1756. LETTRE I X. DE M. D'ALEM BERT. A Lyon, ce 28 de juillet. PUISQUE la montagne ne veut pas venir à Mahomet, il faudra donc, mon cher et illuftre confrère, que vous reftez à Genève. La nouvelle falle eft très-belle, LETTRE X. DE M. DE VOLTAIR E. Aux Délices, 2 d'augufte. Si j'avais quelque vingt ou trente ans de moins I il fe pourrait à toute force, mon cher et illuftre ami, que je me partageaffe entre vous et mademoiselle Clairon; mais, en vérité, je fuis trop raisonnable pour ne vous pas donner la préférence. J'avais promis, il eft vrai, de venir voir à Lyon l'Orphelin chinois; et comme il n'y avait à ce voyage que de l'amour propre, le facrifice me paraît bien plus aifé. Madame Denis devait être de la partie de l'Orphelin: elle pense comme moi, elle aime mieux vous attendre. Ceci eft du temps de l'ancienne Grèce où l'on préférait, à ce qu'on dit, les philofophes. Le bruit court que vous venez avec un autre philofophe. Il faudrait que vous le fuffiez terriblement l'un et l'autre, pour accepter les bouges indignes Correfp. de d'Alembert, &c. Tome I. B A qui me restent dans mon petit hermitage; ils ne font 1756. bons tout au plus que pour un fauvage comme JeanJacques, et je crois que vous n'en êtes pas à ce point de fageffe iroquoife. Si pourtant vous pouviez pouffer la vertu jusque-là, vous honoreriez infiniment mes antres des Alpes, en daignant y coucher. Vous me trouverez bien malade; ce n'eft pas la faute du grand Tronchin: il y a certains miracles qu'on fait, et d'autres qu'on ne peut faire. Mon miracle eft d'exister, et ma confolation fera de vous embraffer. Ma champêtre famille vous fait les plus fincères complimens. LETTRE X I. DE M. DE VOLTAIRE. Aux Délices, où nous voudrions bien vous tenir, 13 de novembre. MON ON cher maître, je ferai bientôt hors d'état de mettre des points et des virgules à votre grand tréfor des connaissances humaines. Je tâcherai pourtant, avant de rejoindre l'archimage Yebor (*) et fes confrères, de remplir la tâche que vous voulez bien me donner. Voici Froid et une petite queue à Français par un a, Galant et Garant; le refte viendra fi je fuis en vie. Je fuis bien loin de penfer qu'il faille s'en tenir aux définitions et aux exemples; mais je maintiens (*) Boyer le théatin, évêque de Mirepoix, qu'il en faut par-tout, et que c'est l'effence de tout dictionnaire utile. J'ai vu par hafard quelques articles 1756. de ceux qui fe font, comme moi, les garçons de cette grande boutique ; ce font, pour la plupart, des differtations fans méthode. On vient d'imprimer dans un journal l'article Femme, qu'on tourne horriblement en ridicule. Je ne peux croire que vous ayez fouffert un tel article dans un ouvrage fi férieux : Chloé prese du genou un petit maître, et chiffonne les dentelles d'un autre. Il femble que cet article foit fait par le laquais de Gil-blas. J'ai vu Enthousiasme qui eft meilleur; mais on n'a que faire d'un fi long difcours pour favoir que l'enthousiasme doit être gouverné par la raifon. Le lecteur veut favoir d'où vient ce mot, pourquoi les anciens le confacrèrent à la divination, à la poëfie, à l'éloquence, au zèle de la fuperftition; le lecteur veut des exemples de ce tranfport fecret de l'ame appelé enthousiasme; enfuite il eft permis de dire que la raifon, qui préfide à tout, doit auffi conduire ce transport. Enfin je ne voudrais dans votre Dictionnaire que vérité et méthode. Je ne me foucie pas qu'on me donne fon avis particulier sur la Comédie, je veux qu'on m'en apprenne la naiffance et les progrès chez chaque nation : voilà ce qui plaît, voilà ce qui inftruit. On ne lit point ces petites déclamations dans lesquelles un auteur ne donne que fes propres idées qui ne font qu'un fujet de difpute. C'eft le malheur de prefque tous les littérateurs d'aujourd'hui. Pour moi, je tremble toutes les fois que je vous présente un article. Il n'y en a point qui ne demande le précis d'une grande érudition. Je fuis 1756. fans livres, je fuis malade, je vous fers comme je peux. Jetez au feu ce qui vous déplaira. Pendant la guerre des parlemens et des évêques, les gens raisonnables ont beau jeu, et vous aurez le loifir de farcir l'Encyclopédie de vérités qu'on n'eût pas ofé dire il y a vingt ans; quand les pédans se battent, les philofophes triomphent. S'il eft temps encore de foufcrire, j'enverrai à Briaffon l'argent qu'il faut : je ne veux pas de fon livre autrement. Madame Denis vous fait les plus tendres complimens; je vous en accable. Je fuis fâché que le philofophe Duclos ait imaginé que j'ai autrefois donné une préférence à un prêtre fur lui ; j'en étais bien loin, et il s'eft bien trompé. Adieu, achevez le plus grand ouvrage du monde. LETTRE X I I. DE M. DE VOLTAIRE. 29 de novembre. J'ENVOI ENVOIE, mon cher maître, au bureau qui inftruit le genre-humain, Gazette, Généreux, Genres de ftyle, Gens de lettres, Gloire et Glorieux, Grandeur et Grand, Goût, Grâce et Grave. Je m'aperçois toujours combien il eft difficile d'être court et plein, de difcerner les nuances, de ne rien dire de trop, et de ne rien omettre. Permettezmoi de ne traiter ni Généalogie ni Guerre littéraire ; j'ai de l'averfion pour la vanité des généalogies; je |