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PAULIN E.

De bonne foi, c'est presque la même chose. J'eusse été aussi-tôt persuadée de la fidélité et de la constance de Mundus que de sa divinité.

CALLIR HÉE.

Ah! il n'y a rien de plus outré que ce que vous dites. Si l'on croit que des dieux aient aimé, du moins on ne peut pas croire que cela soit arrivé souvent; mais on a vu souvent des amans fidèles qui n'ont point partagé leur cœur, et qui ont sacrifié tout à leurs maîtresses.

PAULIN E.

Si vous prenez pour de vraies marques de fidélité les soins, les empressemens, des sacrifices, une préférence entière, j'avoue qu'il se trouvera assez d'amans fidèles; mais ce n'est pas ainsi que je compte. J'ôte du nombre de ces amans tous ceux dont la passion n'a pu être assez longue pour avoir le loisir de s'éteindre d'elle-même, ou assez heureuse pour en avoir sujet. Il ne me reste que ceux qui ont tenu bon contre le temps et contre les faveurs et ils sont à-peu-près en même quantité que les dieux qui ont aimé des mortels.

CALLIR HÉE.

Encore faut-il qu'il se trouve de la fidélité,

même selon cette idée. Car, qu'on aille dire à une femme qu'on est un dieu épris de son mérite, elle n'en croira rien; qu'on lui jure d'être fidèle, elle le croira. Pourquoi cette différence ? C'est qu'il y a des exemples de l'un, et qu'il n'y en a pas de l'autre.

PAULI NE.

Pour les exemples, je tiens la chose égale; mais ce qui fait qu'on ne donne pas dans l'erreur de prendre un homme pour un dieu, c'est que cette erreur-là n'est pas soutenue par le cœur. On ne croit pas qu'un amant soit une divinité, parce qu'on ne le souhaite pas; mais on souhaite qu'il soit fidèle, et on croit qu'il l'est.

CALLIR HÉ E.

Vous vous moquez. Quoi! toutes les femmes prendroient leurs amans pour des dieux, si elles souhaitoient qu'ils le fussent ?

PAULIN E.

Je n'en doute presque pas. Si cette erreur étoit nécessaire pour l'amour, la nature auroit disposé notre cœur à nous l'inspirer. Le cœur est la source de toutes les erreurs dont nous avons besoin; il ne nous refuse rien dans cette matière-là.

1

DIALOGUE

DIALOGUE III.

CANDA ULE, GIGĖS.

CANDA ULE,

PLUS j'y pense, et plus je trouve qu'il n'étoit

point nécessaire que vous me fissiez mourir.

GIGÉS.

Que pouvois-je faire? Le lendemain que vous m'eûtes fait voir les beautés cachées de la reine, elle m'envoya querir, me dit qu'elle s'étoit apperçue que vous m'aviez fait entrer le soir dans sa chambre, et me fit, sur l'offense qu'avoit reçue sa pudeur, un très-beau discours, dont la conclusion étoit qu'il falloit me résoudre à mourir, ou à vous tuer, et à l'épouser en même temps; car, à ce qu'elle prétendoit, il étoit de son honneur, ou que je possédasse ce que j'avois vu, ou que je ne pusse jamais me vanter de l'avoir vu. J'entendis bien ce que tout cela vouloit dire. L'outrage n'étoit pas si grand, que la reine n'eût bien pu le dissimuler; et son honneur pouvoit vous laisser vivre, si elle eût voulu : mais franchement elle étoit dégoûtée de vous, et elle fut ravie d'ayoir un prétexte de gloire pour se défaire de son Tome I.

V

mari. Vous jugez bien que dans l'alternative qu'elle me proposoit, je n'avois qu'un parti à prendre.

CANDA ULE.

Je crains fort que vous n'eussiez pris plus de goût pour elle, qu'elle n'avoit de dégoût pour moi. Ah! que j'eus tort de ne pas prévoir l'effet que sa beauté feroit sur vous, et de vous prendre pour un trop honnête homme.

GIGÉS.

Reprochez-vous plutôt d'avoir été si sensible au plaisir d'être le mari d'une femme bien faite que vous ne pûtes vous en taire.

CANDA ULE.

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Je me reprocherois la chose du monde la plus naturelle. On ne sauroit cacher sa joie dans un extrême bonheur.

GIGS.

Cela seroit pardonnable, si c'étoit un bonheur d'amant; mais le vôtre étoit un bonheur de mari. On peut être indiscret pour une maîtresse; mais pour une femme ! Et que croiroit-on du mariage, si l'on en jugeoit par ce que vous fites? On s'imagineroit qu'il n'y a rien de plus délicieux.

CANDA ULE.

Mais sérieusement, pensez-vous qu'on puisse

être content d'un bonheur qu'on possède sans témoins? Les plus braves veulent être regardés pour être braves, et les gens heureux veulent être aussi regardés pour être parfaitement heureux. Que sais-je même, s'ils ne se résoudroient pas à l'être moins, pour le paroître davantage? Il est toujours sûr qu'on ne fait point de montre de sa félicité, sans faire aux autres une espèce d'insulte dont on se sent satisfait.

GIGÉS.

Il seroit fort aisé, selon vous, de se venger de cette insulte. Il ne faudroit que fermer les yeux, et refuser aux gens ces regards, ou, si vous voulez, ces sentimens de jalousie qui font partie de leur bonheur.

CANDA ULE.

J'en conviens. J'entendois l'autre jour conter à un mort, qui avoit été roi de Perse, qu'on le menoit captif et chargé de chaînes dans la ville capitale d'un grand empire. L'empereur victorieux, environné de toute sa cour, étoit assis sur un trône magnifique et fort élevé; tout le peuple remplissoit une grande place qu'on avoit ornée avec beaucoup de soin. Jamais spectacle ne fut plus pompeux. Quand ce roi parut, après une longue marche de prisonniers et de dépouilles, il s'arrêta vis-à-vis de l'empereur, et s'écria d'un air gai : sottise, sottise,

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