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Cet ouvrage est le seul que Fontenelle air fait paroître pendant les quarante-quatre années qu'il a exercé parmi nous la fonction de secrétaire dont il s'occupoit uniquement. Il ne s'est jamais démenti une seule fois, ni sur la perfection de ses écrits, ni sur l'impartialité qu'il devoit observer dans les disputes académiques : on sent seulement que ce n'est qu'avec peine qu'il abandonne le cartésianisme, lorsqu'il parle d'après ceux qui l'attaquent; cependant le secrétaire l'emportoit chez lui sur le physicien, et cette légère nuance d'inclination ne marque que la violence qu'il se faisoit pour remplir son devoir, et de laquelle on ne peut certaine ment que lui savoir gré.

Ce n'étoit pas qu'il n'eût pu se livrer à des occupations de toute autre espèce. M. le Duc d'Orléans, régent, qui l'avoit logé au Palais Royal, lui accordoit assez sa confiance et sa familiarité, pour faire naître chez quelqu'un moins philosophe que lui, des idées de fortune et d'ambition : on assure même que le Prince régent lui proposa de l'associer au ministère, pour la partie qui concernoit la littérature; mais la philosophie tint bon, et Fontenelle refusa sagement ses offres. Si par l'agrément de son esprit il étoit propre à la Cour, le peu de talent qu'il auroit eu pour se défendre des piéges que l'avidité et la malice des hommes savent tendre à ceux qui sont en place, lui devoit

faire

faire redouter une semblable occupation : il aima mieux jouir paisiblement de sa tranquillité et de sa gloire, que de perdre sûrement l'une, en risquant peut-être de ternir l'autre.

Après avoir été pendant quarante-quatre années secrétaire de l'Académie, âgé pour lors de quatrevingt-quatre ans, il se crut quitte envers les sciences et sa patrie, et demanda la vétérance à la fin de 1740. Il eut pour successeur M. de Mairan, que la confiance du Ministère et de l'Académie engagèrent à remplir cette place pendant trois années. Je voudrois ici pouvoir cacher que j'eus la témérité de succéder à de tels prédécesseurs : mais j'osai me flatter que mon zèle pour l'Académie, l'amitié dont ils m'honoroient l'un et l'autre, la route qu'ils m'avoient tracée, et ma docilité à suivre leurs conseils, pouvoient me tenir lieu de talens, et que le Public voudroit bien ne pas exiger de moi d'atteindre à la perfection de mes modèles; il sait trop bien qu'en tout genre il y a des hommes inimitables.

La retraite de Fontenelle ne le rendit pas plus indifférent pour l'Académie; il y assista fréquemment, jusqu'à ce que son grand âge l'eût privé de l'ouie. J'eus, douze ans après sa retraite, le sensible plaisir de le voir assis en son ancienne place, donner sa voix à une élection. Dans les dernières années même où il ne voyoit et n'entendoit que difficilement, il demandoit des nouvelles des chan

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gemens arrivés dans l'Académie, des matières qui s'y traitoient, et sur - tout des talens et des travaux des jeunes académiciens, comme voulant s'assurer de la gloire future de ce Corps, dont il avoit été si long-temps le digne organe.

L'année qui suivit sa retraite, il célébra son Jubilé académique à l'Académie Françoise. Il étoit, depuis cinquante ans, membre de cette compagnie, dont il étoit aussi doyen. Il ne s'y trouvoit alors que quatre académiciens reçus avant qu'il fût parvenu au décanat; savoir le maréchal de Richelieu l'abbé d'Olivet, le président Hénault, et l'abbé Alary. L'Académie crut pouvoir sans risque joindre à cette cérémonie une distinction particulière; elle le nomma directeur sans tirer au sort, comme on sait qu'elle fait ordinairement.

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La tranquillité dont jouissoit alors Fontenelle lui rappella son ancien goût; il s'occupoit à revoir quelques pièces de théâtre qu'il avoit autrefois composées, et auxquelles il a joint, en les publiant, une préface raisonnée sur les différens genres de poésie dramatique. Il composoit d'autres petites pièces dans lesquelles on est étonné de retrouver presque tout son premier feu, et le Fontenelle de 1690. Il sembloit, pour emprunter les idées des anciens romans, qu'un long enchantement l'eût tenu seulement endormi, et qu'il se réveillât de ce sommeil. Il fit en 1749, comme directeur

l'éloge du cardinal de Rohan à l'Académie Françoise, et prononça dans la même séance un discours contre les jeunes poëtes qui négligent la rime. Ces deux pièces n'ont rien qui se ressente de l'âge de quatre-vingt-douze ans auquel il étoit alors parvenu.

Rien n'étoit non plus changé dans sa manière de vivre, si ce n'est qu'il voyoit un peu plus souvent ses amis : du reste, même vivacité, même politesse, même galanterie; et, pour tout dire aussi, même accès auprès des dames qui se le disputoient, et auxquelles son esprit, précisément le même qu'il avoit été à vingt-cinq ans, faisoit oublier qu'il en avoit quatre-vingt-dix. Il falloit qu'il eût bien des agrémens pour leur dérober un si grand défaut.

Il publia en 1752 un petit ouvrage qu'il avoit autrefois composé sous le titre de Théorie des Tourbillons Cartésiens, avec des réflexions fur l'attraction. C'est peut-être un des meilleurs qui ait été fait sur cette matière; mais quoiqu'on y reconnoisse par-tout Fontenelle, et que même il ne se cachât point d'en être l'auteur, il n'a pas voulu y mettre

son nom.

Ce fut de cette manière qu'il vécut jusqu'à l'âge de quatre-vingt-dix-neuf ans. Ce ne fut, à propre→ ment parler, que là que commença sa vieillesse, et qu'il fut obligé de se tenir plus assidument chez lui. Il devint sujet à des foiblesses et à des accès

de sommeil qui effrayèrent ses amis pour lui. II l'étoit si peu, qu'il philosophoit avec M. de Lassone son médecin, et membre de cette Académie, sur les effets qu'il en éprouvoit. Mais il profita de ces avis de la nature et des conseils de ses amis, pour mettre ordre à ses affaires; et après avoir demandé et reçu les derniers sacremens il mourut le 9 Janvier de cette année, âgé de cent ans moins un mois,

Il nous resteroit à parler de son caractère et de ses mœurs dans l'intérieur de sa maison, car il avoit été enfin obligé d'en prendre une. Il avoit quitté le Palais Royal lorsque son âge avoit demandé qu'il se remît dans le sein de sa famille, et il s'étoit retiré chez M. Richer d'Aube, maître des requêtes, son neveu à la mode de Bretagne. Mais ceux qui sont destinés à vivre autant que lui, le sont ordinairement aussi à voir mourir avant eux presque toute leur famille; il perdit M. d'Aube. Madame de Forgeville, sa respectable amie, voulut bien prendre de ses dernières années le soin le plus assidu, et c'est à elle qu'il a dû toute la douceur qu'il y a goûtée. Plus à portée que personne de le bien connoître, elle en avoit fait elle-même un portrait dans lequel elle est si reconnoissable, que nous avons cru le devoir donner ici presque sans aucun changement.

La physionomie de Fontenelle annonça d'a

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