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avoit autrefois aidé Brunel, son intime ami, dans un discours qui remporta le prix de l'Académie Françoise en 1695. Nous ne pouvons dissimuler que l'amitié ne l'eût emporté en cette occasion sur le devoir, car Fontenelle étoit dès-lors membre de cette célèbre compagnie; mais c'étoit en faveur d'un homme auquel il étoit lié dès l'enfance par une si singulière sympathie, qu'on lui a plusieurs fois entendu dire : « Cet homme ne m'est bon à rien; cependant nous nous rencontrons toujours ». C'étoit, sans y penser, faire un grand éloge de son ami.

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La préface des Infiniment petits fut comme le présage du changement qui arriva bientôt après dans la situation de Fontenelle. L'Académie des Sciences, instituée en 1666, contribuoit, depuis son établissement, à la gloire de la nation françoise : elle avoit produit d'excellens ouvrages; mais il faut avouer que les sciences, et même la plus grande partie de leur réputation, ne passoient guères alors le petit nombre de ceux qui les cultivoient : on n'avoit jusques-là travaillé qu'à les faire renaître. De Pontchartrain, sollicité par feu l'abbé Bignon, conçut le noble dessein de les faire aimer et respecter de ceux même qui n'en faisoient pas leur principale occupation. Il ne falloit pour cela que les faire connoître; mais c'étoit-là le point de la plus grandé difficulté. Les Muses des ma

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thémathiques et de la physique habitent une région lumineuse et agréable; mais l'accès de leur sanctuaire est difficile et épineux. Il falloit trouver un homme capable de faire disparoître ces difficultés, de dissiper une partie des nuages qui cachoient aux hommes la vue de leurs mystères, de répandre la lumière et l'agrément sur les matières les plus sèches et souvent les plus obscures, et qui pût les ramener à la portée du plus grand nombre des lecteurs. Les preuves que Fontenelle avoit données de ses talens en ce genre dans la Pluralité des Mondes, déterminèrent le choix du Ministre en sa faveur. Il fut nommé, au commencement de 1697, à la place de secrétaire de l'Académie, vacante par la retraite de l'abbé Duhamel. Il ne fut pas long-temps à justifier la confiance qu'on lui avoit accordée. Bientôt il eut trouvé la manière la plus avantageuse de présenter au public les travaux de l'Académie. Le véritable génie est un guide sûr qui semble ignorer les tentatives, et fait frapper au but du premier coup. C'est encore à lui qu'on doit d'avoir introduit ces discours que l'Académie consacre peut-être moins à la gloire de ceux qu'elle a perdus, qu'à exciter l'émulation de ceux qui se sentent assez de courage pour entreprendre de les imiter. Tel est à-peu-près le systême de l'Histoire de l'Académie. L'ordre qui règne dans les différentes matières qu'elle renferme, la clarté avec

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laquelle Fontenelle avoit l'art de présenter celles qui semblent les plus obscures, et les agrémens que son imagination sagement fleurie y savoit répandre à propos, en eurent bientôt fait un livre à la mode. Le goût des sciences se communiqua de proche en proche, et l'espèce de barbarie dans laquelle on étoit alors sur cet article, céda à la lumière naissante, du moins pour ceux qui voulurent ouvrir les yeux; car nous ne pouvons nier qu'elle n'ait encore tenu bon chez quelques-uns de ses partisans : mais quels livres peuvent instruire ceux qui ne veulent pas en faire usage? Heureusement ce nombre est aujourd'hui le plus petit, et diminue même de jour en jour. Il a été témoin du succès de ses travaux; mais il ignoroit jusqu'où le fruit s'en étoit étendu. Une lettre venue du Pérou depuis sa mort, nous a appris qu'une des productions de l'Europe, qui y est attendue avec beaucoup d'impatience, est l'Histoire de l'Acadé mie, et qu'un grand nombre de dames péruviennes ont appris le françois pour la pouvoir lire. Si on joint à cela l'usage que les Missionnaires en font dans tout l'orient, on demeurera convaincu qu'on lui doit d'avoir porté le goût des sciences et la gloire de la nation dans la plus grande partie de l'univers. Il dit dans la belle préface qu'il a mise à la tête de l'Histoire de l'Académie, « que quelquefois un grand homme donne le ton à tout

» son siècle ». Il a été lui-même ce grand homme qu'il annonçoit, et on peut le regarder comme un de ceux auxquels les sciences, et par conséquent les hommes, ont le plus d'obligation, et comme un modèle que ceux qui lui succéderont devront toujours s'efforcer de suivre.

Au milieu du travail toujours renaissant de son ministère, il composoit un ouvrage bien différent de ceux qui l'avoient occupé jusqu'alors, et auquel on ne se seroit guère avisé de penser qu'il travaillât : c'étoit ses Elémens de la Géométrie de l'Infini, qu'il publia en 1727, comme suite des Mémoires de l'Académie de la même année. Ce titre d'Élémens ne doit, au reste, faire illusion à personne. Il signifie ici les principes sur lesquels est fondé le calcul infinitésimal, et les sources desquelles il dérive. Les élémens ordinaires sont à l'usage des commerçans: ceux-ci étoient destinés à instruire les plus habiles géomètres. C'est, à proprement parler, le systême métaphysique de l'infini géométrique, appliqué aux règles du calcul et à l'examen des courbes, et de leurs plus singulières propriétés. Pour comprendre toute la difficulté d'un pareil ouvrage, il ne faut que se rappeller combien la métaphysique d'une part et la géométrie de l'autre en offrent à vaincre. Quelle doit donc être celle de les faire, pour ainsi dire, marcher ensemble ? Cependant nous pouvons assurer qu'il a porté sur

ces matières si obscures la clarté qu'il répandoit sur tout ce qu'il touchoit. Des véritables et premières idées métaphysiques qu'il saisit presque par-tout, il descend de conséquence en conséquence jusqu'aux vérités et aux propositions les plus compliquées, sans avoir presque jamais besoin de démonstration ; et pour en donner un exemple, la doctrine des proportions qui, dans Euclide, exerce pendant les cinq, sept, huit, neuf et dixième livres l'esprit et l'attention de son lecteur, est expédiée en moins de huit pages dans le livre de Fontenelle, sans propositions, sans démonstrations, et sans la moindre difficulté; tant il est vrai que, sur-tout en mathématique, ce n'est avoir rencontré le vrai qu'à demi, que d'ignorer le véritable ordre dans lequel doivent être présentées les vérités qu'on a décou

vertes.

saisi

Nous avons dit qu'il avoit presque par-tout les véritables et premières idées métaphysiques; car nous ne pouvons disconvenir qu'il ne les ait quelquefois manquées, et qu'il ne se trouve quelques défauts dans ce livre : mais malgré ces fautes et quelques méprises qu'on lui a reprochées, cet ouvrage est et mérite d'être estimé. On peut le regarder comme un effort de génie, et comme un flambeau très - propre à éclairer ceux qui suivent cette épineuse carrière. Il est absolument neuf, et les idées qu'il contient, et par la manière dont il les sait présenter.

par

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