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leur fournit peu de choses agréables, et leur raison. leur apprend à en goûter encore moins.

DIALOGUE II I.

DIDON, STRATONICE.

DIDON.

HELAS! ma pauvre Stratonice

› que je suis malheureuse! Vous savez comme j'ai vécu. Je gardai une fidélité si exacte à mon premier mari, que je me brûlai toute vive, plutôt que d'en prendre un second. Cependant je n'ai pu être à couvert de la médisance. Il a plu à un poëte, nommé Virgile, de changer une prude aussi sévère que moi, en une jeune coquette, qui se laisse charmer de la bonne mine d'un étranger, dès le premier jour qu'elle le voit. Toute mon histoire est renversée. A la vérité, le bûcher où je fus consumée m'est demeuré ; mais devinez pourquoi je m'y jette. Ce n'est plus de peur d'être obligée à un second mariage; c'est que je suis au désespoir de ce que cet étranger m'abandonne.

STRATO NICE.

De bonne foi, cela peut avoir des conséquences très-dangereuses. Il n'y aura plus guère de femmes

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qui veuillent se brûler par fidélité conjugale, si après leur mort un poëte est en liberté de dire d'elles tout ce qu'il voudra. Mais peut-être votre Virgile n'a-t-il pas eu si grand tort. Peut-être a-t-il démêlé dans votre vie quelqu'intrigue que vous espériez qui ne seroit pas connue. Que sait-on? je ne voudrois pas répondre de vous sur la foi de votre bûcher.

DIDON.

Si la galanterie que Virgile m'attribue avoit quelque vraisemblance, je consentirois que l'on me soupçonnât; mais il me donne pour amant, Enée, un homme qui étoit mort trois cent ans avant que je fusse au monde.

STRATO NICE.

Ce que vous dites-là'est quelque chose. Cependant Enée et vous, vous paroissiez extrêmement être le fait l'un de l'autre. Vous aviez été tous deux contraints d'abandonner votre patrie; vous cherchiez fortune tous deux dans des pays étrangers; il étoit veuf, vous étiez veuve : voilà bien des rapports. Il est vrai que vous êtes née trois cent ans après lui; mais Virgile a vu tant de raisons pour vous assortir ensemble, qu'il a cru que les trois cent années qui vous séparoient n'étoient pas une affaire.

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Quel raisonnement est-ce-là? Quoi! trois cent ans ne sont pas toujours trois cent ans; et malgré cet obstacle, deux personnes peuvent se rencontrer et s'aimer ?

STRAT ON ICE.

Oh! c'est sur ce point que Virgile a entendu finesse. Assurément il étoit homme du monde; il a voulu faire voir qu'en matière de commerces amoureux, il ne faut pas juger sur l'apparence, et que tous ceux qui en ont le moins, sont bien souvent les plus vrais.

DIDON.

J'avois bien affaire qu'il attaquât ma réputation, pour mettre ce beau mystère dans ses ouvrages.

STRATONICE.

Mais quoi! vous a-t-il tournée en ridicule? vous a-t-il fait dire des choses impertinentes ?

DIDON.

Rien moins. Il m'a récité ici son poëme, et tout le morceau où il me fait paroître est assurément divin, à la médisance près. J'y suis belle; j'y dis de trèsbelles choses sur ma passion prétendue ; et si Virgile étoit obligé à me reconnoître dans l'Enéïde pour femme de bien, l'Enéïde y perdroit beaucoup.

STRATONICE.

STRATO NICE.

De quoi vous plaignez- vous donc ? On vous donne une galanterie que vous n'avez pas eue : voilà un grand malheur ! Mais en récompense, on vous donne de la beauté et de l'esprit, que vous n'aviez peut-être pas.

DIDON.

Quelle consolation!

STRATO NICE.

Je ne sais comment vous êtes faite; mais la plupart des femmes aiment mieux, ce me semble, qu'on médise un peu de leur vertu, que de leur esprit ou de leur beauté. Pour moi, j'étois de cette humeur-là. Un peintre, qui étoit à la cour du roi de Syrie mon mari, fut mal content de moi: et pour se venger, il me peignit entre les bras d'un soldat. Il exposa son tableau, et prit aussi - tôt la fuite. Mes sujets, zélés pour ma gloire, vouloient brûler ce tableau publiquement; mais comme j'y étois peinte admirablement bien, et avec beaucoup de beauté, quoique les attitudes qu'on m'y donnoit ne fussent pas avantageuses à ma vertu, je défendis qu'on le brûlât, et fit revenir le peintre, à qui je pardonnai. Si vous m'en croyez, vous en userez de même à l'égard de Virgile.

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DIDON.

Cela seroit bon, si le premier mérite d'une femme étoit d'être belle, ou d'avoir de l'esprit.

STRATONICE.

Je ne décide point quel est ce premier mérite: mais dans l'usage ordinaire, la première question qu'on fait sur une femme que l'on ne connoît point, c'est, est-elle belle ? la seconde, a-t-elle de l'esprit ? Il arrive rarement qu'on fasse une troisième question.

DIALOGUE I V.

ANACRÉ ON, ARISTOTE.

JE

ARISTOT E.

E n'eusse jamais cru qu'un faiseur de chansonnettes eût osé se comparer à un philosophe d'une aussi grande réputation que moi.

ANA CRÉ O N.

Vous faites sonner bien haut le nom de philosophe : mais moi, avec mes chansonnettes, je n'ai pas laissé d'être appellé le sage Anacréon; et il me semble que le titre de philosophe ne vaut pas celui de sage.

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