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plus impatiens trouvent en lui tout ce qu'ils cherchent; et nos espérances, à force de se confirmer de jour en jour, ne sont plus de simples espé

rances.

S'il étoit besoin qu'elles s'accrussent, elles s'accroîtroient encore par l'application que ce jeune monarque donne depuis quelque temps aux matières du gouvernement, par ces entretiens où il veut bien vous faire entrer. Là, vous pesez à ses yeux les forces de son état, et des différens états qui nous environnent; vous lui dévoilez l'intérieur de son royaume, et celui du reste de l'Europe,

tel que vos regards perçans l'ont pénétré; vous lui démêlez cette foule confuse d'intérêts politiques, si diversement embarrassés les uns dans les autres; vous le mettez dans le secret des cours étrangères; vous lui portez sans réserve toutes vos connoissanses acquises par une expérience éclairée; vous vous rendez inutile autant que vous le pouvez.

Voilà, Monseigneur, ce que pense l'Académie dans un des plus beaux jours qu'elle ait jamais eus. Depuis plus de trente ans qu'elle m'a fait l'honneur de me recevoir, le sort l'avoit assez bien servie pour ne me charger jamais de parler en son nom à aucun de ceux qu'elle a reçus après moi; il me réservoit à une occasion singulière, où les sentimens de mon cœur pussent suffire pour une fonction si noble et si dangereuse. Vous vous souvenez

que mes vœux vous appelloient ici long-temps avant que vous y puissiez apporter tant de titres : personne ne savoit mieux que moi que vous y eussiez apporté ceux que nous préférerons toujours à rous les autres.

RÉPONSE

DE FONTENELLE

A NÉRICAULT DESTOUCHES,

Lorsqu'il fut reçu à l'Académie Françoise le 25 Août 1723.

MONSIEUR,

On sait assez que l'Académie Françoise n'affecte point de remplacer un orateur par un orateur, ni un poëte par un poëte; il lui suffit que des talens. succèdent à des talens, et que le même fonds de mérite subsiste dans la compagnie, quoique formée de différens assemblages. Si cependant il se trouve quelquefois plus de conformité dans les successions, c'est un agrément de plus que nous recevons avec plaisir des mains de la fortune. Nous avions perdu Campistron, illustre dans le genre dramatique; nous retrouvons en vous un auteur revêtu du même éclat. Tous deux vous avez joui de ces succès si flatteurs

du théâtre, où la louange ne passe point lentement de bouche en bouche, mais sort impétueusement de toutes les bouches à-la-fois, et où souvent même les transports de toute une grande assemblée prennent la place de la louange interdite à la vivacité de l'émotion.

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Il est vrai que votre théâtre n'a pas été le même que celui de votre prédécesseur. Il s'étoit donné à la muse tragique; et quoiqu'il ne soit venu qu'après des hommes qui avoient porté la tragédie au plus haut degré de perfection, et qui avoient été l'honneur de leur siècle, à un point qu'ils devoient être aussi le désespoir éternel des siècles suivans il a été souvent honoré d'un aussi grand nombre d'acclamations, et a recueilli autant de larmes. On voit assez d'ouvrages, qui, ayant paru sur le théâtre avec quelque éclat, ne s'y maintiennent pas dans la suite des temps, et auxquels le public semble n'avoir fait d'abord un accueil favorable, qu'à condition qu'il ne les reverroit plus. Mais ceux de Campistron se conservent en possession de leurs premiers honneurs. Son Alcibiade, son Andronic, son Tiridate vivent toujours; et à chaque fois qu'ils paroissent, les applaudissemens se renouvellent, et ratifient ceux qu'on avoit donnés à leur naissance. Non, les campagnes où se moissonnent les lauriers n'ont pas encore été entièrement dépouillées; non, tout ne nous a pas été enlevé par nos admi

rables ancêtres et à l'égard du théâtre en particulier, pourrions-nous le croire épuisé dans le temps même où un ouvrage sorti de cette Académie, brillant d'une nouvelle sorte de beauté, passe les bornes ordinaires des grands succès, et de l'ambition des poëtes?

Pour vous, Monsieur, vous vous êtes renfermé dans le comique, aussi difficile à manier, et peutêtre plus, que le tragique ne l'est avec toute son élévation, toute sa force, tout son sublime. L'ame ne seroit-elle point plus susceptible des agitations violentes que des mouvemens doux? ne seroit-il point plus aisé de la transporter loin de son assiette naturelle , que de l'amuser avec plaisir en l'y laissant; de l'enchanter par des objets nouveaux et revêtus de merveilleux, que de lui rendre nouveaux des objets familiers? Quoi qu'il en soit de cette espèce de différend entre le tragique et le comique, du moins la plus difficile espèce de comique est celle où votre génie vous a conduit, celle qui n'est comique que pour la raison, qui ne cherche point à exciter bassement un rire immodéré dans une multitude grossière; mais qui élève cette multitude › presque malgré elle-même, à rire finement et avec esprit. Qui est celui qui n'a point senti dans le Curieux impertinent, dans l'Irrésolu, dans le Médisant, le beau choix des caractères, ou plutôt le talent de trouver encore des carac

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