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́Les gens de goût ne veulent pas que ces pastorales
soient mises, pour la naïveté et le naturel, à côté
de celles de Théocrite et de Virgile, et ils ont
raison. Les bergers de Fontenelle, disent-ils, sont
des courtisans. Qu'on les appelle comme on voudra,
répondent les partisans du poëte françois; ils disent
de très-jolies choses. Ces pastorales peuvent être
de mauvaises églogues; mais ce sont des poésies
délicates. On convient qu'il y a plus d'esprit que
de sentiment; mais si on n'y trouve pas le style
du sentiment, dit l'abbé Trublet, on y en trouve
la vérité le philosophe a bien connu ce qu'un
berger doit sentir. C'est un nouveau genre pastoral,
dit un des plus grands adversaires de Fontenelle
(l'abbé des Fontaines), qui tient un peu
peu du roman,
et dont l'Astrée de d'Urfé, et les comédies de
l'Amynte et du Pastor-Fido, ont fourni le modèle.
Il est vrai que ce genre est fort éloigné du goût
de l'antiquité mais tout ce qui ne lui ressemble
point, n'est pas pour cela digne de mépris. V. Plu-
sieurs volumes des Mémoires de l'Académie des
Sciences. Fontenelle en fut nommé secrétaire en
1699. Il continua de l'être pendant quarante-deux
ans, et donna chaque année un volume de l'histoire
de cette compagnie. La préface générale est un de
ces morceaux qui suffiroient seuls pour immorta→
liser un auteur. Dans l'histoire, il jette très-sou-
vent une clarté lumineuse sur les matières les plus

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obscures faits curieux bien exposés, réflexions in→ génieuses, vues nouvelles ajoutées à celles des auteurs, soit par de nouvelles conséquences de leurs principes, soit par des applications de ces principes à d'autres sujets, soit même par de nouveaux principes plus étendus et plus féconds. Il n'y a personne qui l'ait égalé dans l'art de mettre en œuvre les matériaux de la physique et des mathématiques. Les éloges des académiciens, répandus dans cette histoire, et imprimé séparément, ont le singulier mérite de rendre les sciences respectables, et ont rendu tel leur auteur. Il loue d'autant mieux, qu'à peine semble-t-il louer. Il peint l'homme et l'académicien. Si ses portraits sont quelquefois un peu flattés, ils sont toujours assez ressemblans. Il ne flatte qu'en adoucissant les défauts, non en donnant des qualités qu'on n'avoit pas, ni même en exagérant celles qu'on avoit. Son style élégant, précis, lumineux dans ces éloges, comme dans ses autres ouvrages, a quelques défauts: trop de négligence, trop de familiarité; ici, une sorte d'affectation à montrer en petit les grandes choses : là, quelques détails puérils, indignes de la gravité philosophique; quelquefois, trop de rafinement dans les idées; souvent, trop de recherches dans les ornemens. Ces défauts, qui sont en général ceux de toutes les productions de Fontenelle, blessent moins chez lui qu'ils ne feroient ailleurs; nonseulement

attention

seulement par les beautés tantôt frappantes, tantôt fines, qui les effacent; mais parce qu'on sent que ces défauts sont naturels en lui. Les écrivains qui ont tant cherché à lui ressembler, n'ont pas fait que son genre d'écrire lui appartient absolument, et ne peut passer, sans y perdre, par une autre plume. VI. L'Histoire du Théâtre François jusqu'à Corneille, avec la vie de ce célèbre dramatique. Cette histoire, très-abrégée, mais faite avec choix, est pleine d'enjoument; mais de cet enjoument philosophique, qui, en faisant sourire, donne beaucoup à penser. VII. Réflexions sur la Poétique du Théâtre, et du Théâtre tragique ; c'est un des ouvrages les plus profonds, les plus pensés de Fontenelle, et celui peut-être où, en paroissant moins bel esprit, il paroît plus homme d'esprit. VIII. Elémens de géométrie de l'infini, in-4°. 1727: livre dans lequel les géomètres n'ont guère reconnu que le mérite de la forme. IX. Une Tragédie en prose, et six Comédies : les unes et les autres peu théâtrales, et dénuées de chaleur et de force comique. Elles sont pleines d'esprit, mais de cet esprit qui n'est saisi que par peu de personnes, et plus propres à être lues par des philosophes que par des lecteurs ordinaires. X. Théorie des Tourbillons Cartésiens; ouvrage qui, s'il n'est pas de sa vieillesse, méritoit d'en être. Fontenelle étoit grand admirateur de Descartes; et tout philosophe qu'il C

Tome 1.

étoit, il défendit jusqu'à la mort les erreurs dont il s'étoit laissé prévenir dans l'enfance. XI. Endymion, pastorale; Thétis et Pelée, Enée et Lavinie, tragédies - lyriques, dont la première est restée au théâtre. Il eut un rival dans la Motte, son ami sur la scène lyrique et dans d'autres genres; mais rival sans jalousie. C'est ce qui nous engage à placer ici le parallèle ingénieux que M. d'Alembert a fait des talens de ces deux écrivains. « Tous deux pleins de justesse, de lumières et de raison, se » montrent par-tout supérieurs aux préjugés, soit philosophiques, soit littéraires. Tous deux les combattent avec une timidité modeste, dont le »sage a toujours soin de se couvrir en attaquant » les opinions reçues : timidité que leurs ennemis

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appelloient douceur hypocrite, parce que la haine » donne à la prudence le nom d'astuce, et à la » finesse celui de fausseté. Tous deux ont porté » trop loin leur révolte contre les Dieux et les loix » du Parnasse : mais la liberté des opinions de la

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Motte semble tenir plus intimement à l'intérêt » personnel qu'il avoit de les soutenir; et la liberté » des opinions de Fontenelle, à l'intérêt général, peut être quelquefois mal entendu, qu'il prenoit au progrès de la raison dans tous les genres. >> Tous deux ont mis dans leurs écrits cette mé» thode si satisfaisante pour les esprits justes, et » cette finesse si piquante pour les juges délicats.

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» Mais la finesse de la Motte est plus développée, » celle de Fontenelle laisse plus à deviner à son » lecteur. La Motte, sans jamais en trop dire » n'oublie rien de ce que son sujet lui présente, » met habilement tout en œuvre, et semble craindre » de perdre, par des retenues trop subtiles, quel» ques-uns de ses avantages. Fontenelle, sans jamais » être obscur, excepté pour ceux qui ne méritent » pas même qu'on soit clair, se ménage à-la-fois » et le plaisir de sous-entendre, et celui d'espérer qu'il sera pleinement entendu par ceux qui en » sont dignes. Tous deux, peu sensibles aux char» mes de la poésie et à la magie de la versifica» tion, ont cependant été poëtes à force d'esprit; » mais la Motte un peu plus souvent que Fonte» nelle, quoique la Motte eût fréquemment le » double défaut de la foiblesse et de la dûreté, et » que Fontenelle eût seulement celui de la foiblesse; c'est que Fontenelle dans ses vers est » presque toujours sans vie, et que la Motte a mis quelquefois dans les siens de l'ame et de l'inté» rêt. L'un et l'autre ont écrit en prose avec beaucoup de clarté, d'élégance, de simplicité même; » mais la Motte avec une simplicité plus naturelle, » et Fontenelle avec une simplicité plus étudiée :

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» (car la simplicité peut l'être, et dès-lors elle de» vient manière, et cesse d'être modèle.) Ce qui » fait que la simplicité de Fontenelle est manière,

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