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COMPLIMENT

Fait le 16 décembre 1722 à son altesse royale monseigneur le duc D'ORLÉANS,

régent du royaume,

sur la mort de

MADAME, par FONTENELLE, alors directeur de l'Académie,

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Tout le royaume partage la douleur de votre altesse royale. Les larmes que vous donnez au lien le plus étroit du sang, et aux vertus de l'auguste mère que vous perdez, il les donne à ses vertus seules, et il rend à sa mémoire le tribut dont les princes doivent être le plus jaloux. Sa bonté et son humanité lui attiroient tout ce que la dignité n'est pas en droit d'exiger de nous. Si les qualités du cœur faisoient les rangs, sa droiture sa sincérité, son courage lui en auroient fait un au-dessus même de celui où sa naissance l'avoit placée. Elle a conservé dans tout le cours de sa vie cette égalité de conduite, qui ne peut partir que d'une rare vigueur de l'ame, et d'un certain

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COMPLIMENT AU DUC D'ORLÉANS.

calme respectable qui y règne. La France se glorifioit d'avoir acquis cette grande princesse, et lui rendoit graces des exemples qu'elle donnoit aux personnes les plus élevées. Ceux qui cultivent les lettres, sont ordinairement encore plus touchés que les autres, des pertes que fait la vertu ; du moins le sommes-nous davantage de tout ce qui vous intéresse, MONSEIGNEUR, nous à qui vous accordez une protection que vos lumières rendent si flatteuse pour nous. Si j'ose parler ici de moi, l'Académie Françoise ne pouvoit avoir, auprès de vous, un interprète de ses sentimens qui en fût plus pénétré, ni qui tînt à votre altesse royale par un plus long, plus sincère et plus respectueux at

tachement.

RÉPONSE

DE FONTENELLE,

Alors directeur de l'Académie Françoise au discours que S. E. M. le cardinal DUBOIS, premier ministre, fit à cette Académie, le 3 décembre 1722, lorsqu'il y fut reçu.

MONSEIGNEUR,

QUELLE eût été la gloire du grand cardinal de RICHELIEU, lorsqu'il donna naissance à l'Académie Françoise, s'il eût pu prévoir qu'un jour le titre de son protecteur, qu'il porta si légitimement, deviendroit trop élevé pour qui ne seroit pas roi; et que ceux qui, revêtus comme lui des plus hautes dignités de l'état et de l'église, voudroient comme lui protéger les lettres se feroient honneur du simple titre d'académicien !

,

Il est vrai, car votre éminence pardonnera aux Muses leur fierté naturelle, sur-tout dans un lieu

où elles égalent tous les rangs, et dans un jour où vous les enorgueillissez vous-même; il est vrai que vous leur deviez de la reconnoissance. Elles ont commencé votre élévation, et vous ont donné les premiers accès auprès du prince qui a si bien su vous connoître. Mais ce grand prince vous avoit acquitté lui-même envers elles, par les fruits de son heureuse éducation, par l'étendue et la variété des lumières qu'il a prises dans leur commerce, par le goût qui lui marque si sûrement le prix de leurs différens ouvrages. Je ne parle point de la constante protection qu'il leur accorde; elles sont plus glorieuses de ses lumières et de son goût que de sa protection même. Leur grande ambition est d'être

connues.

Ainsi, Monseigneur, ce que vous faites maintenant pour elles est une pure faveur. Vous venez prendre ici la place d'un homme qui n'étoit célèbre que par elles; et quand votre éminence lui envie en quelque sorte cette distinction unique, combien ne la relève-t-elle pas ?

M. Dacier se l'étoit acquise par un travail de toute sa vie, et qui lui fut toujours commun avec son illustre épouse, espèce de communauté inouie jusqu'à nos jours. Attaché sans relâche aux grands auteurs de l'antiquité grecque et romaine, admis dans leur familiarité à force de veilles, confident de leurs plus secrètes pensées, il les faisoit revivre

parmi nous, les rendoit nos contemporains; et par un commerce plus libre et plus étendu qu'il nous ménageoit avec eux, enrichissoit un siècle déja si riche par lui-même. Quoique sa modestie, ou peut-être aussi son amour pour les anciens, lui persuadât que leurs trésors avoient perdu de leur prix en passant par ses mains, ils ne pouvoient guère avoir perdu que cet éclat superficiel, qui ne se retrouve point dans des métaux précieux longtemps enfouis sous terre, mais dont la substance n'est point altérée. Il employoit une longue étude à pénétrer les beautés de l'antiquité, un soin passionné à les faire sentir, un zèle ardent à les défendre, toute son admiration à les faire valoir; et l'exemple seul de cette admiration si vive pouvoit ou persuader ou ébranler les rebelles. Il a eu l'art de se rendre nécessaire à Horace, à Platon, à Marc Aurele, à Plutarque, aux plus grands hommes il a lié son nom avec les noms les plus sûrs de l'immortalité; et pour surcroît de la récompense due à son mérite, son nom se trouvera encore lié avec celui de votre éminence.

:

Quel bienfait ne nous accordez-vous pas en lui succédant? Vous eussiez pu nous favoriser comme premier ministre : mais un premier ministre peut-il jamais nous favoriser davantage, que lorsqu'il devient l'un d'entre nous ? Les graces ne partiront point d'une maih étrangère à notre égard, et nous

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