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y serons d'autant plus sensibles, que vous nous les déguiserez sous l'apparence d'un intérêt commun.

Aussi les applaudissemens que nous vous devions seront-ils désormais, non pas plus vifs, mais plus tendres. Dans un concert de louanges, il est facile de distinguer les voix de ceux qui admirent et de ceux qui aiment. Toute votre gloire est devenue la nôtre, et dans nos annales particulières, qui, aussi bien que l'histoire générale du royaume, auront droit de se parer de vos actions et de vous, nous mêlerons à ce sentiment commun d'ambition un sentiment de zèle qui n'appartiendra qu'à nous.

Telle est la nature du ministère, dont jusqu'à présent votre éminence avoit été uniquement chargée, que l'éclat des succès n'y est pas ordinairement proportionné au nombre ni à la grandeur des difficultés vaincues. Les ressorts des négociations doivent être inconnus, même après leur effort; il faut les faire jouer sans bruit, et sacrifier courageusement à la solide utilité tout l'honneur de la conduite la plus prudente et la plus délicate. Il n'y a que les évènemens qui la décèlent, mais le plus. souvent sans rien découvrir du détail, qui en feroit briller le mérite; ils se font seulement reconnoître pour l'ouvrage de quelque grand génie, et donnent l'exclusion aux jeux de la fortune. Eussions-nous prévu que nous serions tranquilles pendant une minorité, qui sembloit inviter les puis

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sances voisines à reprendre les armes? Eussionsnous osé en concevoir l'espérance? Le règne du feu roi, si brillant par une longue prospérité, et plus encore par les adversités héroïquement soutenues et habilement réparées; l'union de deux monarchies dans sa maison, défendue contre des efforts si violens et si opiniâtres; son pouvoir trop reconnu et trop éprouvé; un certain éclat du nom françois, ajouté par ce grand monarque au pouvoir réel; enfin tout ce qui faisoit alors notre gloire, faisoit aussi notre danger; les soupçons et les jalousies se réveilloient; les équivoques des traités, les questions qu'ils laissoient indécises, ne fournissoient que trop de ces prétextes toujours prêts à servir tous les besoins ou toutes les passions; l'occasion seule suffisoit pour faire naître des ennemis. Cependant un calme profond a régné en France, interrompu seulement par un léger mouvement de guerre. Quelle intelligence a produit cette merveille? de quels moyens s'est-elle servie? Nous ignorons les moyens; mais l'intelligence ne peut être cachée. Le régent du royaume a pensé; son ministre a pensé avec lui, et a exécuté. Les siècles suivans en sauront davantage : fiez - vous à eux, Monseigneur.

Ils sauront, et c'est une connoissance que cette compagnie leur doit particulièrement envier; ils sauront quelle éloquence a secondé vos entreprises,

combien elle étoit digne des matières et de vous; ils jouiront des ouvrages qu'elle a produits, et que le temps présent ou votre modestie nous dérobe. Un autre cardinal françois, élevé par son seul mérite à cette dignité, célèbre à jamais par ses importantes et difficiles négociations, vous a prévenu dans ce genre d'éloquence, et en a laissé des modèles immortels. Il dédaignoit d'employer d'autres armes que celles de la raison: mais avec quelle noble vigueur employoit-il toutes les armes de la raison! Quand il avoit les préventions ou les passions à combattre, ce n'étoit qu'à force de les éclairer qu'il en triomphoit. L'Académie a été formée trop tard, et elle n'a pu posséder un orateur d'un caractère si rare; mais il falloit qu'elle lui pût opposer un rival.

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Jusqu'ici les traités de paix avoient la guerre pour véritable objet. On se ménageoit ou un repos de quelques années pour réparer ses forces Ou plus de forces pour attaquer un ennemi commun; une haine dissimulée par nécessité, une vengeance méditée de loin, une ambition adroitement cachée, formoient toutes les liaisons; et le desir sincère d'une tranquillité générale et durable, étoit un sentiment inconnu à la politique. C'est vous, Monseigneur, qui en suivant les vues, et, ce qui nous touche encore davantage, le caractère du prince dépositaire du sceptre, avez le premier amené dans

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le monde une nouveauté si peu attendue. Vous avez fait des traités de paix qui ne pouvoient produire que la paix vous en avez ménagé d'autres qui vinssent de plus loin seconder vos principaux desseins; et par un grand nombre de ces liens différens, qui tiennent tous ensemble, et se fortifient mutuellement, vous avez eu l'art d'enchaîner si bien toute l'Europe, qu'elle en est en quelque sorte devenue immobile, et qu'elle se trouve réduite à un heureux et sage repos.

Quel doit être pour tous les hommes le charme de ce repos, si les souverains qui habitent une région ordinairement inaccessible aux malheurs de la guerre, ont senti comme les peuples les avantages que leur apportoit la situation ptésente de l'Europe! Ils les ont sentis, et si vivement, qu'ils ont tous concouru à vous faire obtenir la pourpre, Eux à qui l'union la plus étroite permet encore tant de division sur une infinité de sujets particuliers, ils se sont rencontrés dans l'entreprise de procurer votre élévation; ils ont même relâché de leurs droits en votre faveur, et peut-être, pour la première fois, ont sacrifié leurs délicates jalousies. Le souverain pontife n'a entendu qu'une demande de la bouche de tous les ambassadeurs, et vous avez paru être un prélat de tous les états catholiques, et un ministre de toutes les cours. Ce même esprit, qui sait si bien concilier, vous

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l'avez porté dans la grande affaire dont l'église de France n'est occupée que depuis trop long-temps. Mais combien les intérêts politiques sont-ils plus aisés à manier que ceux de religion, que chacun se fait une loi de suivre tels qu'il les a conçus; qui n'admettent point une modeste déférence aux lumières supérieures d'autrui; qui ne peuvent céder, je ne dis pas à des considérations étrangères, mais même à d'autres intérêts de religion plus importans ; qui enfin semblent avoir le droit de changer l'aveugle opiniâtreté en une constance respectable? Malgré ces difficultés renaissantes à chaque instant, des vues sages, et sagement communiquées, des soins agissans avec circonspection, mais toujours agissans, ont réuni les sentimens de presque tous les prélats du royaume; et il nous est permis désormais d'attendre une paix entière, où l'église n'aura plus rien à craindre du zèle et de l'amour même de ses enfans.

C'est dans cette disposition singulière des affaires générales que se fait le passage paisible du plus glorieux règne qu'ait vu la France, à un règne également glorieux qu'elle espère. Nul obstacle étranger n'empêchera que les inclinations naturelles du Roi, cultivées avec tant de soin par de si excellens maî tres, ne se déploient dans toute leur étendue. Il n'aura qu'à vouloir rendre ses peuples heureux, et tout nous dit qu'il le voudra. Déja nos désirs les

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