aussi n'en a-t-il pas le danger. Il connoît parfaitement les caractères, vous donne le degré d'estime que vous méritez; il ne vous élève pas plus qu'il ne faut : il vous met à votre place; mais aussi il ne vous en fait pas descendre.

Vous voyez bien, madame, qu'un pareil caractère n'est fait que pour être estimé. Vous pouvez donc badiner et vous amuser avec lui; mais ne lui en donnez et ne lui en demandez pas davantage.

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DE FONTENELLE,

Dans la brochure intitulée : Apologie de M. Houdart de la Motte, par feu M. Bel, Conseiller au Parlement de Bordeaux (1).

FONTENELLE

ONTENELLE est un philosophe de beaucoup d'esprit, qui a songé de bonne heure à se faire

(1) Ce titre est ironique, et la prétendue Apologie est une critique, une satyre même, et d'autant plus maligne, qu'elle est plus ingénieuse. (Voyez la Motte, Discours à la tête de la tragédie de Romulus). Cet endroit sur Fontenelle n'est pas non plus sans quelque malignité, et on la - sentira bien. Cependant nous avons cru pouvoir le mettre ici, parce qu'il est ingénieux: qu'à quelques nuances près, Fontenelle y est peint très-vraisemblant ; et que la brochure où il se trouve est presque oubliée aujourd'hui. Tel est le sort de la plupart des critiques, et même de celles où il y a le plus d'esprit, sur-tout lorsqu'elles manquent d'équité.

Voici comment ce morceau sur Fontenelle est amené dans la prétendue Apologie de M. de la Motte. L'auteur cite en faveur des tragédies de ce poëte, mais toujours ironiquement, le suffrage de Fontenelle, témoin, ajoute-t-il, du premier ordre. Mais ce témoin est-il aussi sincère qu'éclairé? « Il ne faut, poursuit M. Bel, que faire un peu » d'attention au caractère de M. de Fontenelle, pour dé» truire cette vaine chicane. C'est un philosophe, &c. » *

une

une grande réputation plein de ce projet, il s'est formé un systême de conduite, dont il ne se départ jamais. Sage, modéré, attentif même aux bagatelles qui peuvent intéresser sa gloire, il choisit, il pèse ses mots; il ne hasarde ni un geste, ni un souris équivoque. Il manie à son gré son amourpropre, et ne s'y prête qu'à-propos. Des vues fines et déliées lui font démêler les différens goûts qu'il a à satisfaire, et il sait s'y assortir. Toujours en garde contre lui-même, il surveille sans cesse ses pensées, et ne leur permet de se montrer que lorsqu'il les a jugées dignes de soutenir toute la réputation de leur auteur. C'est avec une conduite aussi prudemment concertée, et soutenue d'un mérite éclatant, que Fontenelle est parvenu à se faire autant d'admirateurs qu'il y a de gens de lettres.

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DE

FONTENELLE,

PAR M. LE BEAU,

Secrétaire perpétuel de l'académie des Inscriptions et Belles lettres, lu dans l'assemblée publique d'après Pâques 1757.

BERNARD

I I

ERNARD LE BOVIER DE FONTENELLÉ naquit, le 11 Février 1657, de François le Bovier, écuyer, sieur de Fontenelle, et de Marthe Corneille. Lorsqu'il vint au monde, on le crut près de mourir, on n'osa le porter à l'église : il ne fut baptisé que trois jours après sa naissance.

Tout devoit être surprenant dans Fontenelle; on fut d'abord étonné de le voir vivre. Cet enfant, qui ne sembloit pas assez fort pour respirer une heure, a vu sa centième année : il dut cette longue vie à l'heureuse harmonie de son ame et de son corps, qui ont vécu ensemble dans une parfaite intelligence.

Son corps évita toutes les fatigues. Fontenelle ne fut pas même tenté d'essayer ses forces: il s'abstint, dès sa première jeunesse, de tous divertissemens pénibles, de tous les jeux qui demandent

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