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5 parce que, bien sûr que ses vrais amis n'en se>> roient pas la dupe, il voyoit dans cette réputa» tion un moyen commode de se délivrer des in» différens, sans blesser leur amour - propre ». L'ambition n'eut jamais aucune prise sur Fontenelle; il en avoit vu les funestes effets dans le cardinal Dubois, qui venoit quelquefois chercher des consolations auprès de lui. Quelqu'un lui parlant un jour de la grande fortune que ce ministre avoit faite, pendant que lui, qui n'étoit pas moins aimé du prince - régent, n'en avoit fait aucune : Cela est vrai, répondit le philosophe; mais je n'ai jamais eu besoin que le cardinal Dubois vínt me consoler. Le duc d'Orléans avoit voulu le nommer président perpétuel de l'académie des sciences. Lorsque ce prince parla de ce projet à Fontenelle: Monseigneur, répondit - il, ne m'ôtez pas la douceur de vivre avec mes égaux. Cependant cette place lui convenoit, autant par son caractère que par son esprit. Ami de l'ordre, comme d'un moyen de conserver la paix; aimant la paix comme son premier besoin, il chérissoit trop son repos pour abuser de l'autorité. Sa modération, en faisant son bonheur, a sans doute beaucoup contribué à sa bonne santé et à sa longue vie. Ennemi des agitations inséparables des voyages, autant qu'ami de la vie sédentaire, il disoit ordinairement, que le sage tient peu de place et en change peu. Il possé

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doit le talent si rare dans la conversation de savoir bien écouter. Les beaux parleurs, soit gens d'esprit et à pensées, soit d'imagination et à saillies, se plaisoient beaucoup dans sa compagnie, parce que non-seulement ils parloient tant qu'ils vouloient mais aussi parce qu'ils ne perdoient rien avec lui. Un jour madame d'Argenton, mère du chevalier d'Orléans, grand - prieur de France, soupant en grande compagnie chez le duc d'Orléans régent et ayant dit quelque chose de très-fin, qui ne fut pas senti, s'écria: Ah! Fontenelle, où es-tu? Elle faisoit allusion au mot si connu : Où étois-tu Crillon? Fontenelle, malgré son extrême politesse, ne pouvoit s'empêcher quelquefois de faire connoître qu'on abusoit de sa bonté. Les gens du monde, frivoles lors même qu'ils sont curieux, parce qu'ils ne le sont que par vanité, voudroient qu'on leur expliquât tout en peu de mots et en peu de temps. peu de mots, répondit un jour Fontenelle? J'y mais en peu de temps, cela m'est impossible. Au reste, que vous importe de savoir ce que vous me demandez? Un discoureur, qui ne disoit que des choses triviales, et qui néanmoins les disoit du ton et de l'air dont à peine auroit-on droit de dire les choses les plus rares et les plus exquises, d'un ton et d'un air qui commandoient l'attention, adressoit un jour la parole à Fontenelle. Le philosophe, las de l'entendre, interrompit le discoureur.

consens ;

En

Tout cela est très-vrai, monsieur, lui dit-il ; très-vrai; je l'avois même entendu dire à d'autres. Quand Fontenelle avoit dit son sentiment et ses raisons sur quelque chose, on avoit beau le contredire, il refusoit de se défendre, et alléguoit, pour couvrir son refus, qu'il avoit une mauvaise poitrine. Belle raison, s'écria un jour un disputeur éternel, pour étrangler une dispute qui intéresse toute la compagnie! La fortune lui fut aussi favorable que la nature. Né presque sans biens, il devint riche pour un homme de lettres, par les bienfaits du roi, et par une économie sans avarice. Il ne fut économe que pour lui-même. Il donnoit, il prêtoit même à des inconnus. Un des points de sa morale étoit, qu'il falloit se refuser le superflu, pour procurer aux autres le nécessaire. Plusieurs traits de

bienfaisance prouvent que les personnes qui lui ont prêté ce principe affreux, qu'il faut pour être heureux, avoir l'estomac bon et le cœur mauvais, l'ont calomnié indignement. S'il manqua de religion, comme l'insinue l'auteur du Dictionnaire critique, il eut les principales vertus de la religion (ce qui à la vérité ne suffit pas); il la respecta; il avouoit que la religion chrétienne étoit la seule qui eût des preuves. Ce témoignage, et l'exactitude avec laquelle il en remplissoit les devoirs, nous empêchent de hasarder des soupçons quelquefois téméraires, et souvent peu favorables à la religion, dans l'esprit

de ceux qui cherchent des autorités pour justifier leur impiété. On trouvera de plus amples détails sur Fontenelle, dans les Mémoires pour servir à l'histoire de sa vie et de ses ouvrages, par l'abbé Trublet. Cet écrivain ingénieux préparoit une Vie complette de son illustre ami. Il eut la bonté de revoir cet article avant que nous le livrassions à l'impression.

PORTRAIT

DE FONTENELLE, Par madame la marquise DE LAMBERT, à madame de ***.

JE

E n'entreprendrai pas de peindre Fontenelle; je connois ma portée et l'étendue de mes lumières: je vous dirai seulement comment il s'est montré à moi. Vous connoissez sa figure; il l'a aimable.' Personne ne donne une si haute idée de son caractère esprit profond et lumineux, il voit où les autres ne voient plus; esprit original, il s'est fait une route toute nouvelle, ayant secoué le joug de l'autorité; enfin, un de ces hommes destinés à donner le ton à leur siècle. A tant de qualités solides, il joint les agréables; esprit maniéré, si j'ose hasarder ce terme, qui pense finement, qui sent avec délicatesse, qui a un goût juste et sûr, une imagination vive et légère, remplie d'idées riantes; elle pare son esprit et lui donne un tour; il en a les agrémens sans en avoir les illusions; il l'a sage et châtiée; il met les choses à leur juste valeur; l'opinion ni l'erreur ne prennent point sur lui; c'est un esprit sain, rien ne l'étonne ni ne l'altère; dépouillé d'ambition, plein de modération, un favori

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